Algérie

Beni Saf



Les désosseurs de mémoire Hier, la municipalité était en émoi. « Il ne sera pas dit, plus tard, que c?est durant mon mandat qu?aura disparu le témoin de la mémoire et de l?histoire de la ville ! », tempêtait le maire de Beni Saf. En effet, la démolition de la station de criblage est en cours. Cette gigantesque relique dont la structure, telle une sculpture, se dessine aérienne sur un fond de ciel bleu au bord d?une abrupte falaise située à 600 m du port. Elle rappelle que Beni Saf était d?abord un port minier avant d?être un port de pêche. C?est elle qui triait, en différents calibres, le minerai arrivant par wagonnets avant son embarquement sur des bateaux. Pour le Beni Safien comme pour le visiteur, ce vestige a une valeur de véritable monument historique. Ferphos, l?héritière de Mokta el Hadid et des entreprises qui lui ont succédé dans l?exploitation du gisement de fer, l?a cédé pour 10 millions de centimes par vente aux enchères. Ses responsables assurent qu?il n?a été vendu que la ferraille interne, celle qui est invisible mais pas la structure. Pourtant, cette « ferraille », avons-nous fait remarquer, est une machinerie qui témoigne de l?histoire de l?industrie. Ne convenait-il pas, pour l?image de Ferphos, de tout préserver et l?entretenir pour en faire un lieu de visites guidées d?autant qu?en contrebas, il y a le projet d?un immense complexe touristique initié par Ferphos elle-même ? « Mais pourquoi ne réagit-on qu?aujourd?hui, alors que d?autres pans de la mémoire de la ville ont disparu ? De toute façon, cela n?est pas notre rôle. Ce que nous avons vendu est attaqué par la rouille et est l?objet de vol au profit des exportateurs des métaux ferreux. Par ailleurs, si cela croulait et causait des dégâts, c?est notre entreprise qui sera montrée du doigt. » Un tour du côté de la falaise, révèle que ce n?est pas ce qui constitue l?objet du marché, c?est-à-dire les « déchets », mais bien la structure de la station de criblage qui est attaquée. En effet, sur un remblai, en contrebas de la falaise, armé de chalumeaux, des ouvriers découpent des éléments de la structure, des éléments qui en avaient préalablement été tronçonnés. Le maire annonce, à qui veut l?entendre, qu?il a décidé de faire valoir les droits de préemption de la commune en rachetant la station de triage. Pour ce faire, il a saisi par télégramme le directeur de Ferphos pour lui demander de faire cesser le travail des désosseurs de mémoire. Une mémoire de gueules noires, faite de drames humains, de sueur, de larmes, et d?âpres luttes syndicales. Quelques vestiges marquent des repères sur les hauteurs de cette histoire de Beni Saf. Dominant la ville, telle une vigie, la vieille station de criblage est le plus important d?entre eux.


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