«On lui a mis une
balle dans le crane et on a balancé son cadavre dans
l'océan ». Voici, pour résumer de manière quelque peu laconique, le message des
Etats-Unis à propos de la mort d'Oussama Ben Laden.
Cette phrase est du genre de celles que
prononcent les protagonistes de la série « Les Soprano » qui met en scène des
mafieux quelque peu minables mais ô combien sanguinaire du New Jersey. Ce
parallèle n'est pas fortuit. Dans l'histoire contemporaine des Etats-Unis on ne
sait jamais si Hollywood s'inspire de l'actualité ou si elle la fabrique.
Gageons que nous aurons bientôt une flopée de films s'inspirant de ce qui s'est
passé à Abbottabad au nord d'Islamabad. On y mettra
en scène des hélicoptères au fuselage sombre comme la nuit, des commandos au
visage fermé, ayant tous un compte personnel à régler avec Ben Laden, et des flashbacks sur l'effondrement des tours jumelles. Pour
faire bonne figure, et parce que c'est dans l'air du temps, on comptera parmi
ces vengeurs un ou quelques « bons » musulmans, décidés eux aussi à liquider le
chef d'Al-Qaïda. Mais à ce stade des supputations, il
n'est pas sûr qu'Hollywood prenne le risque de mettre en scène Ben Laden
lui-même et le huis-clos dans lequel il a vécu au
cours de ces dernières années. C'est pourtant ce qui présenterait le plus
d'intérêt sur le plan de la fiction. Et on touche là un élément fondamental de
cette histoire qui a débuté avec les attentats du 11 septembre 2001 à New York
et Washington même si Ben Laden était recherché par les Etats-Unis depuis le
milieu des années 1990. C'est un fait, malgré tout ce qui a pu s'écrire et se
dire, on ne sait rien ou pas grand-chose du leader d'Al-Qaeda.
Bien sûr, il y a des images de lui et quelques rares interviews – dont celle
réalisée par le journaliste Robert Fisk dont la
crédibilité et le professionnalisme sont reconnus par tous. Tout cela prouve
que Ben Laden a bien existé. Mais reconnaissons qu'il était devenu une
virtualité depuis quelques années. Un ennemi invisible pour ne pas dire un
fantôme.
Je m'explique. L'arrestation de Saddam
Hussein, son humiliation devant une caméra (souvenez-vous de cet homme hirsute
palpé sans ménagement par un soldat), son procès et même son exécution barbare
ont permis de matérialiser le sort de l'un de ceux que les Etats-Unis avaient
dans leur ligne de mire. C'était la vie réelle même si cette dernière avait, là
aussi, quelques accents hollywoodiens. C'est tout le contraire dans le cas de
Ben Laden. Depuis cinq ou six ans, nombreux sont les spécialistes qui ont
avancé la thèse de sa mort. N'oublions pas non plus que certains se sont même demandé s'il avait bien existé ou non. En ne
capturant pas Ben Laden vivant et en livrant au monde entier cette histoire
farfelue et pour le moins choquante d'une dépouille jetée dans la mer d'Oman
(pourquoi là et pas ailleurs ?), les Etats-Unis viennent de renforcer la thèse
du terroriste virtuel, du fantôme, de l'ennemi qui n'a jamais existé et qui a
été inventé pour les besoins de la cause. « Nous allons faire tout notre
possible pour que personne ne puisse essayer de nier le fait que nous avons eu Oussama Ben Laden » a déclaré John Brennan,
le conseiller de la
Maison Blanche pour l'antiterrorisme. Dire cela, c'est déjà
ouvrir la voie à toutes les hypothèses. Il suffit ainsi de jeter un Å“il à la blogosphère pour comprendre que Ben Laden fait déjà partie
de ces thèmes dont vont s'emparer tous les adeptes des théories de la
conspiration. Après Kennedy, Marylin Monroe et
l'extra-terrestre de Roswell, voici venu le tour de
Ben Laden, l'homme dont on nous a annoncé la mort sans que l'on soit sûrs qu'il
était encore vivant toutes ces dernières années…
Dans un remarquable article, ma consœur Ghania Mouffok revient sur le
fait que les Etats-Unis ont exécuté Ben Laden sans le juger et qu'en cela, ils
ont adressé un message radical et sans aucune ambigüité
: la mort brutale, sans aucune autre forme de procès, est ce qui attend les
ennemis de l'Amérique (*). Effectivement, l'homme, parce qu'il s'agit d'un être
humain, aurait dû être jugé. Nous aurions aimé l'entendre raconter son
parcours, nous expliquer ses rencontres de jadis avec les agents de la CIA qui l'ont aidé à financer
la guerre contre l'armée rouge en Afghanistan. On aurait aimé l'entendre
s'expliquer sur le 11 septembre 2001 et sur d'autres événements sanglants de la
première décennie de ce siècle. Mais n'oublions pas que les films d'actions
d'Hollywood ne se terminent jamais bien pour le méchant et que ce dernier
survit très rarement.
Dans les « Wanted »,
ces fameux avis de recherche dans les films western, la mention « mort ou vif »
(dead or alive) n'est rien
d'autre que formelle et le spectateur sait bien que le message réel est « dead or dead ». Ben Laden, Jesse
James, Bonnie & Clyde ou Dillinger, même sort
scellé à l'avance…
Terminons tout de même par ces quelques
considérations à propos des motivations des Etats-Unis. Il est évident que ces
derniers n'avaient aucun intérêt à ce que Ben Laden soit pris vivant. Des
questions aussi simples que la tenue d'un procès ou le lieu de son
emprisonnement auraient généré mille et un problèmes légaux, politiques,
sécuritaires et logistiques. A cela s'ajoute un autre élément qui ne doit pas
être négligé : la charge de la preuve étant à l'accusation, l'administration
américaine se serait retrouvée dans l'obligation de fournir des témoignages
obtenus par la torture notamment à Guantanamo. D'accusatrice, elle se serait retrouvée elle
aussi dans le box des accusés. Ce pragmatisme brutal explique aussi pourquoi
Ben Laden n'a pas été enterré. Pas question pour les Etats-Unis que sa tombe
devienne un lieu de pèlerinage. Pas question d'offrir le moindre élément
concret sur lequel se bâtirait le culte d'un martyr. Pas de trace, pas de
jugement, pas de tombe, pas de testament, pas de dernière prise de parole :
l'ennemi numéro un de l'Amérique devait totalement disparaître. Il a donc été
effacé pour reprendre un autre terme cher aux scénaristes des Soprano. Et
demeurera cette question aussi fantasmagorique qu'insidieuse : mais a-t-il
vraiment existé ?
(*) La leçon d'Oussama, la leçon d'Obama...
Abdiques ou meurs comme un chien!, Maghreb Emergent, 4
mai 2011.
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Posté Le : 05/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com