Algérie

Ben Laden: opération Géronimo



Le dirigeant de la Qaïda est liquidé au moment où son mouvement est déjà en forte perte de vitesse Oussama Ben Laden a donc achevé sa carrière du plus grand bandit international. Après avoir défié les Etats-Unis, alors au sommet de son hyper-puissance, en organisant un immense attentat de masse en détruisant de façon spectaculaire les Twin Towers à New York, le dirigeant islamiste avait échappé pendant dix ans à une longue traque organisée par les services secrets et les forces américaines. On vient de connaître le nom de code de cette grande chasse à l'homme : « Géronimo ».

 Le surnom donné à Ben Laden par les services US est très flatteur. Au XIXème siècle, Géronimo fut l'un des principaux guerriers apaches qui résista à la conquête brutale des terres indiennes par les nouveaux colons américains et mexicains. A la fois chaman et guerrier, Geronimo mena une guérilla de près de vingt ans en déployant une astuce, un sens tactique et un courage que lui reconnurent même ses ennemis qui trahirent souvent les promesses faites au chef indien. An 1858, après le meurtre par les troupes mexicaines de sa mère, de sa femme et de trois de ses enfants, il commence des raids de représailles en territoire mexicain. Il venge sa famille le jour de la St Gérôme, d'où le surnom qu'il garda de Geronimo. La capacité à disparaître du combattant était attribuée par le peuple indien à ses prémonitions chamaniques qui l'avertissaient de la présence de l'ennemi.    Épuisé, fatigué de se battre, il finit par capituler le 4 septembre 1886. Exilé en Floride, il dicte ses mémoires en 1906 avant de mourir de pneumonie en Oklahoma en 1910. Bref ! La personnalité du vieux chef indien apparaît bien plus sympathique que celle du dirigeant de la Qaida que les services affublèrent de son nom. Curiosité historique : la tombe de Geronimo au cimetière du camp militaire Fort Sill aurait été profanée vers 1918 par un groupe occulte, Skull and Bones, de l'université de Yale. Cette confrérie étudiante secrète conserverait encore actuellement le crâne de Geronimo dans ses locaux de New Haven. On compterait au nombre des profanateurs, Prescott Bush, le grand-père de l'ex-président Georges W. Bush, lui-même membre comme son père, de la confrérie.

Coûteuses opérations militaires

Un siècle plus tard, cet épisode trouvera quelque écho dans la mystérieuse disparition du corps de Ben Laden, cadavre kidnappé puis précipitamment jeté à la mer. Les circonstances mêmes de la mort du chef de la Qaida connaissent des variantes successives. Un jour armé et prenant une femme en otage, il est dans une seconde version plus réaliste, abattu désarmé. Il est vraisemblable que les Etats-Unis n'ont pas voulu s'encombrer du procès à risques d'un prisonnier détesté et gênant, qui aurait pu mettre en évidence les facilités concédées à plusieurs reprises au terroriste par deux grands alliés des Etats-Unis dans la région, l'Arabie saoudite et le Pakistan. Il parait en effet, très peu crédible que la dernière cache de Ben Laden ait échappé à la toute puissante ISI, les services secrets pakistanais. Située dans la ville d'Abbottabad, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale pakistanaise, ce lieu de villégiature prisé par les anciens gradés de l'armée pakistanaise, est bien éloignée des zones tribales de la frontière afghano-pakistanaise où l'on imaginait Ben Laden reclus. Dans cette petite ville située à 50 kilomètres à peine de la capitale, Ben Laden vivait dans une vaste villa construite sans doute pour lui en 2005. Huit fois plus grande que les autres demeures du quartier, elle occupe un immense terrain et est entouré de murs de 5,5 mètres de haut surmontés de barbelés !

 Longtemps financé par l'Arabie saoudite, Ben Laden semble avoir bénéficié de l'hospitalité tacite du Pakistan lors de ces dernières années, alors même que l'armée de ce pays apportait un important concours aux Etats-Unis dans la guerre que ces derniers mènent en Afghanistan contre les talibans, principaux alliés salafistes de Ben Laden. Ce double-jeu, qui est loin d'être le seul dans la grande région, a des clés géopolitiques. Le Pakistan qui ne partage pas l'idéologie de l'islamisme salafiste, considère néanmoins l'Afghanistan comme son hinterland et ne souhaite pas que les Etats-Unis s'y maintiennent trop longtemps.

 Leur seul et vrai ennemi reste l'Inde et les tensions toujours très vives entre ces deux puissances nucléaires se cristallisent dans la région frontalière du Cachemire. L'Inde, très présente économiquement aujourd'hui en Afghanistan, s'intéresse beaucoup à cette zone stratégique, seul lieu de passage vers la mer, des très importantes réserves de gaz de l'Asie centrale. La Russie qui entretient des liens étroits avec les ex-républiques soviétiques, voit également d'un mauvais Å“il le transit de la manne énergétique traversant par des pipe-lines l'Afghanistan, puis exportée à partir de ports pakistanais. Après 10 ans de guerre infructueuse, malgré une force d'occupation de 150 000 soldats, 100 000 américains et 50 000 militaires alliés (dont 4000 français), le conflit en Afghanistan ne débouche sur rien : la démocratie, 1er but officielle de l'invasion, n'est nullement établie, les talibans ou plus exactement une coalition mouvantes d'intérêts tribaux contrôle de fait une majeure partie du territoire où les Etats-Unis mènent une guerre coûteuse, brutale pour les populations civiles et sans guère de perspectives d'issues favorables à leurs objectifs stratégiques.

 La mort de Ben Laden va nécessairement relancer aux Etats-Unis, le débat sur la présence militaire américaine en Afghanistan : la traque du terroriste n'était-il pas, avec l'établissement d'un état de droit, l'une des deux raisons officielles de l'intervention de 2001 ? Mais le coût de la formidable présence militaire dans le Grand Moyen Orient et plus particulièrement sur son front est, est très pesante dans le contexte de la logue crise budgétaire américaine. Outre des dizaines de bases au Qatar, au Koweït, en Ouzbékistan, au Kyrgistan, à Djibouti.., l'armée américaine continue de mener des opérations de guerre en Irak, en Afghanistan et aujourd'hui en Libye.

 Le seul maintien des troupes américaines en Irak, sans perspectives de victoire ou même de stabilisation du pays, a couté au budget américain 3000 milliards de dollars en huit ans. Les dépenses en 2010 consacrées à la « Défense » et aux postes des diverses services de renseignement et du Pentagone s'élèvent à 39% du budget fédéral, soit 1373 milliards, alors que les dépenses sociales sont rognées chaque année et que Barack Obama ne trouve pas les ressources pour financer l'une de ses principales promesses électorales, la réforme du système de santé américain.

La seconde mort de Ben Laden

Le président américain pour néanmoins se targuer d'avoir eu la peau de l'homme le plus détesté par la population américaine, confortant par là de façon importante sa probable réélection dans moins de deux ans. Il a également marqué un point symbolique contre le terrorisme djihadiste, dont les différents mouvements ont déjà été ébranlés par de nombreux démantèlements de réseaux et arrestations de militants. Mais le salafisme a réussi à rebondir et à retrouver de nouveaux fronts d'action, tant en Irak que dans la région sahélo-saharienne. Toutefois, plus surement que par la répression, l'islamisme radical semble avoir été totalement pris de court par le surgissement de la révolution démocratique arabe. Victorieux en Tunisie et en Egypte, ce mouvement populaire a gagné quasiment l'ensemble du monde arabe et secoue sérieusement nombre de pouvoirs en place qu'il s'agisse du Yémen, de la Syrie, du Bahreïn, du Maroc… La vieille rhétorique du salafisme contre le chiisme, l'impérialisme apostat, les croisés et les juifs apparaît comme totalement hors du jeu face aux puissantes revendications démocratiques et sociales. L'éditorialiste du Monde du 3 mai avait raison de parler de parler de la « deuxième mort du fondateur d'Al Qaida », constatant que « Ben Laden meurt au moment où la capacité de mobilisation et d'entraînement de l'islamisme est sur le déclin ».

 Au mieux, le salafisme pourra continuer de prospérer sur les obstacles rencontrés par le mouvement démocratique. Cela peut-être le cas en Libye et au Yémen. L'attitude des puissances occidentales peut également contribuer à favoriser un regain du terrorisme. La tentative d'attentat sur Kadhafi, qui a entraîné la mort de l'un de ses fils et de trois de ses petits-enfants, dans le cadre d'une guerre civile confuse, peut conforter l'idée que décidemment les Occidentaux ne changent pas de méthode avec le monde arabo-musulman. En organisant ce bombardement aussi ciblé que calamiteux, les Américains, les Français et les Anglais vont bien au-delà du mandat donné par l'ONU et interviennent directement non comme force d'interposition pour protéger les populations civiles mais véritablement comme cobelligérants. L'Occident pouvait et peut encore jouer un rôle éminemment progressiste en apportant une aide économique massive, d'urgence et à long terme, au sud de la méditerranée, confortant ainsi d'abord les expériences démocratiques en Tunisie et en Egypte. Un « plan Marshall » méditerranéen, outre qu'il serait fortement bénéfique à moyen terme aux économies européennes, permettraient d'exercer de réelles pressions sur les régimes autoritaires qui rechigneraient à accélérer la modernisation de leur système politique souvent corrompu. Mais les seules réponses furent militaires, assorties d'un discours affligeant sur « l'humanitaire belligérant » doublé d'un contrôle paranoïaque des réfugiés en provenance de ces zones avec le spectacle consternant de la « guéguerre franco-italienne », les deux vieilles démocraties se renvoyant comme des paquets de viande pas fraiche, les petites dizaines de milliers de réfugiés en provenance de Tunisie et de Libye.

Réconciliation palestinienne

Et pourtant, les idées progressent. Sous l'égide de la nouvelle diplomatie égyptienne, le Fatah, le Hamas et onze autres mouvements, parmi lesquels le Djihad islamique, le FPLP, le FDLP, et les ex-communistes, ont signé mardi 3 mai au Caire un accord mettant fin à leurs divisions. L'objectif est de préparer des élections présidentielle et législatives d'ici à un an, d'accompagner le mouvement d'une reconnaissance de l'état palestinien par un vote de l'ONU à l'automne prochain et de reconstruire la bande de Gaza. Les pays du golfe devraient financer la reconstruction de l'enclave palestinienne sous embargo et mise à mal par l'opération israélienne « Plomb durci » et le terminal de Rafah à la frontière entre Gaza et l'Égypte va rouvrir. La condition n'était pas écrite mais le Hamas s'est engagé le 3 mai, à respecter une trêve officieuse envers Israël et la conduite des négociations de paix avec Israël reste de la responsabilité de Mahmoud Abbas, en sa qualité de chef de l'OLP. Certes, la trêve entre les deux mouvements frères-ennemis palestiniens, est fragile. Les alliés du Hamas, la Syrie et de façon plus lointaine l'Iran n'ont guère d'intérêts internes et externes à une normalisation du très vieux conflit palestinien. Pas plus qu'Israël qui a violement protesté, comme son allié américain contre cette réconciliation, menaçant de rompre les négociations avec les Palestiniens. Celles-ci sont plutôt au point mort depuis très, très longtemps, alors que la colonisation des terres continue. La classe politique israélienne dans son ensemble a elle aussi parue décontenancée par les progrès du mouvement démocratique arabe. Loin de s'en réjouir, Tel Aviv ne voit dans les puissantes manifestations qui se déroulent partout et où sont absents les traditionnels mots d'ordre antisionistes, qu'une nouvelle preuve du complot arabe contre son existence, prévoyant comme pour s'en satisfaire, l'inéluctable prise de direction des mouvements par les fractions islamistes radicales. Cet aveuglement volontaire ne va pas dans les intérêts du peuple israélien lui-même qui aspire lui aussi à un retour à une paix définitive dans la région.








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