Après Carlos, Ben
Laden. Le monde enterreun nouveau modèle de violence,
mais pas les problèmes qui lui ont donné naissance.
Un vent de
liberté souffle sur le monde arabe, sans que la menace islamiste ne s'impose
clairement comme la seule alternative aux pouvoirs autoritaires en place. Et
c'est à ce moment précis qu'Oussama Ben Laden a été
tué, après une traque de plus de dix ans. Faut-il y voir un signe, selon lequel
le cycle de l'islamisme radical violent serait arrivé à son terme, et que les
pays arabes peuvent désormais aller tranquillement vers la démocratie, sans
crainte d'une dérive qui permettrait aux ennemis de la démocratie de prendre le
pouvoir par les urnes?
Le raccourci est
séduisant. Mais dangereux. Car il occulte des données essentielles liées à Ben
Laden lui-même, et au rôle historique que ce courant islamiste radical a pu
jouer dans le monde moderne. Un rôle qui apparait à
travers ce rappel de l'itinéraire du chef de la compagnie Al-Qaïda:
la CIA a mis dix
ans pour créer Ben Laden, dix ans pour le gérer, et dix ans pour l'éliminer.
Avec des dégâts collatéraux dramatiques pour le monde musulman : deux pays
occupés et détruits, des centaines de milliers de morts dans d'autres pays, une
société détruite, écrasée, humiliée, et qui peine encore à redresser la tête ;
des pays entiers qui aspiraient à la démocratie depuis des décennies, mais qui
se trouvaient condamnés à subir des régimes autoritaires sous prétexte que la
démocratie apporterait inévitablement le chaos de la dictature islamiste.
L'histoire de Ben
Laden renvoie donc le monde musulman à sa dure réalité. C'est une société dont
des pans entiers, par crainte d'affronter l'avenir et ses incertitudes, rêvent
encore du retour à un mythe ; une société dont l'autre partie n'arrive toujours
pas à trouver les bons leviers pour s'accrocher au monde moderne. Dans cet
affrontement, somme toute très banal dans l'histoire de l'humanité -l'ordre
nouveau contre l'ancien, la modernité contre la tradition, demain contre hier-,
le monde musulman offre un champ idéal pour toutes les manipulations, toutes
les compromissions et toutes les trahisons.
Mais le paradoxe
ne s'arrête pas là. Ces défaites politiques et morales, autant que militaires,
cette incapacité à imposer et à maitriser la
modernité, ne sont pas pour autant venues à bout de toutes les luttes, tous les
espoirs et tous ces formidables élans de mobilisation que vivent les sociétés
musulmanes. Des victoires, mêmes éphémères, continuent de faire l'histoire de
ces sociétés. Des avancées, même remises en cause,
témoignent encore de la vitalité de ces sociétés et de leur volonté de
bousculer le destin. Ce parcours chaotique impose donc de nouvelles réflexions,
pour permettre l'émergence de nouvelles règles : comment éviter qu'un nouveau
Ben Laden ne vienne encombrer le chemin de la construction démocratique qu'il
faudra tôt ou tard engager ? Comment éviter que l'épouvantail d'un Aymane Ezawahiri ne serve de
prétexte à un futur Ben Ali pour empêcher son pays d'aller vers la liberté et
le progrès ? Et puis, comment faire en sorte que les Occidentaux ne puissent
plus nous créer des Ben Laden, après nous avoir longtemps ligotés avec
Khomeiny, Saddam, Kadhafi et Omar El-Bachir ?
Car il ne faut
pas se voiler les yeux. Ben Laden est autant un montage qui a échappé à ses
fabricants, qu'il est le produit d'une société en crise. On peut bien accuser,
à raison, la CIA
de l'avoir créé dans une phase donnée, mais Ben Laden est d'abord le produit
d'une société musulmane en crise. Il a bénéficié de la sympathie d'une partie,
même minime, de la société musulmane, qui y voyait une sorte de vengeur masqué,
utilisant sa fortune et ses réseaux pour s'attaquer aux plus puissants. Au
moment où l'islamise remplaçait le communisme come
grand ennemi de l'Occident, Ben Laden a pris le relais de Carlos, qui était à
la gauche ce qu'a été ben Laden à l'Islam, tout en donnant à son action une
envergure exceptionnelle. D'ailleurs, sa mort a suscité un malaise, et si
l'opinion arabe ne semble pas franchement désolée de sa disparition, elle n'a
pas non plus applaudi le raid américain qui a permis de le tuer. Les
Américains, quant à eux, ont fait preuve de leur arrogance traditionnelle, même
si une certaine gêne pointe cette fois-ci dans leur communication. Après avoir
annoncé que Ben Laden s'était défendu lors de l'assaut durant lequel il a été
tué, ils ont fini par admettre qu'il n'était pas armé. Ce qui signifie qu'il a été
froidement abattu. Pour expliquer la mort de femmes et d'enfants abattus avec
lui, les Américains ont affirmé qu'une femme a été utilisée comme bouclier
humain. C'est de la propagande primaire, qui laisse entendre qu'un musulman
utilise même son épouse pour se protéger. Ce qui montre que chez les
Américains, de gros efforts restent à faire pour être convaincants face aux
musulmans, alors que pour les musulmans, tout reste à faire pour convaincre
qu'ils sont aptes à bâtir un monde différent.
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Posté Le : 05/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com