Algérie

Belvédère de Aïcha Kassoul Une histoire algérienne



Belvédère de Aïcha Kassoul Une histoire algérienne
Publié le 03.02.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
MERIEM GUEMACHE

Après la Colombe de Kant (2017), Aïcha Kassoul est de retour dans les librairies avec son tout nouveau roman Belvédère paru chez Casbah éditions.
L’écrivaine s’inspire de l’histoire de l’Algérie de ces trente dernières années pour planter le décor de cette fiction teintée de passages autobiographiques. Elle y fait référence, entre autres, à la prise d’otage par un commando du GIA d’un avion d’Air France, le 24 décembre 1994, assurant le vol Alger-Paris, avion où elle se trouvait ce jour-là.
Charène. L’étudiant et narrateur est le personnage principal de Belvédère. Le titre est un clin d’œil à Miliana d’où est originaire Smaïl Guerroudj, le prof de Charène. Un enseignant atypique qui invite souvent ses étudiants en lettres françaises à prendre un café au cercle Taleb Abderrahmane de la rue Didouche-Mourad, pour refaire le monde.

Durant les cours, l’étudiant baille aux corneilles et ne quitte pas sa montre des yeux. Il trouve que la littérature qu’on lui enseigne à la fac est en parfait décalage avec les évènements tragiques qui secoue la société en ces années rouges. Alger est à feu et à sang. Les hordes intégristes sèment la terreur. «Période sans amour donc. Sans intérêt pour des études de lettres dans un département de français vidé de ses enseignants qui se croient menacés ou étaient sûrs de l’être, un linceul déposé devant leur porte, un cercueil en miniature dans leur boîte aux lettres.»

Les évènements tragiques s’enchaînent. Appelé à la rescousse depuis son exil marocain, le président Mohamed Boudiaf est assassiné à Annaba le 29 juin 1992. «Révolutionnaire de la première heure, M.B. était appelé à sauver l’Algérie. Son assassinat pourrait être une sorte de mythe national pour nous, comme celui de JFK pour un Américain, ou un Chilien, celui du président Allende dans son palais pilonné par les bombes de la CIA. Mais non. Comme beaucoup d’Algériens, j’ai vécu en entendant dire que M.B. avait été tué par un islamiste, un officier spécialement entraîné pour combattre et vaincre les islamistes. Quelle idée.» Licence en poche, l’étudiant débarque à Paris pour préparer une thèse en littérature en septembre 1994.

A 22 ans, il s’inscrit à l’université de Nanterre et se réjouit de découvrir un milieu estudiantin bouillonnant. Un air de liberté qu’il n’avait pas connu à la Fac d’Alger. L’étudiant est frappé par la manière dont les filles s’expriment, sans retenue, sans filtre. «Toutes ces filles paraissaient complètement débridées, elles donnaient l’impression de dérailler, et je voyais bien que c’était un choix. Leur choix. Juste et nécessaire.»

L’amour lui tombe dessus sans crier gare. Elle s’appelle Naïra. Un prénom qu’il découvrait pour la première fois. «... Etranger aux nouveautés importées du Moyen-Orient entre deux stocks de souak et de kamis.» Le couple vit son amour en toute liberté. Plus tard, lorsque Charène décide de rentrer en Algérie, ils scelleront leur union sans tambour ni trompette. «Les parents de Naïra étaient pragmatiques, son père surtout, un mariage au consulat d’Algérie lui épargnerait un déplacement coûteux.»

Lors de son séjour à Paris, l’étudiant invite sa mère et sa sœur à passer quelques jours avec lui. C’était le 24 décembre 1994. Manque de pot, l’airbus d’Air France dans lequel les deux voyageuses avaient embarqués à Alger est détourné par un commando du GIA. Trois otages sont abattus. Dans l’oiseau d’acier, la tension monte. «Le chef du commando est furieux, il sermonne comme un enfant un émigré, la cinquantaine grisonnante et moustachue. Tu n’as pas honte, tu ne sais pas que tu ne dois pas porter ça? Une chevalière. Qui fâche non pas en raison du serment d’amour gravé à l’intérieur, ‘’Hier moins que demain’’, mais à cause de l’or réservé, foi de sunna...» Trois jours après, les otages de l’avion sont libérés par le GIGN sur le tarmac de l’aéroport de la cité phocéenne. La mère de Charène n’est plus la même personne.

Cette terrible expérience va la marquer même si elle s’en défend. «... Je la voyais saisir la moindre occasion pour attirer l’attention sur elle, amusé un public acquis, en racontant les blagues de sa captivité. Une comédie pitoyable. Personne n’osait l’arrêter, même pas moi.»

Suite à ce traumatisme, sa mère, professeur à l’université et productrice à la Radio algérienne, fait des kilomètres de marche au quotidien et tente d’écrire un livre-témoignage sur ces trois jours de captivité. Ce récit, intitulé «Chronique de l’impure», écrit sur sa vieille Olivetti, demeurera inachevé puisque elle décédera quelque temps après. «Une quinzaine de pages, des ratures, des rajouts à la main (...). C’était sa vie que j’avais là, un morceau en tout cas, un secret pour moi, révélé par sa mort...» Charène va faire publier cette ébauche de livre en espérant écrire un jour le sien.

Après l’obtention de son doctorat, l’étudiant rentre au pays. Il trouve un poste d’enseignant à l’université de Bouzaréah avant d’être catapulté, par l’entremise d’un ministre, au sommet de l’échelle dans un job plus influent et mieux rémunéré. Son mariage avec Naïra résistera-t-il à la vie algéroise ? La vague de la «îssaba» l’emportera-t-elle derrière les barreaux d’El Harrach? Le cahier bleu envoyé par son ancien prof sera-t-il le point de départ de son roman ? Autant de réponses que vous découvrirez en lisant cet ouvrage palpitant.
Aïcha Kassoul a été professeure de lettres à l’université d’Alger 2, consule d’Algérie en France, productrice et animatrice de l’émission «Un monde qui nous rassemble parce qu’il nous ressemble» à la chaîne 3. A son actif L’Algérie en français dans le texte (ouvrage collectif, Enag), Les Misérables (adaptation du roman de Victor Hugo, Casbah éditions), Chroniques de l’impure (Marsa), Le pied de Hanane (Casbah éditions), La Colombe de Kant (Casbah éditions).
Meriem Guemache

Belvédère. Aïcha Kassoul. Casbah éditions. 2023. 142p. 900 DA.



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