Algérie

Belbachir Mohamed, un poète dans la ville



«Ouahran ki kounti...» A la fois poète et animateur, Belbachir Mohamed, plus connu dans le milieu artistique sous le sobriquet de Bahri, se veut le chantre d’Oran. Ce troubadour des temps modernes dédiera la plupart de ses qacidates à la ville qui l’a vu naître. « Wahran ya emma ki kounti/ Chebba eddouekhi koul ma ja lik zayer/ Bzinezk chella men aâqoul akhtafti/ Ouelli chafek fi enhar maâloum ibet ellil saher». Ces premiers vers d’une longue qacida en six parties, toute empreinte de nostalgie, reflète tout l’amour qu’il porte à sa ville qui sera sa première source d’inspiration. Pour accéder au rang de Cheïkh et de poète, Bahri a dû faire son apprentissage auprès des plus prestigieux noms de la chanson bédouie, dont la plupart étaient également des grands maîtres de la poésie populaire. Il fait partie d’une race, en voie de disparition, de grands berrahs dans la lignée des défunts Hadj Guedda ou Cheïkh Abdelkader Naqqous. Ces gardiens de trésors du patrimoine culturel oral ont été, grâce à leur infaillible mémoire, de véritables médiateurs entre les générations en réussissant à sauvegarder et vulgariser le répertoire des chouyoukhs de la chanson bédouie et les qacidates des grands maîtres de la poésie melhoun. Compagnons de route des chouyoukhs, qu’ils assistaient dans les fêtes( mariages, waâdates), leur présence était indispensable pour agrémenter le concert en ponctuant chaque qacida de «tebrihates», intermèdes oratoires qui avaient pour effet de provoquer les youyous, susciter les enchères, assurer une bonne recette et donner du rythme à la fête. «Cette race de berrahs a hélas disparu à Oran, «les grands poètes aussi, même les paroles des chouyoukhs d’aujourd’hui n’ont plus ni la même puissance ni la même beauté», dira Bahri avec beaucoup d’émotion dans la voix. «Les temps ont changé. Il y a certains qui tentent contre toute attente de porter encore le flambeau, à l’instar des frères Medjahed ou encore de Blaha Benziane, qui fait aujourd’hui une belle carrière de comédien mais qui est aussi un véritable cheikh. Il travaille inlassablement pour la collecte et la sauvegarde du patrimoine culturel oranais. Dans ce domaine, il constitue une encyclopédie à lui tout seul». C’est dans le quartier de Medina Djida que Belbachir Mohamed a vu le jour par un matin du 12 décembre 1945. Bahri, fils unique, sera chéri et entouré de tous les égards par son père. Maquignon de son état et fervent passionné de poésie populaire, le père, à la fin de chaque journée, ira, en compagnie de son fils, s’enivrer des qacidates des chouyoukhs sur les terrasses des cafés de la mythique esplanade de Tahtaha. A cette époque, les cafés étaient les lieux de rencontre des grands maîtres du melhoun, qui résidaient à Oran et avaient pour nom Mohamed Ould Abdellilah, Bekhedada Lamari, Abdelkader Ould Laïd, Abdelkader Khaldi, Tayeb Essigli, Mohamed Touil, Tayeb Benaoum ou d’autres chouyoukhs provenant de Mostaganem, Tiaret ou Relizane. Il accompagnera son père également dans les mariages animés par ces figures emblématiques qui se déroulaient dans la journée et constituaient la seule grande distraction. Depuis sa plus tendre enfance, Bahri vouera un grand respect pour les chouyoukhs et sera fortement imprégné de cette culture populaire, ce qui allait déterminer son cheminement futur. Il fera ses études primaires dans son quartier natal au sein de l’école Hammou Boutlélis (ex Paul Langevin). A l’indépendance, il intègre le club de football de l’ASMO où il démontrera des aptitudes techniques certaines et aurait pu faire une grande carrière sportive mais son penchant pour la poésie populaire sera le plus fort. Le prestigieux club oranais disposait d’un orchestre, composé des Ouled Aoued, Mohamed Ould Ali, Bendida Mohamed, Houari et Cheikh Ouaddah, qui se produisait à l’occasion de mariages de sociétaires du club. C’est là qu’il se forgera au métier. A partir de 1964, il travaillera avec les fils Bensmir durant plus de trois ans en qualité de berrah se contentant de déclamer des roba’yettes qu’il empruntait aux qacidates des chouyoukhs. Ensuite il intègrera la formation artistique dirigée par le prestigieux musicien Belarbi Mohamed qui était réputé à Oran pour créer l’ambiance festive typiquement oranaise. Son excellente mémoire, sa bonne diction et son élégance sur scène quand il portait le costume traditionnel (‘abaya tussor, seroual testifa et turban) allaient rapidement lui permettre d’asseoir sa notoriété. Le poète Mekki Nouna, président de l’association de la chanson traditionnelle oranaise (Acto), qui le connaît depuis longue date, parle de lui en termes élogieux: «Bahri avait un don de mémorisation incroyable. Quand il assistait à un mariage de gasba, il prêtait une grande attention aux qacidates interprétées par les chouyoukhs. Une fois la fête terminée, les qacidates étaient déjà apprises. Il avait une mémoire exceptionnelle. C’est un membre fondateur de l’ACTO qui s’est avéré un véritable éducateur en s’efforçant d’encourager tous les jeunes berrahs à perpétuer la tradition et à sauvegarder un patrimoine immatériel». Il nous relatera également une anecdote qui scellera la notoriété de Bahri dans la région. A la mort de Hadj Guedda, son célèbre berrah, le Cheikh Abdelkader Ould Laïd demanda au jeune débutant Bahri de l’accompagner dans un mariage célébré dans la plaine de la Mleta chez les Rouaïssa. Au premier abord, les hôtes hésitèrent et montrèrent un certain mépris à l’égard du jouvenceau venu remplacer le défunt berrah qui jouissait d’une grande autorité dans la région. Le Cheikh invité cautionnera son compagnon et leur rétorquera «Attendez que la fête commence et ensuite tardouh ouella khallouh». Ce jour là, Bahri médusa son assistance par son savoir-faire. Les hôtes séduits par la connaissance de textes et les envolées du jeune berrah, intimèrent à Cheikh Ould Laïd de ne plus revenir dans les Douaiers qu’en compagnie de Bahri. C’était la consécration. Depuis, Bahri sera sollicité par la plupart des chouyoukhs qui se disputeront son concours, convaincus que sa présence rehausserait leur récital et leur assureraient la bonne affaire. La capitalisation d’un riche répertoire de qacidates allait, bien sûr, susciter son inspiration et le pousser à écrire ses propres qacidates. La tradition veut que lorsqu’on peut réciter de mémoire une trentaine de qacidates, on mérite le titre de Cheikh. Bahri ne s’arrêtera pas là et tentera l’aventure de la création de ses propres qacidates où il évoquera avec beaucoup de nostalgie les images et les souvenirs d’Oran durant ses années de gloire. Oran sera, bien sûr, sa source d’inspiration mais la nostalgie et l’amour constitueront également ses thèmes de prédilection qu’il développera dans les qacidates « El galb rah maâmar ma bqa ouine izid», «Ghram Kheïra», «Khoud haqek ou haq enesse khalih», «Esselt galbi ma rad aâliya bejouab» ou «Choufou lebnat el bareh». Aujourd’hui, Bahri déplore le fait qu’on ne se souvienne de la poésie populaire qu’en de rares occasions et plaide pour une plus grande implication des autorités locales en vue de protéger et sauvegarder ce riche patrimoine. G. Morad


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