Produit par Thala films, le documentaire est né du besoin de son réalisateur de trouver une réponse à sa question : pourquoi n’ai-je jamais voté ? La parole a été donnée à quelques Algériens en pleine campagne électorale de la présidentielle de 2014, qui avait consacré Abdelaziz Bouteflika, alors malade, président de la République pour un 4e quinquennat de suite.
Premier documentaire à avoir été censuré dans le cadre des Journées cinématographiques de Béjaïa, en 2016, Vote off, documentaire du jeune Fayçal Hammoum, a été projeté samedi dernier par le Ciné-club de l’association Project’heurts à la Cinémathèque de Béjaïa. Dans une logique de réappropriation des espaces publics dans la conjoncture actuelle d’éveil et de révolte populaires, le Ciné-club récidive en projetant le film, après l’avoir fait, trois semaines plus tôt, avec un autre documentaire censuré, Fragments de rêves, de Bahia Bencheikh El Fegoun.
Le public, peu nombreux, a réalisé que Vote off colle à l’actualité nationale et que sa censure n’a fait que l’offrir à une meilleure coïncidence. Produit par Thala films, le documentaire est né du besoin de son réalisateur de trouver une réponse à son interrogation : pourquoi n’ai-je jamais voté ? La parole a été donnée à quelques Algériens en pleine campagne électorale de la présidentielle de 2014, qui avait consacré Abdelaziz Bouteflika, alors malade, président de la République pour un 4e quinquennat de suite. Les personnages de Fayçal Hammoum ont de la peine à lancer le débat. La caméra s’attarde sur des silences qui traduisent un malaise profond.
Les langues ne se sont pas déliées comme aujourd’hui. Le rouleau compresseur du régime est mis en branle pour faire campagne par procuration à un président-candidat «absent». Les séquences du film nous font revivre un épisode politique haïssable, mais nous rappellent surtout un scénario qui était à deux doigts d’être reconduit au début de l’année en cours. Sellal haranguant les foules dans une salle à Blida remplie de gens fêtards et égarés. Sur la tribune, Rabah Madjer tout souriant, puis une chanteuse de raï dandinante fait danser, au fond de la salle, de jeunes oisifs.
Le discours, les manœuvres oratoires et la mécanique de l’endormissement sont les mêmes. «L’équipe nationale s’est qualifiée deux fois pour la Coupe du monde, et c’est grâce à Abdelaziz Bouteflika !», hurle Abdelmalek Sellal, dont le ton vaudevillesque ne date pas de ce jour-là. La chose footballistique a toujours été instrumentalisée par le régime pour se perpétuer. Cette fois-ci encore, il lorgne certainement la CAN de juin prochain.
Vote off sert de miroir d’un passé récent autant que d’un présent où le discours officiel crie toujours haro sur «la main étrangère». Sellal le crie dans ses meetings, nous rappelant à la toute récente mise en garde de Gaïd Salah, le chef d’état-major de l’armée. Le discours du régime n’a pas changé d’un iota et le cinéma sert à le fixer en images. Mais il ne prend pas auprès des jeunes. Younès Sabeur Cherif, animateur principal à Jil FM (puis du talk show «Mazal el hal» sur El Djazaïra One), est foncièrement engagé contre le 4e mandat.
Si lui s’intéresse à la politique, des jeunes anonymes, à qui le réalisateur a tendu le microphone, prennent toutes leurs distances par rapport à la chose politique et, encore plus, à l’acte de voter. «J’ai voté une seule fois dans ma vie, c’était pour faire plaisir à ma sœur», confie l’un d’eux. «Match mabyou3 (le match est vendu)», renchérit un autre, dont le mot d’ordre est, cinq ans plus tard, le même que chez les manifestants des marches populaires des vendredis. «Le vote ? Je n’ai aucune idée comment ça se passe», répond, dramatiquement, un autre jeune homme désabusé.
Un grand fossé entre la jeunesse algérienne et la gérontocratie au pouvoir. Le rendez-vous du 17 avril 2014 n’a pas capté l’intérêt de ces jeunes rappeurs pris dans les rets du chômage et de la misère de leur quartier algérois, en manque de scènes pour chanter leurs talents. L’équipe d’une web radio n’est pas mieux lotie, livrée à la merci des aléas de la connexion et de son abandon par l’Etat. Certains se consument à la nicotine en attendant des jours meilleurs.
La caméra de Fayçal Hammoum a investi des espaces où l’expression du malaise social est profonde et sourde. Elle réserve des plans entiers pour les partisans de Bouteflika, donnant au documentaire son empreinte d’ambivalence entre deux camps opposés. Elle s’est engouffrée aussi dans les locaux d’El Watan Week-end et de ceux d’El Chorouk TV pour prendre la température médiatique sur fond de campagne électorale, où la voix des boycotteurs tente de se faire entendre.
Le jour du vote, pas de signe de fièvre électorale. «Beaucoup ne savent pas ce qu’il y a aujourd’hui», constate un jeune Algérois. A peine des échos repris. «Il paraît que Bouteflika a voté ce matin. On l’a ramené en mode X man», commente un jeune boycotteur. «On a voté à sa place. T’as pas vu le bonhomme entrer avec lui ?», ajoute un autre.
Que se passera-t-il le 18 avril ? «On reparlera de la finale Mouloudia-JSK», répond un jeune buraliste. «C’est comme la nuit de noces pour le nouveau marié, le lendemain, il se réveille sur un nouveau jour après les inquiétudes de la veille», résume ce commerçant qui a «oublié» de voter. L’image de la défloration est cohérente, Vote off nous rappelle justement qu’en 2014, la «mariée» a été sacrifiée pour le plaisir du violeur.
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Posté Le : 16/04/2019
Posté par : soufisafi
Ecrit par : K. MEDJDOUB
Source : EL WATAN