Béjaia - Tala Hamza

Béjaïa - Mine de zinc de Tala Hamza: Inquiétudes et opacité autour d’un projet controversé



Béjaïa - Mine de zinc de Tala Hamza: Inquiétudes et opacité autour d’un projet controversé


Depuis quelques semaines, l’opinion publique se passionne pour le projet de la mine de zinc de Tala Hamza qui vient d’être officiellement relancé. Si nul ne peut nier l’importance économique du projet pour la région et pour le pays, personne ne peut ignorer les risques liés à la pollution de l’environnement inhérents à l’exploitation de ce type de gisement.

La question qui se pose est celle-ci: la compagnie en charge de l’exploitation du site sera-t-elle en mesure de débloquer les investissements colossaux en vue d’éliminer ou de contenir ces risques? C’est cette même question que nous nous posions déjà dans l’enquête publiée en 2007 par El Watan sur ce même sujet.

Sous couvert d’anonymat, un ingénieur algérien, spécialiste des mines, a accepté d’analyser pour nous le projet de mine de zinc de Tala Hamza. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les interrogations que soulève le projet ainsi que les zones d’ombre qui l’entourent sont très nombreuses.

Pour commencer, voilà en résumé les plus récentes informations disponibles sur le projet. Il est, en effet, prévu le traitement de moins de 2 millions de tonnes de minerai par an et une production de moins de 200.000 tonnes combinées de concentrés de zinc et plomb. L’alimentation en eau pour le fonctionnement de l’usine de traitement se fera par puits de forage. Le transport des concentrés de zinc et plomb vers le port de Béjaïa se fera par camions alors que le calendrier actuel prévoit d’obtenir le permis d’exploitation et l’acquisition des terrains au courant de l’année 2021. Au final, la construction des installations et infrastructures serait complétée en 2023 pour un début de production de concentré de zinc fin 2023. Il est également prévu de déplacer 62 familles locales avant de commencer les travaux de construction.

Découvert il y a une cinquantaine d’années, le projet de mine de Tala Hamza n’a pas connu d’avancée significative. Pour notre ingénieur, cela veut dire que le «business plan» de ce projet n’est pas économiquement viable, ou alors que les risques associés ne sont pas maîtrisables. Ce projet présente des défis techniques très complexes sur plusieurs aspects.

De plus, de telles activités minières posent de sérieux risques sur l’environnement et la santé publique vu la forte densité de population dans la région et son attachement millénaire à ses valeureuses terres exclusivement agricoles, sans oublier la proximité de la ville historique de Béjaïa qui n’est qu’à une poignée de kilomètres à vol d’oiseau.

Pour notre expert, normalement, pour les mines souterraines, comme celles de Tala Hamza, les travaux de forage d’un puits d’accès au minerai de 200 mètres de profondeur se font durant les études. Cela n’est pas le cas à Tala Hamza et cela voudrait dire que personne n’est vraiment prêt à exploiter ce gisement. «Quand on parle de Terramin en Algérie, on ajoute souvent que c’est australien. Je pense qu’il faut que les gens sachent que Terramin est depuis 2011 plus chinois qu’australien. C’est chez eux qu’il y a le plus grand nombre d’accidents de mine et de loin. Il y a un mois, 22 mineurs ont perdu la vie dans une mine souterraine en Chine», dit-il.

- Les défis techniques et les risques sur l’environnement

Pour notre ingénieur, les rapports techniques disponibles sur le projet indiquent que les résultats des carottages effectués sur le site du gisement montrent que les roches mères du minerai sont de très faible résistance mécanique. «Cela complique les méthodes d’extraction du minerai à envisager pour les opérations de mine souterraine à plus de 200 m de profondeur. Par conséquent, les coûts de ces opérations seront vraisemblablement élevés si on veut garantir la sécurité des travailleurs et éviter des effets d’effondrements massifs et affaissements en surface. La plus récente étude actualisée du projet de la mine d’Amizour montre d’ailleurs que la méthode d’extraction prévue lors de la première l’étude dite de ‘‘Blocks Caving’’ a été abandonnée au profit d’une approche plus simplifiée ; d’où le projet actuel de dimensions réduites. Celle-ci permettrait d’extraire moins de matériaux néanmoins avec des risques aussi sérieux», dit-il.

Notre expert ajoute également que le rapport des études d’optimisation publié par Terramin en 2018 pour les investisseurs australiens indique qu’il y a plusieurs carences dans le modèle géologique utilisé. «Ces incertitudes sont liées notamment à la quantité insuffisante de carottages effectués sur le site. Par conséquent, la valeur réelle des ressources du minerai en zinc et plomb n’est pas exacte et reste à confirmer.»

L’autre problème que soulève l’ingénieur que nous avons rencontré est la présence du sulfure de fer, appelé aussi pyrite, dans les minerais de zinc-plomb, d’or et de cuivre… «Non seulement cela complique plus les procédés de traitement de ces métaux, mais la pyrite est connue aussi pour provoquer des dégâts écologiques désastreux aux alentours des sites miniers depuis longtemps à travers le monde car la réaction de cette espèce minérale sans valeur en contact avec l’eau et l’oxygène produit de l’acide sulfurique qui pourrait avoir des impacts destructeurs sur l’environnement. La région de Merdj Ouamane et Tala Hamza est connue pour ses ressources hydriques à la fois souterraines ou de surface qui pourraient être irréversiblement affectée par ce phénomène. Ceci à travers les déchets et résidus générés par l’usine de traitement et aussi via les galeries souterraines en contact avec les nappes phréatiques», analyse notre spécialiste.

D’autres défis se posent avec acuité. En effet, les conditions hydrogéologiques dans la région de la vallée de la Soummam, qui forment des ressources en eau d’une valeur inestimable, sont à la fois techniquement complexes et socialement très sensibles. En effet, le gisement de zinc d’Amizour, qui s’étale sur une superficie de 125 km2, est situé au centre de ces ressources dont dépendent entièrement les populations locales depuis des siècles, voire des millénaires. La question à se poser est donc: est-il possible d’extraire le minerai et le traiter sans perturber ces conditions hydrogéologiques extrêmement vitales pour la région?

«La mine de Tala Hamza va générer des déchets après traitement du minerai dans l’usine. Ils représentent plus de 95% des matériaux extraits du gisement. Ces résidus, produits sous forme de boues, contiennent des éléments contaminants et doivent être soigneusement contenus pour l’éternité dans des bassins. Ces ouvrages de stockage de résidus doivent être adéquatement aménagés afin d’éviter des ruptures de digues et fuites de boues vers l’environnement, comme c’était le cas récemment dans plusieurs sites à travers le monde causant des catastrophes écologiques et des victimes humaines. Cet aspect va certainement constituer un défi énorme dans le cas de la mine de Tala Hamza vu les conditions défavorables, notamment topographique, hydrologique, sismique et la forte densité de la population», dit encore notre ingénieur.

- Risques sur les infrastructures existantes

Pour lui, il existe également un certain nombre d’aspects techniques et pratiques que les promoteurs de ce projet auront probablement du mal à surmonter. «Les demandes en eau et électricité pour les mines de production de minéraux tels que le zinc et plomb sont très élevées. Il n’est pas évident que la solution des puits de forage prévue, qui perturberait la consommation en eau potable et irrigation des populations de Tala Hamza et Merdj Ouamane, soit une option adéquate pour l’alimentation en eau pour ce projet. De même, l’alimentation en électricité actuelle pour la population est tout juste limite, comme le démontrent les blackouts à répétition dans la région», plaide-t-il.

Notre expert pointe également du doigt le fait que l’étude actuelle du projet envisage d’utiliser telles quelles les infrastructures existantes (routes, eau et électricité) qui sont à la limite de leurs capacités, et ce, dans le but de réduire le coût du projet. C’est donc aux risques d’accentuer les problèmes habituels de transport, alimentation en eau et électricité des habitants de la région que cette mine sera mise en opération.

«Le projet envisage aussi le transport par camions de plus de 500 tonnes de concentrés de zinc et plomb par jour vers le port de Béjaïa par voie de la RN 75. Cette route est connue pour être saturée depuis des années avec une chaussée qui n’est certainement pas dimensionnée pour ce type de trafic routier», analyse notre ingénieur. De sérieux doutes planent sur la viabilité économique du projet: «Les rapports des études d’optimisation publiés par Terramin font référence à un investissement initial (durant la période de construction) de l’ordre de 360 millions de dollars nécessaires pour démarrer les opérations.

- Le projet est-il économiquement viable?

En comparaison avec des projets de mines similaires avec traitement de 2 millions de minerai par an, ce chiffre semble sous-estimer les capitaux réels requis pour démarrer cette mine.

«En effet, ce projet de mine souterraine nécessite au moins un ou deux puits accès à la mine, des infrastructures et équipements de transport du minerai en surface, l’usine de traitement, les unités de broyage, de flottation, filtration et épaississement de résidus, bassins de stockage de résidus ainsi qu’un certain nombre d’autres installations et équipements pour le stockage et le transport des concentrés de Zn et Pb. Le coût total pour ces installations pour une mine est généralement estimé à plusieurs centaines de millions de dollars, donc environ le double de ce qui a été annoncé», dit notre spécialiste.

«Il faut par ailleurs ajouter à cet investissement initial (Capex), les coûts des infrastructures pour l’alimentation en eau, électricité et transport du concentres. En plus des coûts des opérations (OPEX) qui sont de l’ordre de dizaines de millions de dollars par an une fois la production commencée», dit-il.

Pour notre ingénieur, les revenus, qui dépendent exclusivement des prix du zinc et du plomb qui sont fluctuants et imprédictibles, viendront de la vente des concentrés de zinc et plomb qui n’interviendra que lorsque la mine rentrera en production fin 2023. Les estimations publiées sur le projet indiquent une période de retour sur investissement (même sous-estimé) de 4 ans et 4 mois. «C’est-à-dire que les investisseurs qui financeraient le projet en 2021-2023 commenceraient à récupérer leurs capitaux à partir 2028. Il semble donc que le plan d’affaires établi pour cette mine n’est pas attirant pour des investisseurs avertis. La question qui se pose dès lors est: qui financera ce projet?» dit-il encore.

Terramin est une petite société qui a connu beaucoup de difficultés et dont la valeur boursière en Australie est actuellement de quelques cents seulement (0,04 dollar). «Il est donc difficile voire impossible pour Terramin de satisfaire les critères nécessaires pour obtenir un prêt de plusieurs millions de dollars d’une banque australienne. De plus, le rapport sur l’étude d’optimisation du projet de la mine d’Amizour publié par Terramin pour les investisseurs australiens stipule clairement que: les investisseurs doivent savoir qu’il n’est pas une incertitude que Terramin pourrait lever le montant nécessaire pour financer le projet de la mine d’Amizour. Il semble alors que la seule possibilité pour le financement de ce projet est peut-être par la partie chinoise et cela pour des considérations stratégiquement purement géopolitiques».

En conclusion, notre ingénieur termine sur cette sentence sans appel: «Je ne vois aucun intérêt ni bénéfice que cette mine pourrait apporter à cette région. Au contraire, je ne perçois que des cauchemars avec ce projet! Pour moi, en tant que connaisseur dans ce domaine et ayant grandi dans la région, la question principale que je me pose est la suivante: doit-on accepter d’exploiter cette mine au risque de détruire cet environnement qui nous a fait vivre depuis des siècles, sachant que ce risque est comme la mort? C’est-à-dire que c’est irréversible. On ne peut pas se dire on va essayer et si ça ne marche pas on reprend du début!»


Djamel Alilat


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