Algérie

Béjaia, Le centre historique du Vieux Bougie et sa restauration



Si la question de l’identité nationale est posée encore avec une sensibilité extrême à travers ses différentes formes d’expression, il n’en demeure pas moins que celles-ci doivent faire l’objet d’une extrême attention et études approfondies car elles doivent forger d’une manière ou d’une autre les contours de la personnalité d’un peuple.
Dans ce sens, le patrimoine bâti des tissus anciens des villes de notre pays dans ses dimensions architecturales et urbanistiques devrait être en point de mire de toutes les réflexions et recherches à engager et qui impliquent aussi bien les pouvoirs publics, les professionnels ainsi que la société civile. La ville de Béjaïa, qui hérite d’un tissu ancien, a marqué l’histoire de notre pays et s’est même confondue avec lui l’espace d’une époque et reste au même titre que les autres villes un des témoins solides d’un passé riche pour les nouvelles générations en matière d’héritages bâtis. C’est en recherchant les éléments significatifs que ce soit d’ordre artistique, social, religieux ou urbanistique que le patrimoine bâti se forgera et cela ne peut se faire que dans une réelle prise de conscience de l’importance patrimoniale de ces ensembles bâtis. Et lorsqu’il s’agit d’une ville comme Béjaïa, l’exemple est on ne peut plus frappant. Parler de son centre historique est toujours un exercice périlleux tant les époques ayant jalonné l’histoire mouvementée de cette ville s’entremêlent dans leurs consécrations physiques, dans ce qu’elles ont légué à la postérité comme traces et empreintes en termes de bâti, de richesses architecturales. Cela est d’autant plus vrai que le processus historique qui a forgé le paysage actuel du tissu ancien n’a fait, en fin de compte, que traduire sur le plan spatial les événements qui ont caractérisé le passé de la ville ; aussi bien dans ses moments de grandeur ou ceux ayant achevé son déclin : l’extension, par exemple, des remparts de la ville ou leur rétrécissement survenu à des moments cruciaux de son histoire n’était qu’une conséquence d’une stratégie de l’occupation du territoire vital de la ville, tracée, réalisée et imposée par la puissance de l’époque considérée. Autrement dit, le tissu historique, légué par les anciens, n’est que le magma sur lequel se sont superposées, à des moments charnières de l’histoire de la ville, les strates successives des différentes civilisations qui ont marqué de façon forte ou superficielle la longue épopée d’une ville qui peut s’enorgueillir d’avoir un parcours historique sur près de trois millénaires, remontant jusqu’aux temps des premiers marchands phéniciens où elle n’était qu’un simple promontoire sur la Méditerranée. Cette première approche dans la perception de la dimension historique de la ville et les implications directes et indirectes dans l’évolution de son territoire bâti se veulent en premier lieu un préalable pour dégager une réflexion lucide sur les mécanismes d’ordres historiques, sociologiques, urbains qui, dans leurs interactions fortes, ont abouti à façonner dans l’espace physique au relief abrupt et escarpé qui caractérise le site de Béjaïa, un vécu social qui s’est imprégné d’un savoir séculaire dans l’organisation de la vieille cité. Celle-ci avait connu d’ailleurs ses moments de pleine expression, au sens urbain et architectural du terme, à l’époque médiévale au temps des rois hammadides. Un peu d’histoire, beaucoup de questions La difficulté signalée plus haut, quant à une lecture historique des plus savantes de l’histoire de la ville, est étayée par le fait que peu d’écrits ou de témoignages plus ou moins authentiques, car truffés de beaucoup de légendes, sont consacrés à cet aspect historique du bâti. Mais l’on peut encore ajouter aussi que cette difficulté s’explique historiquement au fait que les coups de boutoir de l’histoire n’ont pas ménagé cette ville dans ses entités bâties les plus significatives. Ainsi, on ne garde presque plus de traces de la ville médiévale : les palais hammadides ont été supplantés par des forts espagnols. Certains livres d’histoire rapportent qu’on dénombrait pas moins d’une soixantaine de mosquées et 25 quartiers, comme elle abritait de très beaux palais au style raffiné et à l’architecture authentique tels que les palais de La Perle, le palais de l’Etoile, et le palais Ammimoun qui ont incarné les sensibilités architecturales d’une ville qui a rayonné sur une grande partie du Maghreb et qui a laissé G. Marçais dégager cette admiration : « Nul doute que les palais de Palerme ont été inspirés, sur le plan architectural, des palais de Béjaïa (1). » En effet, la conquête espagnole, menée par Pedro de Navarre en 1509-1510, avait sonné le glas au déclin de la ville et a scellé son sort en 45 ans d’occupation et marquait ainsi la fin d’une époque. Si la cité, devenue plus tard Hafside, qui accueillait les Espagnols et qui gardait encore les signes de prospérité et d’abondance, comptait encore 8000 maisons et plusieurs édifices publics tels que les mosquées, collèges, cloîtres, auberges et hôpitaux, l’avènement des Turcs et leurs corsaires qui venaient de libérer la ville par Salah Raïs, Beylerbey d’Alger a vu la ville mise à sac par les Espagnols, tombée littéralement en ruine et reléguées ainsi au rang de garnison. Il n’y a pas meilleure description de ce tragique destin que celle faite par l’archéologue français George Marçais qui dit : « L’Espagne a dégarni Béjaïa pendant son occupation, de tous les vestiges et les monuments dont Béjaïa était devenue célèbre depuis plusieurs siècles et connue comme étant ville des sciences, des arts et de la civilisation (2). » Ainsi, en 1674, on l’a décrit comme « d’un misérable village de 500 à 600 habitants avec une garnison de 150 soldats envoyés d’AIger » (3) à tel point que trois siècles après, les conquérants français, à leur tête le général Trézel qui commandait l’expédition de Bougie en ce jour fatidique du 29 septembre 1833, avaient trouvé une ville qui abritait, selon certaines sources, à peine 2000 âmes. Une réalité sociale et urbaine qui contrastait, de loin, avec le faste d’antan avec celle qui comptait plus de 20 000 foyers lorsqu’elle était capitale hammadide. A l’heure de l’expédition française, le territoire de la ville s’est vu réduit et enserré à l’intérieur de l’espace triangulaire formé par les trois fortifications érigées par les Espagnols : les forts de La Casbah, d’Abdelkader et de Bordj Moussa. L’avènement des Français avec leur armada militaire et leur lot de techniciens allait opérer des changements importants dans la structure urbaine de la ville ou ce qui en restait. Et pour cause ! Le tissu traditionnel et les enchevêtrements d’îlots et de maisons à ce qui s’apparente à un véritable labyrinthe doublé d’un relief des plus difformes n’étaient pas pour arranger les desseins militaires français. La cité délaissée par les Turcs constituait un handicap sérieux pour la mainmise totale sur la ville du fait que la garnison française était constamment harcelée par les populations kabyles, les maisons inhabitées servaient de lieux d’embuscades et elles furent ainsi rasées par les Français. C’est de cette époque que l’on date la première ligne de fortification allant du fort Gouraya jusqu’au fort Clauzel ! Les conquérants français avaient bien saisi l’emplacement stratégique de la ville de Béjaïa tant par ses atouts naturels, la ville étant accrochée au piémont de Gouraya et surtout défensif : la ville étant bâtie sur plus de 200 m d’altitude par rapport au niveau de la mer qui permettait ainsi au nouveau conquérant de mieux cerner visuellement l’arrière-pays et annihiler par conséquent les velléités de résistance des tribus voisines. En termes de patrimoine urbain et architectural, il faut bien se rendre à cette évidence historique par delà la dialectique culturelle de la notion de patrimonialité, c’est de dire que l’essentiel du processus de conception, de formation, voire même de renaissance de la ville héritée jusqu’ici fut l’œuvre de l’occupant français qui s’est efforcé durant 129 ans à forger la physionomie actuelle du centre historique à son image. Effacer, revoir, remodeler les anciens tracés de la ville médiévale étaient les conséquences inéluctables qu’exigeaient les impératifs militaires. La nouvelle stratégie d’occupation de l’espace de la ville s’appuyait autour de la réalisation d’une place, connue sous le nom de place d’Arme ou place de l’Arsenal, une sorte de place pivot autour de laquelle s’articulent les grandes rues au tracé rectiligne et dans la mesure du possible épousant les contours topographiques du relief bougiote. L’intérêt est purement militaire dans un premier ordre du fait que, pour l’histoire, la tâche du général Trézel n’était pas de tout repos dans sa tentative de la prise de la ville ; il avait rencontré une résistance farouche opposée par la population locale qu’aidaient les rues étroites et sinueuses de la vieille cité. Il fut même blessé. L’importance stratégique du site de Bougie aux yeux des Français allait se manifester de façon immédiate aussi bien sur le plan administratif que militaire. La ville s’est vue ainsi érigée en commune en 1835, c’est-à-dire deux ans après sa prise et les premiers tracés militaires commencent à se concrétiser (4) sur le terrain. Aux travaux des ingénieurs du génie militaire qui consistaient au début de la conquête à asseoir cette présence militaire (5) par la réalisation d’ouvrages défensifs, s’ensuivit une opération de plus grande envergure et qui allait toucher à la structure foncière de la cité par l’opération du cadastre de 1841. Un inventaire aux conséquences foncières, financières et purement techniques liées spécialement au caractère du projet urbain en gestation, la recomposition de l’espace bougiote exigeait des moyens de tous bords, des études d’intervention de toutes formes. En somme, une politique d’intervention aux consonances militaires évidentes. On n’a pas mémoire, pour la rigueur historique, comment ce processus de recomposition et de restructuration du cadre bâti de la cité traditionnelle a été engagé lorsqu’on sait la part du sacré et du religieux qui imprègnent le moindre des recoins de la ville aux 99 Saints. Mais aux premières années de la colonisation et vu que, cité précédemment, on avait affaire à une ville presque déserte de ses habitants, il y avait sûrement des opérations Table rase d’un grand nombre de quartiers au profit d’un tracé tout à fait nouveau.

Notes de renvoi :

(1) G. Marçais. L’architecture musulmane d’Occident, Tunisie, Algérie, Maroc, Espagne et Sicile, Arts et Métiers graphiques, Paris 1957. (2) Idem. (3) Extrait du rapport annexé au plan d’urbanisme de Bougie de 1961. (4) On a eu écho de l’existence d’un premier du plan du Génie datant de 1836, mais non retrouvé jusqu’ici. (5) Stratégie héritée des conquêtes napoléoniennes qui lors de la campagne d’Egypte 1798-1801, Bonaparte s’est fait accompagner par une armée de scientifiques qui avaient dressé une véritable cartographie de l’Egypte




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