La Saoura est l'ancienne appellation de tout le sud ouest du pays («le Sud Oranais» étant une plus ancienne appellation de la région). La Saoura fut en quelque sorte l'identité emblématique et historique du Sud Ouest pendant presque un demi-siècle. Pour donner un aperçu sur l'étendue géographique de celui-ci, disons que c'est à peu près le tiers de l'Algérie (ce qui n'est pas rien soit dit en passant).
Pour une représentation plus expressive de cette immensité, c'est aussi un peu plus d'une fois et demi la France ou 25 fois la Belgique. D'une importance géostratégique certaine, cet ensemble fut érigé en département par la France coloniale : «Le département de la Saoura» avec pour capitale BECHAR (Colomb-Béchar à l'époque). Département, il l'est resté jusqu'à l'Indépendance du pays.
La France qui caressait l'idée de couper le Sahara du reste du pays dans le cadre d'une Indépendance tronquée, réservait à cette région d'autres desseins. C'est d'ailleurs en cette contrée-là qu'elle avait élu domicile pour ses expériences spatiales (lancement de fusées à partir de la base de Hammaguir (près de Abadla) au Centre Interarmes d'Essais d'Engins Spéciaux CIEES) et pour ses essais nucléaires (explosions de bombes nucléaires à HAMMOUDIA près de Reggan). Pour ce qui est de ce dernier point, les conséquences et l'étendue des dégâts incontestables causés à la nature et aux hommes n'ont pas encore été évalués à leurs dimensions réelles.
A l'indépendance du pays, cet espace immense est devenu une wilaya ayant pour chef-lieu BECHAR et ce, jusqu'au 31 décembre 1974. Depuis le dernier découpage administratif de 1982, ce vaste territoire est partagé en des proportions diverses, entre les wilayate de Béchar, Adrar, Tindouf, Naama et El Bayadh.
QU'EST-CE QUE LA SAOURA ?
Avant d'être un territoire, un ensemble humain et des circonscriptions administratives, c'est d'abord le nom d'un important cours d'eau formé par la confluence de deux grands oueds : le Guir et le Zouzfana. Ces deux affluents sont d'une importance vitale pour la région. Sans leur existence, la vie ici n'aurait certainement pas germée, du moins dans ses conditions actuelles.
En effet, ces deux cours d'eau qui prennent naissance sur le côté méridional de l'Atlas saharien, se rejoignent à Igli, village qui se trouve sur la confluence de ces deux oueds et dont, apparemment il tire son nom «el melga» (dont la forme berbère Igli). Donc à partir d'Igli les deux oueds n'en forment plus qu'un seul : la Saoura. Ainsi, sur 600 km, ce cours d'eau va couler en surface pour donner naissance à une suite de palmeraies d'importances diverses et à un chapelet d'oasis dont les principales sont d'amont en aval : Igli, Béni-Abbes, El Ouata, Kerzaz, Timoudi, Ouled Khoder, Elksabi dans la wilaya de Béchar. Puis les eaux tumultueuses de ce courant imprévisible, continuent leur chemin pour se perdre dans les immensités désertiques du Sahara central. Elles iront alimenter notamment les nappes phréatiques du TOUAT et de ses environs (Adrar), du GOURARA (Timimoun) et du TIDIKELT (Aoulef). Captées ici, en partie par l'ingénieux système d'irrigation des «foggaras», système plusieurs fois millénaires, qui suscite l'étonnement et l'admiration des visiteurs étrangers.
«Et nous avons créé de l'eau tout ce qui vit» (Le Saint Coran). Est-ce à dire que les habitants de la vallée de la Saoura vivent dans la prospérité grâce à cette manne céleste que le ciel déverse de temps à autre sur leur région ? Loin s'en faut hélas !
LE GUIR
Le plus important des deux oueds qui alimentent la Saoura est certainement le Guir avec ses crues cycliques phénoménales. Le Guir prend sa source au mont d'Aït Mesrouh à une altitude d'environ 2 200 m. Ses crues inspirent des sentiments contradictoires : à la fois la crainte pour les violentes dévastations possibles qu'elles peuvent causer aux biens et aux hommes mais font par contre l'objet d'invocations incantatoires pour les bienfaits qu'elles apportent à l'agriculture et par voie de conséquence pour leurs apports à la vie dans cette contrée aride. D'aucuns pensent que le Guir serait le plus grand oued d'Afrique du Nord, non seulement par la puissance de son débit mais aussi par sa longueur. En effet, prolongé par la Saoura, il peut atteindre jusqu'à mille km de parcours (en plein désert faut-il le préciser !). A titre de comparaison, le Chlef fait 750 km de long et le plus grand oued du Maroc, le Sebou 500 km. La légende fait du Guir un oued mythique surtout par la soudaineté de ses crues, les quantités fabuleuses et inattendues d'eau qu'il peut charrier en un temps à peine croyable. En effet, le spectacle est souvent grandiose et est d'autant plus saisissant que l'on ne peut imaginer que tant d'eau puisse se déverser d'un seul coup à travers de si grands espaces, en un décor aussi ingrat. Il est vrai que l'écoulement ne dure pas longtemps : la durée moyenne est évaluée à 82 jours/an, le débit de crue à 6 400 m3/s. Enfin, pour qui connaît le Guir, ne s'étonnerait pas de cette appréciation prêtée à Ibn Khaldoun, qui aurait dit des oueds d'Afrique du Nord que le Guir est : «Aqtarouhoum nab'an wa akaloum naf'an» (le plus grand en débit mais le moins utile).
QUEL DEVELOPPEMENT POUR CETTE REGION ARIDE ?
Il est évident que la première des visions qui vient à l'esprit est l'agriculture. En effet, il tombe sous le sens que si l'on pouvait capter les immenses quantités d'eau charriées par le Guir et la Zouzfana (d'autres oueds existent mais de moindre importance) on pourrait mettre en valeur des milliers d'hectares de terres agricoles. Pour une pareille entreprise il faut donc associer le génie actif de l'homme et le progrès technologique. C'est ainsi qu'est née l'idée d'une «Californie Algérienne !».
Pour l'époque le concept n'était pas utopique. En ces «temps bénis du boumédiénisme triomphant», il était permis de rêver en état d'éveil et en public. Ainsi, l'idée de cette «Californie» fut admise, conçue, avancée, et formulée de façon précise. On entreprit de la réaliser : quand il y a rêve il y a forcément une part de démesure. Néanmoins, une petite minorité de sceptiques tenait à jouer les mauvais oracles. Mais on n'y prêtât guère attention aux prémonitions «pessimistes». De la conception du projet à sa concrétisation il n'y eut qu'un pas qui fut allègrement franchit. Et c'est ainsi que sont nés, et le barrage de Djorf Torba sur le Guir : retenue 360 millions de m3 à 55 km au sud-est de Béchar (en son temps c'était le plus grand barrage d'Algérie). Et en aval de ce barrage est né le périmètre irrigué de la plaine d'Abadla : théoriquement 16 000 ha (à 88 km au sud de Béchar).
LA PLAINE DU GUIR OU L'ILLUSION PERDUE
D'UNE «CALIFORNIE ALGERIENNE»
La première mouture de ce que serait la «Révolution Agraire» est apparue officiellement en août 1966, sous la forme d'un fascicule publié par le Parti Unique (FLN Commission Nationale). Le régime politique d'alors annonçait la couleur de ce que sera la politique agricole du pays et en traça les grandes lignes: «la Révolution Agraire». C'est ainsi que celle-ci allait constituer l'un des 03 piliers de la trilogie dogmatique devant former le socle du «socialisme à l'algérienne», avec les «Révolutions industrielle et culturelle». Ces trois utopies allaient être les bréviaires des cadres dirigeants du pays et les sources qui alimentaient la langue de bois pendant plus de deux décennies.
Néanmoins, on sait que certains caciques de ce même régime qui ne voyaient pas d'un bon oeil, une telle orientation pour l'agriculture du pays, traînèrent les pieds, tergiversèrent, essayèrent même d'en retarder son application sur le terrain. L'opposition la plus surprenante était venue curieusement du responsable direct de «l'appareil du Parti» de l'époque, feu KAID Ahmed (Ct SLIMANE), qui, s'étant opposé à Boumediene, s'exila au Maroc. Ces opposants avaient-ils raison ? L'Histoire est en train de nous le dire. Il est évident qu'il est toujours plus aisé de porter des jugements rétrospectifs sur des faits et événements historiques passés qu'au moment où ceux-ci ont lieu, ceci nonobstant la part certaine de subjectivité, aussi infime soit-elle, qui puisse fatalement en résulter. Boumediene pouvait alors avertir et menacer : «Je ne saurais vous cacher ces problèmes qui peuvent nous réunir ou nous séparer et qui constituent le critère appelé à distinguer ceux qui sont acquis à la Révolution, au peuple et à l'Algérie, de ceux qui ne croient pas à tous ces principes. Nous ne saurions dans ce contexte tolérer aucune réserve. Il serait préférable à ceux qui émettent des réserves par rapport à ces principes et à ces grands objectifs de la Révolution, de se retirer, de s'éloigner des responsabilités et de ne plus jamais parler de Révolution» (IIème session du CNES, 15 octobre 1970). C'était clair net et précis. En d'autres termes il y aura «ceux qui sont avec nous» et «ceux qui sont contre nous» et ceux-là doivent partir. Quel était à l'époque ce ministre, ce wali, ou tout autre responsable à tous les niveaux de la hiérarchique politique, administrative voire militaire qui pouvait émettre une opinion contraire ? Feu KAID Ahmed l'avait fait. Cela lui a coûté sa carrière, voire indirectement sa vie. Et qui d'autres de connu ? On faisait plutôt exploser l'applaudimètre ! D'ailleurs pour prétendre à un quelconque poste de responsabilité, il fallait obligatoirement non seulement adhérer sans réserve à l'option socialiste (prétendue irréversible pour le pays : force est de constater que le temps a prouvé le contraire), mais avoir surtout sa carte du Parti,
L'ordonnance n° 71-73 portant Révolution Agraire est signée le 08 novembre 1971, par Houari Boumediene, Président du Conseil de la Révolution. Mais par souci de «symbolique révolutionnaire», ce texte fait naïvement une entorse à la règle de la non rétroactivité des lois, en faisait s'appliquer l'ordonnance susdite, à compter du 1er novembre 1971. A partir de cette date, ce texte était devenu, du moins théoriquement, applicable sur tout le territoire national et comme de juste en SAOURA. C'est donc et aussi dans ce cadre que cette région bénéficiera du projet important (et non pas d'un programme spécial comme pour d'autres régions à l'époque) que devait être le périmètre agricole irrigué de la plaine d'Abadla. Pour l'époque, c'était un projet fort ambitieux, sérieux, et donc loin d'être une banale affaire. D'abord, de par son gigantisme (16 000 ha pour une première tranche), et d'autre part, du fait qu'il s'agissait d'un projet agricole à réaliser à partir du néant et en plein désert ! Tout un programme et une véritable gageure. Pour relever ce défi sans précédent, on ne lésina pas sur les moyens. Ces derniers ne pouvaient être que pharaoniques en effet, à la mesure de «la grande Révolution» qui allait faire le bonheur des paysans algériens en général et ceux du Sud Ouest en particulier. C'était l'avenir assuré pour des générations de «Saouris». Aucun qualificatif n'était assez fort pour illustrer l'image idyllique du futur projet. On eut recours à des comparaisons qui devaient frapper les esprits. Les plus enthousiastes parlaient de «Californie de l'Algérie» n'hésitant pas à faire référence à une région étasunienne, capitaliste par essence, et ce, au sein même d'un régime résolument marxisant. D'autres plus prudents restaient dans les frontières nationales pour évoquer, à l'instar du Président Boumediene lui-même, «une nouvelle Mitidja en plein Sahara». L'enthousiasme était à son comble. Au risque de nous répéter, il était permis de rêver en état de veille sans que cela puisse choquer personne. Bien au contraire !
Cependant, un grand tapage médiatique fut orchestré autour du premier plan quadriennal 70-73, qui privilégia comme on sait l'industrie (on parlait alors d'industries industrialisantes). Dans le «feu de l'action» et sans modestie aucune, on parlait de faire de l'Algérie «le Japon de la Méditerranée». Pas moins ! Et pourquoi pas donc une «Californie» dans le Sud ? Feu le président Houari Boumediene qui tenait personnellement et particulièrement à la réussite de ce projet, n'avait pas hésité de dire dans un discours «Que si le projet de mise en valeur de la plaine agricole de Abadla, ne réussissait pas, le soleil ne se lèvera pas sur l'Algérie».
Pour ce faire, trois actions principales devaient être menées de front
- la viabilisation des terres
- la création de structures administratives adéquates de mise en valeur
- la construction de plusieurs villages agricoles sur le site.
LA MORRISSON AND KNUDSON INTERNATIONAL COMPAGNy
Pour faire «californien» on fit même appel aux Américains. Ainsi la viabilisation des terres avait été confiée à une société américaine, la Morrisson & Knudson International Compagny (MKIC). Il s'agissait d'une opération centralisée, liée à un prêt de l'Eximbank, une banque américaine connue. Et lorsqu'une banque de ce genre prête de l'argent pour un projet donné, à un pays en particulier du Tiers-monde, elle exigerait que ce soit une entreprise américaine qui réalise physiquement le projet. Cela obéit à une certaine logique qui se comprend aisément. D'abord le projet doit profiter en premier à l'économie américaine, d'autre part, dans une autre alternative, l'argent ne risquerait pas d'être dilapidé ou détourné de son objectif.
Les Américains ont installé leur base de vie et de travail sur le site. Ils ont commencé à embaucher à toute berzingue, tant et si bien qu'un grave déséquilibre dans l'emploi de la main d'oeuvre fut ressenti dans toute la région comme un séisme social. Tout le monde voulait travailler «chez les Américains» affriolé par les salaires mirifiques qu'ils pratiquaient. On nota une certaine désertion au niveau des autres chantiers de la région. Une main-d'oeuvre très diverse accourait de toutes parts. Jamais la loi de l'offre et de la demande n'aurait subi un tel choc sur «la bourse» du travail : une dérive insolite qui constitua un vrai casse-tête pour les autorités locales. C'était la ruée vers Abadla. Ce modeste village était devenu pour un temps, le «Far West» de la «ruée vers l'or». Il ne manquait plus que les chevaux, les révolvers et la poudre à canon.
Ayant fait le plein en main-d'oeuvre, les Américains s'attaquèrent à l'objectif de leur contrat : la viabilisation du périmètre. Commencèrent alors les opérations de défrichage, de désherbage, de terrassement, de nivellement, de pose de drains, de construction de canaux magistraux, de canaux secondaires etc. Ces «diables» travaillaient d'arrache-pied de jour comme de nuit. La nuit ils utilisaient de puissants projecteurs dont on pouvait apercevoir les lueurs blanchâtres et poussiéreuses à des kilomètres. Le désert se transformait à vue d'oeil. Les autochtones regardaient ébahis les engins en actions sur le site, admiraient et commentaient les nouvelles techniques, le savoir-faire de ces géants blonds aux yeux bleus, bottés de cuir, venus d'une autre planète. Des machines bizarres, monstres, prodigieux, s'attaquaient à la forêt touffue des tamarix millénaires de l'oued Guir pour les déraciner, les arracher du plus profond des entrailles de la terre, pour laisser place à de grandes surfaces planes d'une régularité incroyable.
Le travail ne manquait pas dans la région. C'était l'époque qui suivit la nationalisation des hydrocarbures. En d'autres termes, l'époque «des vaches grasses» qui permettait une politique de «plein emploi» sans souci du lendemain. Une époque qui, curieusement a quelques ressemblances avec celle que nous vivons actuellement.
LES STRUCTURES DE REALISATION DE L'ETAT ET LEURS ACTIONS
Des structures administratives «de mise en valeur du périmètre» ont été installées sur la plaine tels :
- le CDR (Commissariat de Développement Rural)
- l'ONAMA (Office National du Matériel Agricole)
- Le CFVA (Centre de Format. Et de Vulgarisation Agricole)
- La station de l'INRA devenue ITDAS
- OPI (Office du Périmètre Irrigué)
A titre indicatif, le périmètre d'Abadla était le périmètre agricole le plus mécanisé d'Algérie. Le «Commissariat de Développement Rural» (CDR), un établissement public à caractère administratif qui fonctionnait cahin-caha, avait du mal à suivre le rythme imprimé au chantier par les Américains. Cet établissement devait «logiquement» atteindre sa vitesse de croisière après réception des terres et leur distribution aux paysans, en même temps que la mise en place des organes de gestion de la Révolution Agraire.
Parallèlement, les autorités locales avaient pour mission de construire sur le site, six villages de la Révolution Agraire. C'est-à-dire préparer les logements que devaient habiter les paysans bénéficiaires des terres agricoles de la «Future Californie de l'Algérie».
Nolens volens, les six premiers villages agricoles prirent forme. Un jeune architecte belge, coopérant technique chargé des études d'un projet (inespéré «en son plat pays»), s'était fait les dents sur une architecture providentielle techniquement «en déshérence». Ainsi, l'agrégat des logements de l'un de ces villages, vu d'avion, configurent les initiales du nom et prénom de cet architecte indélicat.
Ces constructions étaient (et sont encore hélas !) loin d'être des modèles accomplis d'art architectural. Mais enfin, sur cet aspect-là, même à cette époque on était aussi moins regardant qu'aujourd'hui sur la qualité du produit. Néanmoins, ces «cubes» de béton, accolés les uns aux autres construits à la fin des années soixante dix avaient les circonstances atténuantes d'être des «logements ruraux» et peuvent bénéficier d'une certaine indulgence inhérente à l'inexpérience des jeunes cadres de l'époque. Mais depuis, «nous avons fait un grand pas en avant» : nous avons ruralisé, plus exactement, nous avons «gourbisé» les logements au coeur même de nos villes. Du coup, les logements de la plaine d'Abadla «de la Révolution Agraire» peuvent faire désormais bonne figure dans la médiocrité urbanistique générale !
En matière d'équipements sociaux et administratifs, il était prévu en chaque village une mosquée, un dispensaire, une mairie ou une antenne de mairie, une école primaire, un bureau de poste etc. Tout cela avec possibilité d'extension.
Comme c'était de nouvelles créations, pour un besoin de commodités bureaucratiques, les villages avaient reçu pour noms premiers, des lettres de l'alphabet latin. On avait ainsi :»village A», village «B», «village C» et ainsi de suite. Le village «E», était destiné à devenir le nouveau Abadla. Le nouveau village fut construit sur un plateau rocailleux limitrophe à l'ancienne agglomération agro-pastorale qu'était l'ancien Abadla. Ce village dit «E» (future capitale de notre «Californie»), porte aujourd'hui le nom de Abadla «capitale» de la plaine éponyme. Mais il faut bien se garder de tenter la moindre comparaison avec la vraie Californie, et encore moins avec la capitale de celle-ci qui se trouvent l'une et l'autre à des années lumières des nôtres. Les autres villages (A, B, C, D, et F) sont aujourd'hui baptisés par des noms de marabouts également éponymes ou de noms de chahids. L'un de ces villages porte le nom prestigieux de «Machra'a Houari Boumediene» (c'était le moins que l'on pouvait faire pour rendre en ces lieux farouches, un insigne hommage au président défunt). De l'ancienne agglomération qui était un petit village en toubs (briques rudimentaires d'argile séchée parfois mélangée de paille) accroché sur une butte dominant la plaine, on conserva quelques constructions utiles (casernes, quelques bâtiments administratifs civils, quelques maisons particulières). Le reste a été rasé.
NI CALIFORNIE, NI KOLKHOZE NI KIBBOUTZIM
Quid de ce périmètre qui devait nourrir non seulement toute une région, mais aussi une bonne partie du pays, et qui devait déverser ses surplus de produits sur les pays frontaliers ?
La partie du périmètre viabilisée et livrée pendant les années 70, était de 5400 Ha, divisée en parcelles réparties sur les deux rives de l'oued Guir, en aval du barrage dit «de reprise» servant à réguler la distribution des eaux (petit barrage aménagé en amont de la plaine et en aval du grand barrage de Djrof-Torba). Aujourd'hui, trente ans après, cette superficie s'est réduite comme une peau de chagrin : elle ne fait plus que 1200 ha et dans un état lamentable. Nous sommes donc loin des 16 000 ha ambitionnés à l'origine du projet.
Cela veut dire que, pendant ces trente dernières années, 4 200 ha viabilisés à coups de millions de dollars US sont perdus à jamais parce que non cultivés et leur dégradation s'accentuant avec le temps. Ici, la nature sauvage a repris ses droits. Les surfaces abandonnées par l'homme ont été envahies par le sable et par différentes sortes d'arbustes et d'herbacées tels que le tamarix, le chiendent et les roseaux. Parmi les raisons évoquées pour justifier d'abandon de ces terres, les services agricoles avancent leur excessive salinité. Mais, n'avait-on pas prévu cet état de fait ? Oh que si ! En effet, à quoi sert le système de drains installé à l'origine sur le périmètre et permettant justement d'évacuer le sel ? La triste réalité est que ce système de drainage n'a jamais bien fonctionné et le lessivage des parcelles n'a pu donc se faire. Selon un ingénieur agronome des services, cette carence «originelle» organique, a fait que la machine à fabriquer les drains, non utilisée, a disparu du périmètre. Il s'agit d'une machine-usine qui non seulement fabrique les drains, mais qui creuse, pose les drains et les enterre. Par ailleurs, d'après un rapport des services techniques, «les opérations de sous-solage servant à briser la semelle de labour, abandonnées depuis le début des années 80, ont entraîné la formation d'un horizon imperméable à une profondeur de 30 cm, constituant un barrage à l'infiltration des eaux. Les sols devenus hydromorphes, entraînent l'accumulation d'eau en excès».
ÉTAT DU RÉSEAU D'IRRIGATION DIT «A LA CALIFORNIENNE»
Le système d'irrigation adopté dès l'origine sur le périmètre est dit de «type californien» ou arrosage «à la californienne». Aussi, l'utopique «Californie de l'Algérie» n'était pas tout à fait une simple vue de l'esprit. Au niveau de la plaine de Abadla, le système en question était constitué du barrage de reprise visé supra, de canaux dit «magistraux», de canaux «secondaires» et «tertiaires» à ciel ouvert, d'une canalisation souterraine. Le tout fonctionnant selon un mécanisme de gravitation des eaux, de bornes d'irrigation, de vannes et de débitmètres : ce que les ingénieurs de l'agriculture appellent dans leur jargon «le système piézométrique».
Tout cet ingénieux système est aujourd'hui quasiment hors d'usage par manque d'entretien. Des kilomètres de canalisation de diverses dimensions sont abandonnés à la nature, ensablés et/ou envahis par le tamarix, le chiendent ou le roseau.
LA PLAINE AUJOURD'HUI
Le périmètre est en train de perdre sa caractéristique de «périmètre irrigué». En effet, l'irrigation «à la californienne» est actuellement abandonnée au profit d'un autre système qui est «le goutte à goutte». D'après notre ingénieur suscité, ce dernier système est non seulement inadapté mais il est quasiment ruineux sur le plan financier, parce qu'il nécessite la construction de bassins de retenue, lesquels bassins exigent des pompes et de l'énergie électrique pour leur remplissage. L'énergie électrique est également indispensable pour la distribution de l'eau ( la distribution originelle se faisait par gravitation donc gratuitement en quelque sorte) et ce, sans compter le coût du système du «goutte à goutte» en lui-même.
Toujours selon notre source, «le goutte à goutte» convient lorsque l'eau manque. Or, au niveau du périmètre d'Abadla ce n'est pas le cas. Par conséquent, le nouveau système dénature complètement la destinée du périmètre qui, à l'origine, devait être un immense verger (production de fruits) et une aire de production de cultures fourragères destinées aux diverses laiteries notamment celle d'Igli. Celle-ci fonctionne depuis sa création avec du lait en poudre. Quant aux chèvres laitières espagnoles importées à coût de devises fortes, pour faire du «formage de chèvre», on ignore ce qu'elles sont devenues. Dans cette optique, l'industrie agro-alimentaire que le périmètre était censé créer et alimenter, demeurera une vue de l'esprit tout comme «le rêve californien» de la plaine du Guir.
Il semblerait qu'aujourd'hui le périmètre soit orienté vers la culture du palmier dattier. Est-ce une orientation dictée par un choix de facilité ? Là aussi, selon notre ingénieur, il s'agit d'un mauvais choix. D'après ce spécialiste, le palmier dattier ne pourra jamais réussir sur la plaine du Guir à cause des variations excessives de température entre le jour et la nuit où celle-ci descend parfois au dessous de zéro degré Celsius ce qui entraîne un certain gel des racines. Le palmier exige une grande quantité d'eau à la plantation que le système du «goutte à goutte» est incapable de lui fournir.
Pour conclure, force est de constater que ce projet agricole de la plaine de Abadla, qui a suscité un grand espoir pour la région, se résume en définitive, par un véritable fiasco. Un projet qui a dramatiquement avorté. Nous ne savons pas pourquoi tant d'efforts et d'argent ont tourné au désastre : au lieu de 16 000 ha de prévus, à peine 1200 ha sont actuellement en exploitation. Et quelle exploitation ? Sans le système de drainage des sels, ces quelques ha qui restent sont également voués à une mort certaine. Les Américains étaient partis précipitamment. Pourquoi n'avaient-ils pas été jusqu'au bout de leur contrat ? Dieu seul le sait sans les «rracikhouna fi el ilm».
Nous sommes à la fin des années l970. La DNC avait pris la suite des Américains. Puis d'autres intervenants sont venus et encore d'autres. Le bout du tunnel n'est pas visible. A l'époque quelqu'un, un «sceptique» qui avait le sens de l'humour, avait comparé ce projet au jeu du bonneteau, où en désespoir de cause le joueur infortuné continue à jouer, non pour gagner, mais, dans l'espoir de récupérer un peu de son argent perdu. Quand il s'agit de milliards de dinars sur plus de trente ans, cela ne ressemble-t-il pas à de la schizophrénie ?
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Posté Le : 23/11/2011
Posté par : soufisafi
Ecrit par : Par AZIZI Abdellah cadre dirigeant
Source : ammouri.kinssha.org