Algérie

«Beaucoup d'affaires sont comprimées par la Cour suprême»



- La loi relative à  la lutte contre la corruption vient d'être amendée. Y a-t-il des signes encourageants '
Notre association a été attentive ces derniers mois à  une partie des réformes qui avaient été annoncées par le gouvernement, notamment celles relatives à  la dépénalisation de l'acte de gestion. à‡a ne veut pas dire pour autant que les gestionnaires seront forcément protégés ou qu'ils échapperont à  des poursuites éventuelles en cas de gestion délictuelle ou non conforme à  la loi de 2006 relative à  la lutte contre la corruption. On a l'impression que le gouvernement veut faire un peu amende honorable par rapport à  son acharnement ces 15 dernières années contre les gestionnaires du secteur public dont une bonne partie a été le bouc émissaire dans ce qu'on peut appeler des campagnes officielles de lutte contre la corruption. La tristement célèbre campagne des années 1990, qui ne s'était pas inscrite à  cette époque dans le cadre de la lutte contre la corruption, mais dans une perspective de remise en cause du secteur public dans son ensemble, avait fait des dégâts considérables parmi des capitaines d'industrie dans le secteur public. Certains ont par la suite été plus au moins blanchis ou réhabilités par la justice et ont même pu reprendre des fonctions importantes dans des secteurs-clés. Maintenant, pour nous ce n'est pas forcément un élément essentiel parce qu'en matière de lutte contre la corruption, on n'est pas du tout dans l'effectivité, mais plutôt dans les discours et les effets d'annonce, alors que sur le terrain, les choses ne progressent malheureusement pas. A titre d'exemple, le dernier code des marchés publics d'octobre 2010 consacre davantage dans les faits les pratiques du gré à  gré. Il y  a aussi comme une sorte de réhabilitation perverse des entreprises du secteur public qui, globalement dans sa gestion, son fonctionnement et dans ses liens avec le pouvoir politique, connaît des dérives inquiétantes. A titre d'exemple, une filiale de Sonelgaz vient d'attribuer d'importants marchés de gré à  gré à  des partenaires publics suite, nous dit-on, à  une instruction non écrite du gouvernement selon laquelle pour réhabiliter les entreprises publiques, il faut alourdir leur plan de charge. Nous apprenons aussi que la wilaya de Constantine va attribuer de gré à  gré un marché pour la réalisation de 10 000 logements sociaux, l'équivalent de 300 millions de dollars à  des entreprises étrangères en partenariat avec des sociétés algériennes. Mais on se demande qui sont ces entreprises et sur quelle base elles ont été choisies. A partir du moment où il y a une totale opacité, ça fait évidemment le nid de la corruption. Tout cela laisse perplexe et nous pensons certainement que d'autres opérations similaires ont été lancées ou le seront dans le cadre du programme 2010-2014 et là il y a un réel signe d'inquiétude. En fait, il y a comme une course contre la montre de l'équipe gouvernante en place. Il y a un énorme budget et une échéance politique 2014 de non-renouvellement de cette équipe et donc, il faut y aller vite, même dans les pratiques irrégulières.   

- Pourtant, il y a de plus en plus d'affaires de corruption qui sont portées au grand jour, n'est-ce pas un élément positif en matière de lutte '
Aux yeux de l'opinion publique ainsi que de la communauté étrangère, qu'on ne peut plus leurrer, d'ailleurs, il y a cet objectif de faire croire qu'on est en train de lutter contre la corruption. En fait, il n'était pas très difficile de faire remonter à  la surface ces affaires parce qu'elles sont nées dans un climat d'impunité généralisée au plus  haut sommet de l'Etat. Il n'y a pas eu d'efforts particuliers à  les faire dissimuler. Donc, les services de sécurité, notamment le département du renseignement et sécurité qui s'est distingué dans la mise en surface de ces affaires, n'a pas eu de grandes difficultés. Malheureusement, cela s'inscrit aussi dans des luttes de clans au sein du pouvoir. Ces mêmes luttes sont extrêmement intenses au sein du secteur judiciaire ; les magistrats et les cours ont leurs propres clans. C'est pour cela qu'il y a une lutte à  la fois pour faire remonter ces affaires et une lutte aussi pour instrumentaliser davantage le système judiciaire lié aussi à  une relative incompétence d'un grand nombre de magistrats. Ce ne sont pas les pôles spécialisés d'Alger, Oran, Constantine et Ouargla qui y font grand-chose. Les partenaires potentiels économiques et commerciaux étrangers boudent de plus en plus l'Algérie et pas une uniquement pour des raisons de sécurité, mais par rapport à  ces pratiques-là. Récemment, un important contrat d'armement a été signé avec l'Allemagne et on se pose la question de savoir si en matière de stratégie de défense nationale, il y a vraiment utilité à  mettre le paquet dans des budgets aussi faramineux. Et puis, le partenaire allemand n'est pas forcément très clean en matière de lutte contre la corruption. Ce pays n'a toujours pas ratifié la convention de l'ONU de 2003.

- On n'a donc vu que la partie émergée de l'iceberg…
La commande publique étant énorme, les affaires de corruption continueront. Il y a parfois des walis qui arrivent à  obtenir des marchés importants de gré à  gré et par des instructions orales du ministre de tutelle. On n'est pas sortis de l'auberge. S'il y avait une volonté politique de lutter réellement contre la corruption, on n'aurait pas mis presque 7 ans à  installer les membres permanents de l'organe national de prévention et de lutte contre la corruption. On s'interroge aussi sur la composante de cet organe dont le choix du président et même de certains membres n'est pas idoine. Nous sommes inquiets d'autant plus que l'Algérie fait partie d'un front international du refus pour que la convention de l'ONU de lutte contre la corruption de 2003 ne soit pas surveillée par des experts internationaux en matière d'application. Cette politique de l'Algérie dans les enceintes internationales concorde un peu avec cette absence de volonté politique au niveau national.
Il y a quand même quelques petits signes réconfortants puisqu'aujourd'hui en matière de dénonciation des affaires de corruption, il y a beaucoup d'associations et de Ligues des droits de l'homme et même des citoyens qui s'impliquent, même si ça reste difficile, lent et dans un climat autoritaire et policier répressif.

- La justice algérienne est-elle condamnée à  ne pas jouer pleinement son rôle lorsqu'il s'agit de grosses affaires '
On constate que malgré des efforts incontestables et des moyens considérables de modernisation du fonctionnement et de formation, le secteur judiciaire reste englué, totalement dépendant du pouvoir exécutif et d'un certain nombre d'officines. Effectivement, les grosses affaires continueront à  ne mettre en avant qu'un certain nombre de boucs émissaires, mais qui connaissaient plus ou moins les règles du jeu, dont l'objectif essentiel était de ne pas se faire prendre. Il y a des hauts fonctionnaires et des gestionnaires du secteur public qui se sont éloignés des centres de décision. Il y en a d'autres qui étaient proches des puissants du moment, ils ont accepté cette règle du jeu et qui malheureusement fait les frais de cette énième campagne gouvernementale anticorruption. Beaucoup d'affaires sont encore dans les tiroirs. Leur révélation dépendra aussi des luttes de clans. Les affaires actuelles traînent longtemps en justice et la Cour suprême devient l'instrument de blocage des poursuites judiciaires. Alors quand la plus haute autorité judiciaire du pays pratique de la sorte, vous imaginez bien que plus bas à  d'autres échelons, la situation est tout à  fait désastreuse. Il y a beaucoup d'affaires qui restent confinées et comprimées par la Cour suprême. Le pouvoir en place et toujours dans une démarche sursitaire.

- On a annoncé une multitude d'organes, de prévention, de lutte, d'observation et de répression de la corruption. A quoi cela sert-il '
D'abord, c'est une très mauvaise chose. L'Algérie a mis en place une loi en 2006 dans des conditions singulières, désossant le processus de déclaration du patrimoine des agents publics. La même année, il y a eu l'annonce d'un Organe national de prévention et de lutte contre la corruption (intitulé officiel). Mais le pourvoir a semé la confusion à  travers différents intitulés attribués à  cet organe.
Quand les scandales se sont multipliés, on nous a sorti l'Office central de la répression de la corruption dont on ne sait absolument rien, ni sa composition ni ses missions. Mais en décembre 2010, il y a eu prestation de serment des membres de cet organe de prévention et de lutte, mais depuis 7 mois, il n'y a aucune nouvelle, alors que le pouvoir reconnaît que la situation est désastreuse en matière de corruption. A côté de cela, la Cour des comptes est en totale agonie avec un président en place depuis plus de 15 ans, ce qui est anormal à  des postes aussi sensibles. Il y a un minimum d'alternance à  respecter. Par ailleurs, il y a une disposition législative qui prévoit que le rapport annuel de la Cour des comptes soit publié au Journal officiel par le chef de l'Etat. Or, ça ne s'est fait que deux fois. De son côté, l'inspection générale des finances (IGF) à  qui on a élargi les prérogatives fonctionne de manière très opaque et établi un rapport annuel qui n'est pas rendu public. Il y a donc une multiplicité d'organes et des pôles de la justice, mais tout le monde se tourne le dos. Il n'y a même pas un soupçon d'effort et de coordination et d'échange d'information entre l'ensemble de ces
organes ; lié à  une absence de volonté politique, à  une pratique généralisée du gré à  gré, un fonctionnement judiciaire désastreux, qu'on ne s'étonne pas que l'Algérie continue à  s'enfoncer des les classements.

- Vous avez toujours dit que votre association était tolérée, mais pas acceptée. Cela risque-t-il de changer un jour '
Les choses n'ont pas changé, loin de là. J'ai fait l'objet d'un emprisonnement arbitraire, mais qui était un message très clair qui intervenait suite à  notre interdiction de participation à  la conférence d l'ONU en 2009. L'Algérie, le règlement intérieur le lui permettant, a formulé des réserves (pourtant après les délais réglementaires) sur notre participation, ce qui nous a valu le retrait de notre accréditation. On savait que la répression allait continuer d'autant que nous avions fait plusieurs déclarations à  propos de la non-application des lois suite à  des déclarations du gouvernement en matière d'efforts de lutte contre la corruption. L'emprisonnement du porte-parole de l'association était aussi un message clair pour ceux qui à  l'intérieur ou à  l'extérieur de l'association s'inscrivaient dans cette lutte contre la corruption. Un message dissuasif, d'intimidation, mafieux. A un moment, nous avions même craint d'aller vers des liquidations physiques.                


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