Algérie

Batna aura-t-elle le dernier mot électoral '



Batna aura-t-elle le dernier mot électoral '
Place de la Liberté. Sous le monument colossal et grotesque dédié à la Révolution, des dizaines de manifestants sont regroupés.Drapeaux berbères sur les épaules, les participants viennent de terminer une marche de près de trois kilomètres en criant des slogans hostiles au pouvoir, au 4e mandat et, accessoirement, au déni identitaire. Aujourd'hui, c'est au tour des militants du RCD et du Mouvement culturel berbère. Depuis un mois, il ne passe pas un jour sans que Batna ne soit animée par une marche ou un sit-in. A quelques centaines de mètres de là, sur la place du Théâtre, le mouvement B'zayed prépare une autre action. Avant eux, Barakat et Aurès Amokrane se sont relayés pour le même dessein : le rejet du pouvoir et du 4e mandat. Cette inflation revendicative, d'essence politique, s'est cristallisée au bout de longues années.La goutte qui a fait déborder le vase aurésien est certainement cette blague raciste faite par le directeur de campagne du président-candidat à l'encontre des Chaouis. Erreur fatale de Abdelmalek Sellal, qui fait basculer le pays chaoui dans l'anti-bouteflikisme, au profit de Ali Benflis, «l'homme du changement», clament-ils. «Nous voterons pour Benflis», déclare ce couple d'enseignants sexagénaires, divorcé de la politique et désespéré des urnes depuis le départ de Liamine Zeroual.«Je n'ai pas voté depuis 2004, ni aucun membre de ma famille d'ailleurs. Mais cette fois, avec Benflis, notre espoir renaît», s'enthousiasme Belkacem Ghoggali, avocat et directeur de la campagne de Benflis à Batna. Personnalités connues et citoyens anonymes sont gagnés par la fièvre de l'élection présidentielle.La participation divise, mais le rejet du pouvoir et de ses symboles unit la population de Batna, au point où les partisans de Bouteflika affichent profil bas. Il faut dire que la campagne électorale a été pénible pour ceux-là, menée par la députée Nabila, fille du héros national de la Révolution, Mostefa Ben Boulaïd. Le meeting de Abdelmalek Sellal a été annulé. La plupart des rencontres ont été marquées par l'échec de mobilisation. Les ministres originaires de Batna, appelés à la rescousse pour sauver les meubles, ont passé des moments difficiles, à l'instar de ce qui est arrivé à Cherif Abbas à AïnTouta et à Abdelmalek Boudiaf à Merouana. Youcef Yousfi, Premier ministre par intérim, a dû annuler lui aussi sa visite, programmée au lendemain de l'expiration de la campagne électorale.Benflis superstarJamais les Aurès n'ont été à ce point au centre de l'enjeu politique du pouvoir. Projetés de manière imprévue au premier plan de l'actualité du pays, Batna et tout le pays chaoui se sont transformés en un véritable baromètre de la tendance populaire. La blague de Sellal a fait basculer le pays dans la dissidence, un changement qui profite d'abord au principal rival de Bouteflika : Ali Benflis.Au QG de campagne situé sur l'artère principale dite Trig Beskra, une foule est rassemblée devant le tableau d'affichage où un bénévole s'affaire à coller la liste des surveillants et leurs bureaux d'affectation. Ils seront plus de 1400 éléments, formés et mobilisés, ce jour de vote pour veiller sur les intérêts du candidat Benflis. «Nous adopterons les résultats fournis par nos surveillants avant que les résultats officiels portés sur le PV de dépouillement ne soient déclarés, pour ainsi comparer nos chiffres avec ceux de l'administration», insiste Belkacem Ghoggali.Les militants que nous avons rencontrés parlent avec beaucoup de confiance ; pour eux, l'affaire est dans la poche, à moins d'un hold-up sur les voix des Algériens. L'ex-chef du gouvernement et candidat malheureux à la présidentielle de 2004 fait un tabac à Batna, une véritable star qui conquiert de plus en plus de foyers. Après avoir divisé le FLN et rallié des élus de Batna, à l'instar des députés Ali Melakhsou et Nacer Latreche, Ali Benflis a démontré qu'il peut rassembler au nom de son projet de changement.Ce qui est sûr c'est que la thèse du clivage tribal, qui a justifié son soi-disant échec il y a dix ans y compris dans sa ville natale, est battue en brèche. Le face-à-face entre les Ouled Ch'lih (tribu de Benflis) et les Djebaïlia n'aura pas lieu en dépit des tentatives menées par ses adversaires pour créer l'illusion du problème.«à sa place, je ne leur ferai pas confiance !»Lors de son meeting triomphal à Batna, Ali Benflis avait fait monter sur la tribune, à ses côtés, deux anciens moudjahid, figures emblématiques de la Révolution, tous deux des Djebaïlia. Belkacem Ghoggali, lui-même issu de ces tribus prétendument adversaires, témoigne de l'inconsistance de l'argument. Pour lui, si Ali Benflis a perdu en 2004, c'est à cause de la fraude.Mais cette confiance n'est pas contagieuse. En plus des populations gagnées par la psychose et la peur d'un dérapage vers la violence, certains sympathisants de Benflis nourrissent des certitudes sur l'inutilité d'un vote «hypothéqué». Youcef, la cinquantaine, fait partie de ceux-là. Dans son kiosque de tabac-journaux, situé sur l'artère principale, Youcef parle ouvertement de ses idées : «A la place de Benflis, je me retirerai. Ce n'est plus une élection, c'est une mascarade. Après cette déclaration bizarre faite par Bouteflika au ministre espagnol, c'est certain qu'ils ont préparé quelque chose de pas bon !»Beaucoup soupçonnent que Benflis a dû décrocher des garanties de la part de l'armée ou d'une partie de l'armée avant de décider à participer à l'élection, mais Youcef demeure méfiant : «A sa place, je ne leur ferai pas confiance !» Notre interlocuteur prédit aussi un fort taux d'abstention, comme ce jeune chauffeur de taxi, blasé par l'état désastreux de la chaussée et des bouchons qui désormais asphyxient Batna. «Je ne voterai pas, comme d'habitude, car les résultats sont connus d'avance. Le pouvoir va frauder et déclarer vainqueur son propre candidat. Ils ont volé et ne permettront à personne de venir remettre en question leur combines ou leur faire des procès», déclare Fares.Au campus universitaire Hadj Lakhdar, le mercure électoral n'affiche pas de bonnes températures non plus. L'indifférence des étudiants tranche avec le bouillonnement de la rue batnéenne. Pourtant, plusieurs manifestations sont parties de ce campus pour dénoncer les «insultes de Sellal» et dire «ça suffit» à ce qui est qualifié d'arrogance du pouvoir. Extralucide, R. Aggoune, un paysan de Lemsra, venu prendre part à la manifestation du Mouvement culturel berbère, se dit «choqué par les contradictions du RCD et le silence du FFS» en exprimant un autre point de vue : «Oui, la tendance penche vers Benflis, mais que ce soit lui ou un autre, nous savons que les voix accordées par les citoyens seront aussitôt oubliées par le président élu, ce système ne changera pas comme ça !»




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