Algérie

Bassma Kodmani, directrice de l'Arab Reform Initiative, au quotidien d'oran La complexité du monde arabe est saine



Brillante universitaire, spécialiste reconnue du monde arabe, ayant occupé de nombreuses responsabilités, comme à l'IFRI ou à la Fondation Ford en Egypte notamment, Bassma Kodmani, qui enseigne aussi au Collège de France, est à la tête d'Arab Reform Initiative (ARI). Elle explique la nature de cette initiative et le sens de sa démarche. Entretien. Le Quotidien d'Oran: Pourquoi avoir lancé Arab Reform Initiative (ARI), et quels sont vos objectifs majeurs ? Bassma Kodmani: L'initiative, au départ, a été lancée par trois Instituts arabes. Il s'agit d'un Institut égyptien, d'un autre jordanien et d'un troisième palestinien. Ces derniers ont souvent travaillé ensemble, ainsi qu'avec d'autres Instituts arabes. L'initiative est donc venue en réponse à l'approche occidentale - américaine, en particulier -, prônant la démocratisation du monde arabe. Laquelle approche visait à « enseigner » le modèle démocratique et tous ses ingrédients. Ces Instituts, en partenariat avec des Instituts européens et une personnalité américaine très bien introduite dans le monde arabe, ont décidé qu'il fallait proposer une approche alternative. Celle qui consiste à « mettre en scène » les Instituts arabes eux-mêmes, lesquels disposent d'une vraie capacité de recherche. L'idée était de mener en commun des travaux et de coordonner leurs activités par un soutien organisationnel, en disant: c'est à eux de produire la matière et de mener la réflexion sur les questions de réformes. C'est au monde arabe d'orienter et de guider vers la démarche à suivre dans chaque pays, de définir les priorités et d'identifier les acteurs de ces réformes. C'est ce que nous disent les Occidentaux. La finalité étant surtout de formuler et de conceptualiser ces problématiques. Un processus que le monde arabe doit vivre. Et c'est à lui de le penser !  Par conséquent, l'objectif de cette initiative est d'animer le débat, de mettre ensemble des intellectuels et des acteurs de la réforme en provenance de la société civile, de formuler et d'émettre des recommandations aux dirigeants arabes et aux élites. En vérité, ce sont eux les acteurs et les destinataires de cette opération: faire parvenir aux Occidentaux une certaine vision de la réforme telle qu'elle est formulée par les chercheurs arabes.   Q.O.: Qui finance votre centre et quel est votre budget ? B.K.: Nous avons démarré avec un financement mixte, majoritairement arabe émanant de différents pays, de fondations, d'entreprises et d'hommes d'affaires. Un milieu intéressé par les réformes, qui a montré ses motivations et y a contribué dès le départ. S'y ajoute un financement de quelques pays européens à travers des participations diversifiées de pays et de fondations non-gouvernementales. Notre but: conserver un financement mixte pour préserver notre indépendance. Nous ne voulons pas dépendre d'une seule source de financement provenant d'un pays arabe et encore moins d'un pays occidental qui dominerait le budget. A travers à peu près une dizaine de sources de financement, nous assurons notre indépendance. Les bailleurs de fonds acceptent tous le principe qu'ils ne peuvent pas fixer, ni poser des conditions... Q.O.: Peut-on avoir une idée sur votre budget ? B.K.: Le budget se situe autour de 700.000 euros par an (un million de dollars US). Nous avons commencé en collectant des fonds pour une durée de 3 ans et nous travaillons en permanence au renouvellement et l'élargissement de notre base de financement pour pouvoir prolonger l'opération. Q.O.:Concrètement, quelle est votre valeur ajoutée en matière d'expertise par rapport aux autres centres de recherche. Quel est le plus qui caractérise votre action ? B.K.: Le plus que nous apportons se situe à deux niveaux: l'organisation ou l'animation d'un débat public dans chacun des pays arabes; au niveau de la recherche, nous publions essentiellement des recherches arabes. 90% de nos travaux proviennent des chercheurs arabes qui vivent pour la plupart dans des pays de la région. Parfois, selon l'expertise, on peut faire appel à des étrangers, mais cela reste mineur.  Les chercheurs arabes vivent les questions de la réforme et sont souvent des acteurs engagés dans la société civile, dans les médias et dans différentes forces politiques et formulent les questions à partir du contexte de leur société. Autre point important: chacun de ces Instituts de recherche sert de plaque tournante à tout un réseau d'institutions de la société civile dans leur pays.  Par exemple, autour de chacune de nos publications s'organisent des ateliers à travers des débats auxquels participent de nombreuses organisations (droits de l'homme, ONG de femmes, experts juridiques, médias, hommes d'affaires, décideurs politiques...). En somme, l'ensemble des forces politiques, sociales et économiques. Nous avons donc un rôle d'animation et sommes des initiateurs de débat. Si on parle de questions de constitution, du rôle du secteur privé ou de la femme, nous le ferons avec des acteurs qui sont eux-mêmes très actifs sur ces sujets dans la société. Q.O.:Comment a été perçue votre démarche auprès des décideurs arabes ? Et comment a été accueillie votre initiative ? B.K.: C'est important de voir que ces Instituts sont membres d'ARI. Ils sont sélectionnés selon des critères rigoureux, à savoir une capacité de recherche réelle et une indépendance par rapport aux pouvoirs politiques. Nous avons un réseau d'Instituts qui ont cette indépendance et ont accès aux décideurs politiques. Ils constituent une sorte de courroie de transmission des idées et des débats pour les décideurs politiques et, généralement, la société.   Q.O.:Quels sont les rapports et études publiés par vos soins ? B.K.: Je souhaiterais revenir sur la question de la perception. Sur cette initiative et son financement, nous étions très soucieux d'avoir une image traduisant la diversité, l'ouverture et le partenariat que nous avons tissés avec des institutions étrangères. Parce que c'est une initiative arabe ouverte sur le monde ! Et quand j'évoque le monde, mes propos ne se limitent pas uniquement aux Occidentaux, mais vont au-delà: l'Amérique latine, l'Asie, l'Afrique, etc. Notre approche se renouvelle constamment et est inspirée par d'autres expériences démocratiques dans le monde. C'est aussi notre objectif.  A propos de financement, il est très important de dire que cette initiative n'est pas dominée par les Américains, ni par un pays ou un groupe de pays arabes. D'où l'importance de cette diversité des sources de financement. En termes de programmation, notre décision est de produire cinq grands produits publiables, en dehors des conférences et des réunions. Arrivent en tête les études ou des articles courts sur une question précise qui sont lancés dans tous les pays arabes, paraissant deux fois par mois. S'y ajoutent les rapports par pays. Ces derniers s'étendent sur une période de 18 mois, et constituent, pendant la phase de préparation, l'occasion - pour l'Institut qui mène le rapport d'organiser - 5 ou 6, voire plus, ateliers de débats qui figureront dans les conclusions. Ces rapports ne sont pas une simple compilation d'informations, mais le reflet de débats internes sur les différentes problématiques abordées. Autre action: les études thématiques et les sondages d'opinion.  * Etudes thématiques: cela consiste à réaliser des études comparatives sur un thème spécifique. Concrètement, on opère de façon comparée entre 5, 6 ou 8 pays arabes. Les sondages d'opinion sont menés tous les 18 mois dans 6 pays en même temps, portant sur les réformes. Les rapports ne s'intéresseront pas aux structures de l'Etat marocain, tunisien ou libanais de manière statique, mais plutôt à la réforme mise en place durant les 5 ou 8 dernières années. Et c'est cela qu'on privilégie !  * Sondages d'opinion: ils s'appuient sur des questionnaires destinés à la population sur les perceptions et les priorités de la réforme. Sur la base des conclusions, un rapport annuel est réalisé. Ce même rapport sera lui-même à l'origine d'indicateurs de la réforme, nous permettant, chaque année, d'évaluer et de mesurer l'état des réformes dans chacun de ces pays. Le rapport annuel sera un produit phare de l'Initiative et servira de support à un débat général dans la région. Q.O.:Pourquoi ARI est-elle une structure particulière ? B.K.: L'originalité d'ARI: mettre en commun 10 Instituts arabes qui travaillent de concert dans une collaboration institutionnelle. Notre mission s'étale dans la durée. Cette façon de fonctionner est tout à fait inhabituelle. Dans la région, les Instituts ne savent pas forcément travailler ensemble.  L'espace arabe est en train de se métamorphoser. Il y a un espace arabe de communication qui se crée; il existe une multitude de chaînes, l'analyse devient de plus en plus fine. Ce qui est important, c'est de transmettre d'un pays à l'autre les expériences qui se font. On raconte ce qui se passe à Bahreïn, au Koweït, en Tunisie ou au Maroc, ou on ramène aux Egyptiens une source d'inspiration à travers une expérience vécue dans un autre pas arabe. On ne fonctionne pas en vase clos. Les Instituts ne se cloisonnent pas dans leur espace national. Ils sont ouverts tout en étant enracinés dans leur contexte national, mais ils s'ouvrent et communiquent leur expérience et véhiculent leurs idées, leur façon de faire aux autres pays arabes. C'est un accélérateur parmi d'autres.   Q.O.:Ce discours qui porte sa complexité, peut-il être audible en Occident ? B.K.: L'Occident doit s'habituer à l'idée que le monde arabe est multiple et que cette complexité est saine. Ce sont les forces, longtemps souterraines, qui montent à la surface. Il n'y a rien de plus sain que de les voir s'exprimer librement. C'est de cette façon qu'elles pourront s'organiser, être identifiées, et que l'on peut en faire des partenaires dans toutes sortes d'opérations, qu'il s'agisse de réformes sociales, culturelles, religieuses ou politiques. Q.O.:Comment réduire l'ambiguïté ou la confusion puisque vous emboîtez le pas à cette ambition américaine de « démocratiser » le monde arabe ? Tout compte fait, comment éviter que vos travaux soient détournés ? B.K.: La priorité démocratique est définie et demandée par les sociétés arabes. Que l'Amérique en fasse sa priorité, tant mieux ! Cependant, il est vrai qu'elle peut parfois avoir un effet très contre-productif. La crédibilité américaine est très faible dans cette région, voire très négative. C'est pourquoi nous maintenons à distance toute approche officielle, américaine ou autre du reste, des questions de la réforme. Nous sommes dans un projet de démocratisation des sociétés arabes. C'est à celles-ci d'en parler. Le fait que nous fassions parler des chercheurs et des acteurs de la société civile arabe enlève tout soupçon d'une dimension étrangère de ce projet. Tout est dans la mise en oeuvre. Tout est dans la formulation des choses. Or, nous travaillons avec les partis politiques, les médias et tous les acteurs sur le terrain. Ce qui nous intéresse le plus, c'est que nous sommes dans une trajectoire de transition de nos sociétés vers un projet de démocratie dans le pluralisme, dans le respect de toutes les communautés. Nos priorités sont là. Nous avons une dimension sociale importante de la démocratie que l'Amérique n'introduit pas, puisque celle-ci parle d'économie de marché et de liberté politique. Cela ne suffit pas ! Il y a des programmes sociaux autrement plus importants que les sociétés demandent peut-être même avant la démocratie.   Q.O.:Nombreux sont ceux qui désespèrent devant l'immobilisme du monde arabe. Est-ce une fausse perception ? Le monde arabe bouge-t-il réellement et comment ? B.K.: Le mot immobilisme ne s'applique plus du tout à notre région, ni à l'ensemble du monde arabe d'ailleurs. Il suffit de lire la presse tous les jours pour savoir qu'il y a partout une effervescence autour de débats et de demande démocratique. Le rythme de cette avancée est certes différent d'un pays à l'autre, mais on avance sûrement. Dans les pays où il y a des blocages, la société s'exprime et se manifeste par tous les moyens. Il y a ceux qui agissent en manifestant dans la rue, en écrivant dans la presse ou en signant des pétitions... Il y a également l'Internet qui est devenu un instrument important. Cela permet de voir à quel point le débat existe ! Les modes d'organisation sont en fonction de l'espace de liberté qui est ouvert dans chacune des sociétés. Et cela diffère d'une société à une autre.  Dans certaines sociétés, l'accent sera mis plus sur des réformes politiques institutionnelles, constitutionnelles ou juridiques, alors que dans d'autres on privilégie l'évolution sociale, la femme, la jeunesse, l'éducation, la formulation des programmes éducatifs, etc. Si vous comparez l'Egypte et le Maroc à l'Arabie Saoudite, vous verrez qu'il y a au Maroc, en Egypte un état d'avancement des revendications sur le plan constitutionnel, ou encore sur le changement d'institutions et de demande de liberté et d'organisations politiques, alors que si vous regardez plutôt vers l'Arabie Saoudite et les pays du Golfe, il y a un grand mouvement de mobilisation aujourd'hui des secteurs de la société, en l'occurrence le secteur privé, mais aussi les femmes qui ont vu tout d'un coup une opportunité d'ouverture devant elles. Est-ce que c'est le soutien occidental, ou est-ce l'air du temps ? Peu importe, les femmes ont besoin de s'émanciper dans le monde arabe et elles sont en train de formuler leurs revendications dans tous les domaines: éducation, culture, politique, mais aussi et surtout l'économique. Dans les pays riches, les femmes émergent comme des chefs d'entreprise, des responsables dans les prises de décision économique et de plus en plus dans les médias. Q.O.:Comment jugez-vous l'expertise occidentale sur le monde arabe ? Comporte-t-elle une grille de lecture biaisée ? B.K.: Il y en Europe, et en particulier en France mais aussi aux Etats-Unis, de très bons spécialistes et des analyses justes des sociétés arabes. Mais il y a aussi des formulations simplistes, déformées par un prisme civilisationnel et culturel. Le rôle de l'Initiative est d'encourager et d'organiser les échanges du milieu de la recherche arabe avec les spécialistes sérieux en Europe et aux Etats-Unis et de donner une visibilité à ces travaux auprès des décideurs. Ceci devrait réduire de facto l'espace que remplissent les adeptes du culturalisme.  Malheureusement, les approches culturalistes empêchent de voir des réalités beaucoup plus intéressantes parce que le débat civilisationnel n'est pas une priorité. L'importance de la contribution d'ARI est que l'analyse est produite de l'intérieur des sociétés arabes, et elle est vivante. Un débat sur la réforme démocratique en dehors de son contexte est dévitalisé. C'est vraiment cette dimension qu'ARI peut communiquer à ses lecteurs et à son public. Tous les jours, dans les sociétés arabes, il se passe quelque chose. Vu de l'étranger, il y a une incapacité à traiter cette complexité qui émerge. On voit monter à la surface une multitude de forces qu'on ne connaissait pas. Et on n'arrive pas à bien les identifier. Alors on parle par facilité d'islamisme. Il n'y a pas que l'islamisme, il y a de tout dans les sociétés arabes: des libéraux, des sociaux-démocrates, des gens de gauche, des nationalistes, etc.  Il y a des forces qui représentent les force sociales, les syndicats, la jeunesse, les femmes, les intérêts économiques. Toutes ces forces sont en train de s'exprimer. Elles ont une voix aujourd'hui. Or, dans les pays occidentaux, on n'a pas l'habitude de cela. Ils ont peur de cette complexité. Tout compte fait, on ne sait pas très bien comment se situer dans cette complexité et on ne sait pas quels doivent être nos interlocuteurs à partir de l'Occident, ni qui sont les interlocuteurs légitimes ou non. Cette complexité génère également la cristallisation de débats sur des revendications précises aux contours bien définis avec des coalitions de forces politiques et sociales autour de certaines revendications clés. On commence à y voir plus clair à travers certains mécanismes: les élections, la liberté des médias, les dialogues entre forces politiques et les coalitions émergentes, etc. Ce qui est important aussi, c'est la qualité des Instituts qui ne sont pas dans l'opposition et qui sont aussi capables d'aller chercher au sein des pouvoirs politiques les interlocuteurs qui sont eux-mêmes des réformateurs. Il y a à l'intérieur des Etats un grand débat et une tension terrible entre réformateurs et conservateurs. Et il faut pouvoir prendre appui sur les réformateurs au sein des pouvoirs politiques. Il s'agit d'apporter l'appui de manière à les renforcer à l'intérieur même de l'Etat. Nous nous inscrivons dans l'idée qu'il y a une transition démocratique qui a été vécue par d'autres régions du monde et nous les regardons de près pour dire qu'on peut évoluer vers la démocratie dans la stabilité. Et la stabilité ne veut plus dire l'immobilisme et implique une transition avec l'organisation des forces légitimes qui veulent travailler dans la légalité.   Q.O.: Considérez-vous que la vision américaine du Grand Moyen-Orient (GMO), qui est devenu le Nouveau Moyen-Orient, se soit fracassée sur le mur du réel ? Et les Américains vont-ils s'obstiner à vouloir bousculer l'ordre moyen-oriental par un volontarisme ignorant très souvent les données géopolitiques ? B.K.: Les USA ont lancé cette priorité et elle était assez éphémère. Il faut reconnaître aujourd'hui qu'ils ont d'autres urgences et d'autres préoccupations. Peut-être est-ce l'occasion pour les mouvements politiques et sociaux du monde arabe de se réapproprier le discours sur la réforme.   Q.O.: Cette vision est toujours présente... B.K.: Le désastre irakien les occupe beaucoup. La priorité, pour eux, est le contrôle de la situation en Irak, le contrôle des réseaux terroristes qui se sont développés, au lieu de la solution du conflit central israélo-palestinien qui conduit tous les jours à des affrontements renouvelés. Il y a également la situation au Liban, au Soudan. Il existe des foyers d'insécurité qui rendent le débat sur les questions démocratiques beaucoup moins prioritaire pour les USA. Le GMO est une espèce de slogan auquel plus personne ne croit.   Q.O.: Il existe bel et bien sur le papier... B.K.: Il existe sur le papier et sur plusieurs documents qu'ils produisent sur Internet. Les Américains sont assez doués pour mettre en oeuvre et pour développer des agences qui, à l'intérieur des pays, font du travail. Il faut prendre ce qu'il y a de bon et laisser ce qu'il y a de mauvais. Il faut savoir gérer l'acteur occidental et américain en particulier. Il pèse sur les forces libérales et démocratiques de nos pays le soupçon d'une alliance avec l'Occident. Il faut que ces forces arrivent à formuler les choses de manière à se débarrasser de ce soupçon. Les premiers à jeter le soupçon sur ces gens sont les pouvoirs eux-mêmes. C'est la meilleure façon de les discréditer. Les pouvoirs sont contre toute demande politique, qu'elle vienne des libéraux, des démocrates, des islamistes ou de la gauche...  Il faut qu'il y ait un dialogue permanent entre les forces politiques. Via quels processus ? Les processus par lesquels les forces politiques peuvent agir ensemble, en se mettant d'accord sur des revendications et non pas sur des idéologies et des principes. Chacun a son idéologie. On ne va pas transformer les uns et les autres pour devenir une seule force. On ne veut surtout pas retourner à l'uniformisme dans nos sociétés. La diversité est nécessaire pour la démocratie, mais elle ne veut pas dire le désordre.   Q.O.: Le temps presse; ces forces auront-elles suffisamment le temps de s'installer et d'accélérer ces processus de transformation... B.K.: Nous avons besoin de temps. On ne passera pas à la démocratie du jour au lendemain. Les Occidentaux vont s'en désintéresser bien avant qu'elle ne se produise chez nous, mais nous continuerons ce chemin. Il y va de notre avenir et de notre destinée comme sociétés arabes. Peu importe l'intérêt occidental, il est de courte durée. Les Occidentaux n'ont pas très longue haleine et leurs engagements sont rythmés par des calendriers électoraux. Q.O.: Il ne faut pas ignorer le fossé entre l'Occident et le monde arabe. Il s'élargit de jour en jour. On va vers ce qu'on appelle le choc des civilisations. On y est déjà à travers les discours et les perceptions, les ignorances... B.K.: Oui, le choc des ignorances ! Malheureusement, les ignorances existent de part et d'autre. Nous avons une grande ignorance de ce qu'est l'Occident. D'où les discours assez insensés venant de notre région et qui émanent souvent de forces qui veulent manipuler. Je ne veux pas dire que nous avons 20 ans devant nous et que nous ne ferons rien. Au contraire, ce qui se produit depuis environ 2 à 3 ans dans nos sociétés suit déjà un rythme soutenu de mobilisation de demandes démocratiques. Qu'on le veuille ou pas, les élections sont des accélérateurs. C'est un formidable accélérateur d'organisation des forces politiques, de leur maturation, de leur émergence, de la formulation de leurs programmes et de leur contact avec la population.  Mais il faut bien sûr qu'elles existent au départ, même si elles sont faibles. Aujourd'hui, les mouvements d'opposition sont presque tous des mouvements d'élite. La société n'est pas concernée mais lorsqu'on organise des élections, on sait que c'est le moment où les forces politiques vont devoir aller à la rencontre de la population. C'est ainsi qu'on peut bâtir une base sociale. Les élections sont des accélérateurs majeurs. Lorsqu'on voit le courant des réformateurs gagner sur certains terrains, lorsqu'on voit que le secteur privé pousse à certaines libéralisations pour son propre intérêt, même si ce n'est pas dans l'intérêt général, c'est aussi un accélérateur. Les médias sont un accélérateur majeur. L'ouverture de l'espace médiatique est une priorité. On trouve aujourd'hui les moyens à travers tout le monde arabe pour s'exprimer, dénoncer. Pour engager, il faut commencer par formuler le problème. C'est ce que nous faisons dans nos études et dans nos analyses.  Nous maîtrisons aujourd'hui mieux l'indépendance du pouvoir judiciaire, le pouvoir du parlement, la société civile et une loi qui permet son organisation, les partis politiques qui agissent dans un cadre légal bien défini. Il y a deux, trois ans, nous étions dans un vague général. Leur simple formulation est déjà un progrès considérable. La société va beaucoup mieux comprendre les enjeux dans les années qui viennent. Et comprendre les enjeux devient aussi un facteur de mobilisation.


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