En «l’Oasis blanche», Béni-Abbès étant l’unique agglomération du Sud-Ouest à couvrir ses murs de chaux légèrement teintée pour ne pas aveugler le regard, la fête de la nativité du Prophète de l’islam se déroule sur deux jours. C’étaient les 23 et 24 décembre 2015. Le premier jour, l'après-midi, selon la coutume, dès la fin de la prière d’El Asr, le rendez-vous des «festivaliers» est à Thlaya, du nom d’un majestueux arbre qui trônait là il y a des lustres, et autour duquel se tenait très anciennement un marché hebdomadaire. Sous la protection de son ombre, les autres jours, tout marchand ambulant de passage exposait ses produits.
A cause de sa centralité par rapport à la cité primitive, c’est là le rendez-vous de la fête du Mouloud. Depuis quelques années, il a été édifié un amphithéâtre de béton en demi-cercle, à l’endroit où traditionnellement les femmes s’installaient pour assister au baroud, aux danses et chants auxquels s’adonnent les hommes. Les femmes, elles, font la fête entre elles dans la sphère privée où les hommes ne sont pas admis.
L’amphithéâtre est depuis aux trois quarts réservé aux femmes, parce que les «mâles», en théorie, doivent tirer le baroud ou accessoirement s’occuper d’autre chose pour la réussite de la fête. Ici, on ne donne pas un spectacle folklorique et il n’y a pas un public d’un côté et de l’autre des artistes en représentation ! A Béni-Abbès, c’est parce qu’il y a des visiteurs qu’un espace est consenti aux hommes sur les gradins. Le prélude à la fête est au sacré avec la récitation de la Fatiha.
Les officiants sont les fidèles sortis de la mosquée après la prière d’El Asr, avec l’imam à leur tête. Fait plus remarquable, parmi les présents sur l’immense halqa, il y a les enfants dont c’est le premier Mouloud de leur vie. Leurs parents qui les portent, tiennent symboliquement un bout de palme de façon ostensible. Un baroud doit être tiré en premier en leur honneur.
Ce sont tous des garçonnets, société patriarcale oblige. Pendant ce temps arrivent les «baroudeurs», convergeant en groupes de leurs quartiers, en chant et danse. S’alignant les uns à la suite des autres en halqa, ils forment un cercle de plus de 300 personnes, tous habillés d’une ample robe saharienne et de chèche d’un blanc immaculé. Au centre, un groupe de percussionnistes, tambourins et tbals mettent en train la fête, passant en revue les participants, les entraînant dans le chant et la danse. Les refrains sont des louanges au Prophète.
Mais sans rien d’empesé. Tout est joyeuse exultation. Les leitmotivs sont repris à l’unisson sur fond de you-you des femmes sur les tribunes. Le ton et le rythme sont si entraînants que les corps chaloupent en ondulations collectives. Le visiteur se plaît à y voir les origines africaines du gospel, l’Algérie étant africaine, du Nord certes, mais africaine avant d’être maghrébine. Une fois l’entrain général canalisé par l’officiant en chef depuis le centre de la halqa, les porteurs de palmes et d’enfants en quittent le pourtour pour se placer à l’intérieur.
Le premier baroud est en l’honneur des bambins et de leurs porteurs «palmés». Ces derniers les serrent bien fort contre eux, parce que le bruit et l’onde de choc des tirs groupés se transmet de façon tellurique à tout le corps. C’est d’ailleurs pour cela qu’à Béni-Abbès le baroud du Mouloud s’appelle fezzaâ, c’est-à-dire choc, ébranlement. Pour qu’il soit réussi, l’officiant a fait répéter un à un les mouvements, d’abord séparément avec chaque groupe du cercle. On plie le corps, on se relève et l’on simule le tir comme en une chorégraphie.
Enfin, c’est au tour de toute la ronde, à plusieurs reprises, jusqu’à ce que la coordination soit parfaite, car le tir doit être parfaitement synchrone. Il a d’ailleurs fallu des jours à chacun des groupes constitués pour s’entraîner et roder les automatismes pour, le moment venu, faire bonne figure et faire honneur à son quartier, son clan. Les armes dont ils usent sont des pétoires de fabrication artisanale. Quant au baroud, sa poudre l’est également. Les autorités, depuis la tragique décennie 1990, en avaient interdit la fabrication pour d’évidentes raisons de sécurité.
Depuis que le terrorisme est «résiduel», elle a été autorisée. La poudre étant alors désormais à profusion, le baroud de l’allégresse se donne à cœur joie. Après le premier en l’honneur des enfants, la grande halqa pétarade de plus belle. Puis, elle se scinde en petites halqas, reconstituant les troupes de quartiers pour rivaliser entre eux dans des évolutions mises au point pour ravir la vedette aux autres, le baroud n’étant pas démonstration de force mais feu d’artifice dans tous les sens du terme.
Posté Le : 28/04/2017
Posté par : patrimoinealgerie
Photographié par : Hichem BEKHTI