Algérie

Barbès Café : Hommage aux ouvriers chanteurs



Paris
De notre correspondant

C'est dire que l'hommage aux «ouvriers chanteurs»,  appellation donnée aux anciens artistes algériens qui ont vécu l'exil en France, est une occasion inespérée d'exhumer les trésors musicaux de cette période et montrer comment la musique et le talent ont aidé à  supporter les affres de l'éloignement familial, de la solitude, mais aussi les dures conditions de labeur dans les usines de France. A ce propos, Akli Yahiatène disait toujours : «L'usine, c'est pour mes enfants (comprendre gagner de l'argent pour les nourrir, ndlr), la musique c'est pour moi.» D'après Kamal Hammadi, auteur, chanteur compositeur, c'est Mohamed Al Kamal, Iguerbouchène et Salim Hlali qui étaient les pionniers des cafés concerts à  Paris dans le milieu maghrébin. C'était vers 1930. Sont venus ensuite Slimane Azem, Bahia Farah, Mohamed Al Jamoussi, Allaoua Zerrouki, Houcine Saloui, Farid Ali et bien d'autres... Fidèle à  l'esprit d'antan, la soirée musicale a débuté par une comptine annonciatrice du spectacle. Sans tarder, l'orchestre s'exécute. Il rend hommage à  l'un des piliers de la chanson algérienne, cheikh Al Hasnaoui. Au même moment, des hommes accoudés au bar évoquent le mal du pays, en noyant leur chagrin dans des demis de bière ou des ballons de rouge. Peu importe, c'est vendredi soir, et il faut oublier le temps d'un week-end  les sacs de ciment et de sable portés à  bras-le-corps, les centaines de boulons fixés machinalement ainsi que la chaleur et l'odeur suffocantes que dégagent les mines de charbon. «Je sais que Mouloud est marié, mais c'est avec moi qu'il vit» Souvent Française à  cette époque-là, la serveuse du bar est aussi de la partie. Elle, qui a appris à  vivre avec des hommes étrangers, marqués par le mal du pays et la nostalgie, rajoute son grain de sel au plat amer de l'exil. Derrière le bar, elle évoque tendrement son amoureux, un certain Mouloud, coupé lui aussi en deux. «Je sais que Mouloud est marié et a des enfants, confesse-t-elle, mais c'est avec moi qu'il fait sa vie». Un clin d'œil aux milliers d'immigrés qui avaient le cœur ballotté entre deux femmes, la Française avec qui ils vivent et l'Algérienne qui attend de l'autre côté de la mer. Un dilemme tranchant comme un couteau...  Hélas, ce n'est pas la chanson de Slimane Azem Algérie mon beau pays, je t'aimerai jusqu'à la mort qui adoucira l'atmosphère. On est en pleine guerre de libération. Arrestations, descentes de police dans les quartiers algériens, contrôles d'identité au faciès, sans faire l'impasse sur la violente répression de la manifestation du 17 octobre 1961 contre le couvre-feu imposé aux Algériens  durant laquelle ils furent massivement raflés, massacrés ou jetés dans la Seine. La chanson Al Menfi d'Akli Yahiatène ne pouvait mieux tomber pour décrire le martyre enduré par les Algériens de France durant cette période. «Peuple français, tu as tout vu. Tu as vu notre sang couler. Tu as vu nos corps martyrisés», lance une voix féminine comme pour dire que rien ne sera oublié.Soudain, le décor change. Nous sommes en 1962. C'est l'indépendance. Et qui mieux que Hadj M'hamed Al Anka pour célébrer ce plus beau jour de l'Algérie avec Dieu merci, il ne reste plus de colonialisme dans notre pays. Les youyous fusent de la salle. C'est la grande fête. S'ensuivent quelques années de douceur et d'insouciance, où l'on pouvait, comme le disait cheikha Rimiti, aller cueillir des fleurs et des roses avec son bien-aimé ou son amante. Mais c'est également des années où la nostalgie de l'Algérie a brisé tant de cœurs. Juifs, Espagnols, Portugais, Français, Italiens, simples amoureux de cette terre gorgée d'eau et de soleil, tous se retrouvent dans la chanson de Lili Boniche J'aime Paris, mais pas comme Alger...  Cette ville ouverte aux vents marins et aux étrangers continuera toujours à  tendre l'oreille à  ce qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée : Mai 1968, Mai 1981, Mai 2007... Autant de dates qui rattachent les destins de ces deux pays. Barbès Café, c'est aussi cette histoire-là.
 


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