La finance islamique s'installe en Algérie. De nombreux produits
financiers adoptent des labels «islamiques». Comment s'effectuent les contrôles
? Quels sont les garde-fous ? Comment est adopté un produit financier islamique
?
La finance islamique se frotte les mains : le marché algérien est
prometteur. «L'objectif de la Finance islamique n'est pas de révolutionner le
monde de la finance. Il ne s'agit pas de trouver une solution alternative à la
banque traditionnelle. C'est l'innovation par la création de nouveaux produits
qui sont structurés en conformité à la Charia qui prime, en vue de satisfaire
les besoins des clients qui cherchent cet aspect de conformité à la Charia»,
explique un analyste et spécialiste de la finance islamique qui a requis l'anonymat.
L'Algérie compte deux banques islamiques : Al Baraka Bank (filiale du groupe
éponyme, Arabie saoudite) a fait son apparition en 1991 et Al Salam Bank
Algérie (Emirats arabes unis) qui a lancé ses activités début 2009. «Pour
adopter un produit financier islamique, il faut un conseil (composé d'au moins
trois docteurs en Charia) qui se prononce sur la conformité par rapport aux
règles de la Charia. Après étude, ils émettent une «fatwa» et ce n'est qu'alors
que le produit peut être commercialisé. Le risque de lancer des produits
financiers non conformes à la Charia (alors qu'ils prétendraient l'être) est
réel. Il risquerait de nuire à la crédibilité du modèle», observe notre
analyste. Les principes de la finance islamique sont au nombre de cinq : interdiction
de l'intérêt, pas d'incertitude, pas de financement de certains secteurs jugés
illicites (armement, porc, alcool), principe de partage de profits et des
pertes entre les participants à une transaction financière et, enfin, le
principe qui stipule que toute transaction doit être sous-tendue par un actif
tangible. La finance islamique ne désemplit pas de produits financiers : le
Sukuk, par exemple, est un instrument financier jugé conforme à la Charia. Il
se rapproche d'une obligation dans la finance conventionnelle, permettant de
lever des fonds.
Les murabaha (achat-vente), les Ijara (équivalent du leasing) et les
musharaka (équivalent du capital risque) sont aussi disponibles sur la place
financière algérienne. L'un des principaux produits qui différencie les banques
islamiques de leurs consoeurs conventionnelles est le compte de partage de
produits et des pertes qui fait en sorte que la rémunération servie aux
déposants dépend de la rentabilité de la banque islamique et n'est pas
prédéterminée comme dans un compte à terme classique. Cependant, un banquier
estime que les limites de ce modèle sont nombreuses : «Pour commencer, je
citerais la fragmentation et l'absence de standardisation. Il y a des
interprétations différentes de la Charia qui conduisent à l'absence d'un marché
intégré global. A titre d'exemple, l'AAOIFI (Accounting and Auditing
Organization for Islamic Financial Institutions) a déclaré en 2008 que 85 % des
sukuk émis étaient non conformes à la Charia. Fort heureusement, les instances
concernées ont décidé de mettre davantage de coordination dans leur travail
avec d'autres régions du monde musulman. Ceci est de nature à donner davantage
de crédibilité au secteur». Et notre interlocuteur de citer une seconde limite
relative à «la faible profondeur et diversification du marché et notamment le
nombre limite de classes d'actifs liquides conformes à la Charia, ce qui réduit
les opportunités de placement des banques islamiques et les expose à des actifs
risqués tels que l'immobilier ou les marchés actions. Les banques islamiques
courent aussi un risque de réputation, à l'instar de toutes les banques, mais
avec un risque supplémentaire : être perçues comme non conformes aux règles de
la Charia, ce qui pourrait entraîner un mouvement de défiance de certains
clients et de retrait de dépôts».
Banquiers...«traditionnels»
Autre handicap de la finance islamique : «Le manque de compétences et de
main-d'oeuvre qualifiée est, pour le moment, une des limites de ce modèle. Avec
l'envolée de la banque islamique au cours de ces dix dernières années, ce sont
des banquiers formés à la finance traditionnelle qui ont comblé les besoins du
secteur en la matière. Pour que celle-ci se développe, il faut de la recherche
et des cursus spécifiques pour plus d'innovation», ajoute encore notre
banquier. De leur côté, les autorités monétaires algériennes se veulent
rassurantes. Le ministre des Finances, Karim Djoudi, avait récemment affirmé
que l'activité des banques islamiques en Algérie est codifiée de manière
cohérente. La loi sur la monnaie et le crédit et les textes d'application de la
Banque d'Algérie contient des textes législatifs visant à réguler les produits
bancaires proposés par ces banques «islamiques». Le ministre avait annoncé,
également, qu'un groupe de travail, regroupant des présidents des institutions
financières, membres de l'Association des institutions financières et des
banques, mène une étude exhaustive pour formuler de nouvelles propositions pour
le développement et le soutien de l'activité des banques islamiques en Algérie.
La finance islamique s'est développée de manière très rapide au cours des
dix dernières années. Sur l'échiquier international, toutes les études
démontrent une croissance de l'ordre de 10 % annuel au cours de la dernière
décennie. Le nombre d'institutions financières islamiques dans le monde est
passé d'une seule en 1975, à plus de 300 aujourd'hui et dans plus de 75 pays.
L'encours de la finance islamique dans le monde pourrait atteindre 1.000
milliards en 2010. Le Bahreïn est le premier pays au monde à abriter des
établissements islamiques avec 34 banques. Le potentiel financier de ces
banques est de 450 milliards de dollars, l'Iran non compris. Jusqu'en 2006, on
parlait peu de la banque islamique au Maghreb, si ce n'est à travers la Best
Bank en Tunisie ou la Baraka Bank en Algérie. Depuis, des mesures ont été
prises pour permettre de développer ce secteur. Al Salam Bank a ouvert ses
portes en Algérie. Elle compte parmi ses actionnaires le groupe immobilier
émirati E'maar, une banque libano-canadienne et une société d'assurances
émiratie. Al Salam Bank a été autorisée à se constituer en banque universelle.
Elle est, d'ailleurs, présente au Soudan et au Bahreïn. Le PDG du groupe E'maar
est le président de la commission des fondateurs de la banque. Le Maroc a
autorisé certains produits financiers alternatifs en 2007. La Tunisie a
autorisé la création d'une banque islamique, la Zitouna Bank. Il va sans dire
que le développement de projets inspirés par les banques islamiques des pays du
Golfe, tel que la Guf Finance House en Tunisie. La finance islamique joue le
rôle de pont entre les pays maghrébins et les pays à forte capacité de
financement que sont les pays du Golfe. On enregistre, cependant, un léger
ralentissement pour l'année en cours, du fait de la crise financière et du
recul de certains marchés. Le secteur reste un segment «jeune» de la finance.
Banques historiquement islamiques, celles récemment islamisées et d'autres
partiellement islamisées cohabitent aujourd'hui sur le marché. Entre le
Sultanat d'Oman, qui interdit la Finance islamique, l'Iran et le Soudan où il
est entièrement islamique, et l'Arabie saoudite, qui affirme que réglementer
des banques islamiques serait reconnaître que d'autres sont illicites, il y a
encore de la manœuvre. Dans un premier temps, l'offre de la finance islamique
faisait en sorte de répondre aux mêmes besoins exprimés par des banques
conventionnelles, ce qui était un passage normal dans la courbe d'évolution du
secteur. Dans un second temps, et avec l'ancrage de la finance islamique dans
la finance mondiale, il se peut qu'on assiste à la création de nouveaux
produits exclusifs à la finance islamique. Les comptes de partage de profits et
de pertes en sont un exemple, même si leurs fonctionnements en pratique
pourraient être différents de la théorie. En effet, une banque, qui ferait
partager à ses clients des pertes résultant de son activité, pourrait voir sa
base de déposants fondre rapidement. Pour les experts, les banques islamiques ont
certes été plus résistantes à la crise financière internationale que leurs
consoeurs conventionnelles, du fait de leur non exposition aux produits
d'investissement structurés. Cependant, avec la transformation de la crise
financière en une crise économique, des impacts sont à attendre sur la qualité
des actifs des banques islamiques aussi bien que pour les banques
conventionnelles.
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Posté Le : 26/10/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Amine L
Source : www.lequotidien-oran.com