Algérie

Banques et argent, la méfiance !



Les quantités de billets et de pièces de monnaie circulant hors banques sont évaluées à 34,73% de la masse monétaire globale à fin 2020.Les situations mensuelles de la Banque d'Algérie ont permis de lever en partie le voile sur les quantités de monnaie fiduciaire circulant hors banques, dont une bonne partie va alimenter la thésaurisation et les circuits informels de l'économie. Alors que la liquidité globale des banques reprenait son mouvement baissier dès la fin de 2019, les quantités de billets et de pièces de monnaie circulant hors banques allaient crescendo pour représenter, à fin 2020, 34,73% de la masse monétaire globale.
La question de la circulation fiduciaire hors canal bancaire se fait de plus en plus présente dans le débat public à l'heure où les banques de la place renouent avec de sérieux problèmes de liquidités, pouvant compromettre la reprise de l'activité crédit au profit de la croissance.
Les dernières statistiques en date, diffusées par la Banque d'Algérie, font état d'une forte expansion de la monnaie fiduciaire hors banques ; celle-ci passant de 5 437,6 milliards de dinars à fin 2019 à 6 140,7 milliards de dinars à fin 2020. Cet argent qui quitte les banques sans que le cash en circulation y revienne en quantités suffisantes, puisque c'est de cela qu'il s'agit, pèse sur le secteur bancaire qui, en dépit des multiples interventions de la Banque centrale courant 2020, demeure en mal de liquidités ; le niveau global de ces dernières s'établissant à seulement 632,3 milliards de dinars à fin 2020, contre 1 100,8 milliards de dinars à fin 2019.
La liquidité libérée à coups de baisses à répétition du TRO (taux des réserves obligatoires) ne semble pas profiter à l'économie, alors que cet argent devait aider à renforcer la résilience des banques face aux besoins de financement des entreprises, frappées de plein fouet par le choc pandémique. En période de crise, ou non, la masse monétaire en circulation en dehors du canal bancaire ne pouvait que croître ces dernières années, combinée à une économie informelle conséquente qui, de par son ampleur, complique la gestion macroéconomique et affaiblit les canaux de transmission de la politique monétaire.
À la source du mal
Selon les experts, cette dynamique préoccupante du cash trouve sa source dans "l'archaïsme" du système financier, que ce soit en termes de collecte de l'épargne, d'investissement ou de moyens de paiement. "Etant donné que les banques publiques dominent le secteur bancaire, il est impératif de moderniser leur fonctionnement pour tirer tout le secteur vers le haut. Cela passe par la réforme de leur gouvernance avec comme première étape leur consolidation en un nombre réduit d'institutions pour optimiser les coûts et renforcer leurs capacités", estime un banquier de la place.
En parallèle, ajoute-t-il, "il faut lancer un grand plan de digitalisation pour dématérialiser les services bancaires, faciliter leur accès et généraliser les paiements électroniques et mobiles. Ce qui contribuera grandement à la transparence des transactions financières, à la collecte de l'impôt et donc à la réduction de la masse monétaire en circulation dans les circuits parallèles". Si les Algériens manifestent une préférence pour le billet comme moyen de paiement, "c'est parce qu'ils sont victimes d'un phénomène d'exclusion financière de grande ampleur", estime également Farouk Nemouchi, économiste et financier, contacté par Liberté.
Pour lui, cette évolution à contre-courant de la tendance qui prévaut dans la plupart des pays traduit l'échec des politiques adoptées en faveur de la promotion de la monnaie scripturale, via le chèque, la numérisation des moyens de paiement et d'autres mesures pour développer la bancarisation de l'importante masse d'argent liquide en circulation et accroître la part des banques dans le domaine du crédit et de l'épargne. Avec une agence bancaire pour 27 587 habitants, bien en dessous de la norme mondiale, à savoir une agence pour 5 000 habitants, le système bancaire algérien éprouve d'énormes difficultés à promouvoir des stratégies d'inclusion financière.
Sous-bancarisation
Selon la base de données Findex établie par la Banque mondiale, les indicateurs concernant l'Algérie en 2017 révèlent une forte exclusion financière qui rend plus que problématique la modernisation du paysage financier.
Une part de 57% de la population algérienne adulte est exclue du système financier et l'exclusion financière des femmes est encore plus forte avec un taux de 71%. Farouk Nemouchi évoque le phénomène de "l'économie non observée comme facteur responsable de la croissance de la monnaie fiduciaire". Cependant, fait constater l'économiste, tout argent qui n'est pas en banque n'est pas forcément dans l'informel, soulignant que les propos tenus par le ministre des Finances, qui a déclaré la semaine dernière que "l'argent en circulation dans les circuits informels avait atteint les 6 140,7 milliards de dinars (près de 60 milliards de dollars) à la fin de l'année 2020", ont de quoi surprendre. Car, explique Farouk Nemouchi, il y a de la confusion entre le montant total des billets en circulation et la part de ce même montant qui est accaparé par les acteurs qui fructifient leurs capitaux dans la sphère informelle.
"Lorsqu'on parle de circulation fiduciaire, il y a lieu de distinguer celle qui concerne les transactions entraînées par l'activité légale et celle qui résulte de l'économie non observée", explique notre interlocuteur. Il rappelle, sur sa lancée, que, selon la Banque d'Algérie, 60% des billets en circulation à fin 2018 sont en lien direct avec les activités qui relèvent de l'économie souterraine.
"Si l'on applique ce taux à la masse monétaire à fin 2020, cela représente 3 684,4 milliards de dinars et le montant restant de l'ordre de 2 456,4 milliards de dinars est affecté aux encaisses de transaction", soutient l'économiste.

Ali Titouche


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