Algérie

Bande dessinée et caricature, Des bulles dans la chorba



Vieille passion pour le 9e art que celle des Algériens, dont les enfants, à la fin des années 1950, se précipitaient dans les marchés pour acheter les piles usagées de Kiwi, Zembla et surtout Blek le Roc qui racontait la lutte imaginée d’un trappeur américain contre l’armée britannique, histoire qui évoquait indirectement leur propre guerre de libération…


C’est dans ces années-là que se distingua Ismael Aït Djaffer, précurseur de l’école algérienne, poète qui signa l’émouvante Complainte des mendiants de La Casbah et réussit à placer dans la presse d’alors des dessins humoristiques qui signalaient la condition du peuple algérien. A l’indépendance, la presse algérienne accueille Chid ainsi que Haroun, doyen des caricaturistes qui débute en octobre 1962 au quotidien Le Peuple, l’actuel Echaâb. Peu après, c’est Algérie-Actualités qui ouvre ses colonnes à une BD de Mohamed Aram, Naâr, sorte de héros algérien à la Ulysse. En 1968, dans le même journal, un jeune dessinateur propose sa première œuvre Moustache et les frères Belkacem. Il se nomme Slim. Très vite apparaissent de nouveaux talents. Leurs albums connaissent un grand succès populaire. Tchipaze de Rachid Aït Kaci, Krikech de Bouslah, Zach de Nouredine Hiahemzizou, Tchalabi de Mohamed Mazari (avant que sa notoriété ne le résume à Maz), etc. Avec un trait encore chancelant mais vif et original, ils campent pour les enfants de l’indépendance, ainsi que pour les plus grands, des personnages algériens. En fait, ils projettent sur les planches l’humour national, dans la lignée des humoristes de scène comme Rachid Ksentini. Moment historique : février 1969. Une revue de BD est créée, M’quidech, qui réunira une bande de dessinateurs, dont l’âge moyen tourne autour de 17 ans. En plus des précités, arrivent, souvent boutonneux et toujours plein de verve, Aïder, Assari, Aït Hamoudi, Beghdadli, Ferhat, Hebrih, Khiari, Melouah, Oulmane, Rahmoune, Ryad, Tenani, Titadini, Zeghidour et d’autres encore. C’est qu’ils sont assez nombreux dans cette dream team chahuteuse qui anime la mythique revue créée par la défunte Société nationale d’édition et de diffusion (SNED). Sur les étals des librairies et kiosques à journaux, les exemplaires disparaissent à vue d’œil. Ils se lisent jusqu’à l’usure par des chaînes de lecture de dizaines de personnes. Les personnages imaginaires deviennent des références sociales et dans les quartiers une réserve de sobriquets appliqués au voisinage : Richa, Professeur Skolli... En 1972, M’quidech cesse de paraître après une trentaine de numéros. Mais il a été une véritable école où les dessinateurs se sont forgés. Toutes proportions gardées, l’Actor Studio de la BD et de la caricature algérienne. D’autres revues paraîtront avec de courtes longévités : Tarik, M’cid, Ibtacim… Dans M’quidech se retrouvaient déjà les thématiques qui animeront le genre par la suite : l’histoire de l’Algérie et surtout son combat pour l’indépendance, la satire sociale qui dénonce la bureaucratie, les problèmes sociaux émergents avec une dérision affectueuse et caustique de « l’esprit algérien » et de ses comportements. Sous un mode allusif, par des codes que tout le monde comprenait, la critique politique s’était aussi faufilée dans la revue. Il faudra attendre 1989 avec l’ouverture du champ politique et la liberté de la presse pour que des titres indépendants fassent place à une caricature centrée sur la vie politique et se permettant toutes les audaces. Avec les nouveaux quotidiens qui s’attachent pour la plupart les talents d’un caricaturiste, se créent El Manchar en 1990 avec un tirage de 200 000 exemplaires, puis Essah Afa en 1991 et Baroud créé par Saïd Mekbel. Ces hebdomadaires satiriques, comme M’quidech, restent des expériences uniques dans le monde arabe. Profitant de l’embellie démocratique, ils stigmatisent par l’humour dessiné et écrit l’actualité sociale et politique. Cette effervescence laisse découvrir de nouvelles signatures qui constituent la deuxième génération du genre en Algérie : Dilem, le Hic, Chawki Ammari… Symptomatiquement, la nouvelle fournée ne comporte que des caricaturistes et pratiquement aucun dessinateur de BD quand on constate un plus grand équilibre des deux genres chez leurs aînés. A cette même période, un projet de revue est enclenché : Sim. C’est le rêve d’un Pif algérien qui serait diffusé dans le monde arabe et en Europe. Une aventure à laquelle adhèrent plusieurs dessinateurs et qui, faute de soutien, laissera deux magnifiques numéros zéro non diffusés. Parallèlement, un éditeur de Tunisie, conscient du trésor que représente ce vivier, attire plusieurs dessinateurs algériens qui feront les beaux jours et, en tout cas, assureront le lancement de l’édition de ce pays en la matière. L’apparition du terrorisme entraîne la paralysie du champ culturel et décourage les initiatives. Comme les autres créateurs, les bédéistes et caricaturistes font l’objet de menaces, certains d’entre eux sont assassinés : Dorbane du Soir d’Algérie dans l’explosion de la bombe à la Maison de la presse, Guerroui, dit Gébé, Saïd Mekbel. Plusieurs de leurs pairs s’exilent et connaissent diverses fortunes. La plupart de ceux qui restent connaîtront l’isolement et le renoncement à leur art. Aujourd’hui, qui se souvient que la petite commune de Bordj El Kiffan, à la sortie est d’Alger, qui abritait au milieu des années 1980, le Festival international de la BD et de la caricature ? Il n’avait rien d’international du point de vue des moyens. Les déjeuners n’avaient pas lieu dans un palace, mais chez les chouway du coin. Mais par son audience et ses participations, il le fut au point d’accueillir des vedettes mondiales tels Milo Manara, Claude Moliterni et Pierre Gourmelen. Arrêté aussi faute de soutien, le succès international du festival valut à Alger d’abriter la première édition du Festival méditerranéen de BDC. Jamais depuis Bordj El Kiffan, excepté durant l’Année de l’Algérie en France où Sid Ali Melouah, s’était démené pour assurer la promotion en France des dessinateurs algériens et où l’ENAG avait réédité plusieurs albums, la BDC algérienne ne s’est montrée de manière globale, chacun participant individuellement aux festivals internationaux, remportant d’ailleurs des prix et distinctions diverses. Jamais depuis, le public algérien n’avait retrouvé réunis ses auteurs de BDC. Le CCF d’Alger qui organise à partir du 12 octobre l’exposition « Dessine moi l’humour »(*) permettra de rencontrer ensemble Abi, Aladin, Ayoub, Dilem, Haroun, Islem, Kaci, le Hic, Maz, Melouah, Nono, Noun, Slim, accompagnés de leurs confrères français Pétillon, Vial et Wolinsky. Mais à quand un festival similaire à celui de Bordj El Kiffan ? La commune de Zéralda aurait envisagé d’en organiser un en hommage à Dorbane… A quand une ou plusieurs revues et des albums capables de capter ce réservoir de talents que d’autres pays ne dédaignent pas ? Une telle manne éditoriale pourrait même s’exporter, en témoigne le nombre d’émigrés et d’étrangers qui achètent les rares albums disponibles. Ceux qui par exemple déplorent que les petits Algériens ne connaissent pas assez leur histoire devraient méditer l’exemple d’un Astérix. La BD algérienne a déjà montré ce qu’elle pouvait faire en la matière. Et, puis, foi de Si Fliou, les Algériens peuvent-ils se passer d’humour, eux qui, dans les pires moments, ont su le garder ?

 

Expo du 12 octobre au 5 novembre 2006 dans les locaux et jardins du CCF d’Alger. Rencontre-débat samedi 14 à 21 h. Adresse : 7 rue Issaâd Hassani, Alger.

Site : www.ccf-dz.com




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