Parlons football
et oublions un peu le fracas du monde. L'une des conséquences de la récente victoire
du FC Barcelone contre le Real de Madrid (3 buts à 1, et à Madrid s'il vous
plaît !) est qu'elle clarifie la course au Ballon d'or. En effet, on voit mal
comment Cristiano Ronaldo, l'attaquant madrilène bien
peu en vue lors de ce classico, pourrait décrocher le gros lot (même si une
surprise n'est pas impossible). Du coup, l'affaire semble entendue. Lionel Messi, prodige barcelonais, est en passe de remporter le
trophée pour la troisième année consécutive (de quoi faire enrager Michel
Platini, ce qui, au passage, ne serait pas une mauvaise chose…).
On le sait, trois
joueurs ont atteint le dernier pallier avant la désignation officielle du
Ballon d'or, début janvier : Messi, Ronaldo et Xavi Hernandez, le milieu barcelonais sur lequel on
reviendra. Commençons d'abord par regretter une grande injustice, de celles
dont la Fifa
(désormais aux commandes de cette prestigieuse distinction) semble maîtriser
l'art et la technique mesquine. Il s'agit de l'absence d'Andrés
Iniesta, un autre joueur de Barcelone qui (c'est dit
sans aucun chauvinisme) aurait mérité non seulement de faire partie de la
dernière sélection mais, plus encore, de décrocher la récompense. Oui, Iniesta ballon d'or 2011. Oui, Iniesta
meilleur que Messi. Cela sans oublier le fait qu'Iniesta méritait déjà d'être ballon d'or en 2010 (il n'a eu
droit qu'à la deuxième place derrière Messi).
Argumentons. Sans
Iniesta (et Xavi), Messi ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. Il suffit
juste d'examiner les piètres performances de l'Argentin avec son équipe
nationale pour s'en rendre compte. Bien sûr, Messi
est époustouflant avec le Barça. Ses dribles, ses
courses parties de loin, ses buts aussi (il a dépassé la barre des deux cent)
et sa capacité à perforer n'importe quelle défense en font un joueur d'exception.
Mais que serait-il sans Iniesta ? Sans la capacité de
ce dernier à transformer en occasion en or n'importe quel ballon récupéré au
milieu de terrain ? Balle au pied, Iniesta est tout
aussi inégalable que l'Argentin. Sa vivacité, qu'il démontre à chaque match, et
sa capacité à se faufiler par le plus petit des chats d'aiguille sont
impressionnantes. Parlez-en aux madrilènes Coentrão
et Pepe qui ont passé l'une des pires soirées de leur vie samedi 10 décembre
face aux attaques virevoltantes de celui qui, en d'autres temps
footballistiques, aurait fait un parfait ailier pour une formation en 4-2-4…
On peut citer
maints exemples à propos du talent de «Don Andrés»
comme par exemple son but en finale de la Coupe du monde de 2010 ou son égalisation miraculeuse
dans le temps additionnel face à Chelsea en 2009. Mais, le concernant, il y a
une phase de jeu qu'il faut garder en mémoire et montrer en boucle à tous les
footballeurs en herbe. C'était au printemps dernier, lors d'un match de Ligue
des champions contre Arsenal. Comme à son habitude, Iniesta
récupère le ballon au milieu du terrain, sur le côté gauche. Il pique au
centre, avance rapidement vers le but adverse, élimine un adversaire, puis
deux. Jusque-là, rien d'inhabituel… Puis vient ce geste, unique, qui consiste,
pour lui, à se pencher et à regarder vers la gauche. Résultat, comme un seul
homme, toute la défense d'Arsenal bascule à gauche. Le trou est fait. Iniesta passe la balle vers la droite où Villa transmet à
un Xavi esseulé qui n'a plus qu'à marquer. Une phase
digne d'un match de basket-ball avec feintes de corps et de visage à l'appui.
C'est là toute la science et le talent d'Iniesta.
Parlons
maintenant d'un autre grand de Catalogne. Contrairement à Iniesta,
Xavi a encore toutes ses chances de remporter le
Ballon d'or. Là aussi, ce ne serait que justice. Après avoir vu un match du Barça, il faut le revoir en s'attachant à ne suivre que Xavi, ses placements et ses passes. C'est lui l'unité
centrale et le métronome de l'équipe catalane. C'est l'homme charnière qui
donne le tempo, qui décide s'il est temps d'attaquer ou s'il faut encore
temporiser. C'est lui qui devine si l'adversaire est cuit ou s'il a encore la
capacité de résister à la déferlante blaugrana. C'est
lui qui repère la brèche avant même qu'elle ne se forme. On pense souvent que
le football est un sport où vingt joueurs de terrain passent leur temps à
courir sans réfléchir derrière le ballon. Xavi montre
que c'est tout le contraire. Avec lui, on attend le bon moment pour recevoir ou
demander la balle.
Vues à l'écran ou
des tribunes, ses temporisations et ses retours en arrière alors qu'un
coéquipier est démarqué, peuvent étonner voire même irriter. C'est pourtant
tout l'art de jouer de Xavi. S'il ne passe pas la
balle, c'est qu'il a en tête deux ou trois coups d'avance. En une fraction de
seconde, ayant mémorisé où sont placés ses coéquipiers et ses adversaires, il
devine et anticipe ce qui risque de se passer. Et il prend alors la décision de
faire durer la séquence de jeu, de l'accélérer ou de l'orienter autrement. On
peut d'ailleurs se demander s'il ne s'agit pas là d'une allégorie de la vie et
si Xavi, lui-même, en est conscient. Jouer comme on
vit, écrire comme on joue : ouvrir, fermer, relancer, durcir, offrir, rythmer,
casser… Il faudrait plusieurs feuillets et colonnes pour creuser cela. Mais
passons.
Evoquant ses
joueurs de milieu de terrain, l'entraîneur barcelonais Pep Guardiola
a tenu les propos suivants dans un entretien accordé à Fifa.com : «Les milieux
sont des joueurs intelligents, qui prennent la plupart des décisions dans un
match. Pour pouvoir décider, il faut d'abord comprendre. C'est ce qu'on leur
demande également.» Il est évident que Guardiola –
qui fut lui aussi un grand milieu de terrain et le chef d'orchestre de la «dream team» barcelonaise du début des années 1990 – pensait
à Xavi en disant cela. Xavi
le maestro… Alors oui, ballon d'or pour lui. Sinon pourquoi pas un ballon d'or
à égalité pour Iniesta et Xavi
? Au nom de l'intelligence et de la beauté du jeu.
PS : cette
chronique est dédiée à la mémoire de deux grands joueurs disparus récemment.
D'abord, le Brésilien Socrates, qui, outre un talent
fou et une classe inégalée, a montré de par son engagement chez les Corinthians qu'un mouvement de sportif contestant leurs
conditions de travail pouvait aussi contribuer au retour de la démocratie au
Brésil. Ensuite, l'Algérien Djamel Keddou, ancienne
gloire de l'équipe nationale et de l'USM Alger. Ce
joueur à la fois stylé et dur sur l'homme (on le surnommait le Beckenbauer
algérien) a montré, une fois devenu entraîneur, que l'on pouvait construire une
équipe en respectant les valeurs du travail bien fait y compris dans un pays
comme l'Algérie.
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Posté Le : 15/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com