Algérie

Badr'eddine Mili répond à Malika Mokeddem



«Ah ! mère-grand ! que votre robe d'avocate des pauvres vous va si large et si mal !»
Je nourris un grand respect pour les femmes de mon pays, non pas parce qu'elles appartiennent au sexe dit faible, comme le prétendent, vulgairement, les esprits bornés et méprisants, mais parce que je considère, avec une sincère conviction, qu'elles ont été, qu'elles sont et qu'elles seront l'honneur de notre nation jusqu'à la fin des temps.
La culture ancestrale que m'ont léguée mes parents et ma maîtresse m'a toujours interdit, ainsi que le prescrit une loi non écrite de notre vivre-ensemble, de les charger, même lorsqu'elles prennent la liberté d'offenser et de transgresser les règles de bienséance, souvent, sous l'effet d'un coup de sang bien méditerranéen, pérennisé par les poètes du chiir-el-melhoun, notamment par le talentueux Cheikh El-Ghafour, avec sa célèbre chanson Chi men essaâte. Mais là, trop c'est trop ! Lorsque les frontières sont franchies, comme le disait Georges Pompidou, toutes les bornes sont violées et toutes les limites sont dépassées. Ayant, vous-même, consenti à lever cette immunité, ne vous étonnez pas de me voir dans l'obligation de faire exception à la règle basique de ma morale, pour vous remettre à la place que vous n'auriez jamais dû quitter et mettre à l'index votre crasseuse ignorance de l'histoire authentique de mon pays et de mon peuple que vous jugez avec une légèreté désopilante au travers de votre lorgnette d'auteure hybride. Sans me connaître, sans vous donner la peine de chercher qui je fus et qui je suis et de lire, non pas en diagonale, mais avec attention le texte que j'ai publié le 4 juillet dans les colonnes du Soir d'Algérie, vous vous lancez dans une véhémente diatribe contre moi, sans, du reste, me nommer une seule fois, jouant de l'amalgame avec d'autres textes d'autres auteurs parus dans les journaux Liberté et l'Expression, et dont je ne saurai être responsable, ma responsabilité s'arrêtant, naturellement, à mon seul propos et à nul autre. Vous me traitez de tous les noms d'oiseaux et, si discourtoisement, qu'à côté de moi, les sept plaies de l'Egypte passeraient pour un inoffensif petit rhume des foins. Si vous aviez été une fillette capricieuse, je vous aurais offert un bonbon qui aurait calmé votre agitation d'enfant gâtée, mais voilà, vous avez plus de 63 ans, un âge où votre locomotive traîne des dizaines de wagons pleins de rancœur contre l'Algérie et ses hommes sur lesquels vous déversez des tonnes d'insanités depuis les officines auxquelles vous émargez. Vous voyez que moi, au moins, j'ai fait l'effort de vous lire, même si votre littérature reprend, scolairement, les thématiques provocatrices du Vent du Sud, de Abdelhamid Benhadouga et l'Insolation de Rachid Boudjedra tourne dans le vide et n'a jamais pu remporter les suffrages des lecteurs algériens à cause de sa pusillanimité et de son anticonformisme forcé et de façade, comme l'exigent les gourous-éditeurs, «droits de l'hommistes» et promoteurs des écrits sur le «genre». Je n'y peux rien, moi, si vous n'êtes pas arrivée à solder vos comptes avec votre passé et vos complexes freudiens ! Votre plan de charge n'étant pas encore épuisé sur ce registre, je pense que vous avez bien mieux à faire que d'enfiler la robe d'avocate des pauvres pour vous en aller défendre Benjamin Stora, vous mettre au service des intérêts de classe des «bouguenours » et guerroyer contre des moulins à vent. Ne vous faites pas de bile, ma bonne vieille Malika Mokeddem, Benjamin Stora est un grand garçon, très intelligent, qui peut se défendre tout seul, sans avoir recours à un «nègre» ou à un second couteau rouillé pour ferrailler avec plus informé que vous sur les combats du peuple algérien. Que n'eussiezvous pas, plutôt, choisi d'enquêter et de protester contre le sort inhumain qui fut réservé aux ouvriers de votre région natale par les colons capitalistes, exploiteurs des mines des Kenadsa, pendant plus d'un siècle et dont témoigne, affreusement, le musée de Béchar qui montre comment les mineurs de l'erg occidental mouraient à moins de 30 ans dans les boyaux des houillères, là où la vox populi disait : «Elli yahbat hay yatlaâ mayat.» (Celui qui y descend vivant en remonte mort) ' Mais je suppose qu'un tel effort vous aurait trop coûté, et exigé que vous quittiez les bouges pseudo-littéraires où on vous demande de casser du sucre sur le dos de l'Etat algérien pour préserver votre croûte. Ceci posé, venons-en aux faits qui semblent faire désordre pour vous et non pour l'intéressé qui s'abstient, jusqu'à ce jour, d'intervenir dans le débat.
1- Est-ce être censeur que de prendre soin, ainsi que je l'avais fait en introduction de mon texte, d'avertir qu'il n'entrait, nullement dans mes intentions de formuler des invectives ad hominem, de dresser des autodafés ou d'interdire à qui que se soit, où qu'il se trouve, d'écrire ce qu'il veut, à la condition qu'il ne veuille pas faire avaler des couleuvres aux Algériens qui ne s'en laissent plus conter '
2- Est-ce faire preuve d'antisémitisme que de rappeler que Stora est un juif de Constantine que je connais bien mieux que vous pour avoir fréquenté le même lycée d'Aumale que lui et des dizaines d'autres amis juifs pacifiques, moi étant son aîné de quelques années et le cadet de Georges Morin, le futur instituteur de l'école Arago qui n'a quitté l'Algérie qu'à la fin des années soixante et que vous avez, certainement, eu l'occasion de côtoyer au «Maghreb des Livres» auquel il m'invite régulièrement même si mes œuvres ne cadrent pas avec les standards, politiquement et idéologiquement, discriminatoires pratiqués par les éditeurs parisiens'
3- En vérité, le nœud gordien du débat réside en ce que Stora pèche par quatre tares originelles et contre lesquelles je me suis inscrit en faux. Me niez-vous cette liberté d'expression que vous revendiquez pour lui ' Il s'agit, je suis contraint de me répéter :
a- Du messalisme, dont il a fait un portedrapeau pour délégitimer le FLN en tant que force révolutionnaire armée, sa préférence allant aux solutions libérales, du type préconisé par Jacques Chevalier, le maire d'Alger de l'époque, ancien Croix de feu et ami de l'OAS et de Salan, ce qui aurait sauvegardé, selon lui, les chances de la communauté européenne de rester en Algérie et de construire, avec les Algériens de souche, une nouvelle nation multiculturelle et multilinguistique, une utopie, évidemment, irréalisable pour des raisons historiques indéniables, la nation algérienne étant, dans son essence, une nation arabe, amazighe et musulmane ;
b- de sa conception réductrice de la révolution algérienne qu'il présente comme une lutte entre clans et chefs mettant hors du coup le peuple dont il minore le rôle et les sacrifices humains et matériels ;
c- du renvoi, dos à dos, des protagonistes de la guerre, mis sur un pied d'égalité et crédités, tous deux, de l'usage inconsidéré de la violence ;
d- de l'occultation des causes premières de l'insurrection du 1er Novembre 1954 qui remontent à l'expédition décidée par Charles X, en 1830, pour des raisons économiques et stratégiques notoires.
Tels sont les griefs et un désaccord de fond — et non un conflit personnel — que j'ai formulés à l'encontre de Stora auquel je reproche de vouloir reconstruire l'histoire de l'Algérie selon une grille de lecture subjective et, forcément, déformatrice, une approche qui a un nom : le révisionnisme. Sans plus. D'ailleurs, vous n'êtes pas loin de certaines de mes observations quand vous avouez explicitement que Stora a puisé ses biographies de militants nationalistes dans les archives de la police française entreposées à Aix-en-Provence. En même temps, vous avancez, bien imprudemment et avec une certaine méconnaissance des réalités de l'époque, bien que vous ayez déjà eu l'âge de lire et de comprendre, que Stora avait été un éveilleur de consciences. Le peuple français aurait dû, selon vous et de ce fait, attendre les années soixante-dix et le messie Benjamin pour prendre la mesure de la gravité du problème algérien et voter, en masse, en faveur du principe de l'autodétermination de l'Algérie. Que faites-vous de l'engagement d'Henri Jeanson, de Curiel, de Pierre Vidal Nacquet, de Sartre, de Georges Montaron, d'Hubert Beuve-Mery, de Jean-Jacques Servan Schreiber, du général de la Bollardière, du Manifeste des 121 et des Français morts à la station de métro Charonne, tous ces justes qui ont montré combien le peuple de France était différent des fascistes qui le gouvernaient ' Selon votre logique, Maurice Audin, Fernand Yveton, Timsit, Maillot auraient dû attendre le prophète Stora pour accéder à la conscience révolutionnaire et s'engager à mourir pour la cause de l'honneur et de la liberté de l'Algérie aux côtés de leurs frères algériens. Allons, allons, ma pauvre Malika Mokeddem — et je suis triste de voir des Algériens s'entre-déchirer au lieu de rassembler toutes leurs énergies pour faire, unis, le procès du colonialisme —, il eut mieux valu, pour vous, réviser toutes ces leçons d'histoire avant de vous risquer à raconter des incongruités et de me traiter de valet des généraux, une grosse ficelle archi-usée qui ne fait plus recette même chez ceux qui l'ont fabriquée pour discréditer l'armée algérienne. Car voyez-vous, vos conseillers de l'ombre vous ont mal informée ; vous êtes tombée sur le mauvais numéro. Non pas que je veuille dénigrer l'ANP, comme le font certains tabors tapis outre-Méditerranée, comme vous, car j'estime que l'armée algérienne est une institution républicaine, propriété de tous les Algériens et défenseur de nos enfants et de nos petits-enfants contre tout danger extérieur ou intérieur, présent ou à venir. Mais, sachez, pour votre gouverne, que je n'ai éprouvé, à aucun moment, le besoin de renoncer à mes idéaux, mes valeurs et mes combats de jeunesse, et pour cette raison intangible, imprescriptible et inaliénable, je n'ai jamais fait allégeance à qui que ce soit, ni bénéficié de privilèges de quelque nature que ce soit. J'ai fait mon devoir de journaliste libre et indépendant et de cadre supérieur de l'Etat, servant mon pays pendant 40 ans, sans demander une quelconque contrepartie, prébende ou gratitude de quelque côté que ce soit et je suis parti investir le monde de la littérature pour m'exprimer avec davantage de liberté, encore, et de participer au débat national citoyen jusqu'au triomphe de ce que j'estime être la vérité pour laquelle sont morts un million et demi de mes compatriotes. Dois-je ajouter, avant de terminer, que dans votre aveuglement et votre obsession de femme aigrie et rageuse à la recherche, coûte que coûte, de l'argument qui tue, votre mauvaise foi vous ont fait écrire que j'ai contribué à avorter un projet de film proposé par Benjamin Stora alors qu'il s'agissait de celui avancé par Bernard-Henri Levy dont j'avais dit qu'il commençait toujours avec un film les aventures périlleuses auxquelles il condamnait les peuples arabes et musulmans. Et pour conclure, je vous dis toute ma joie de vous avoir lu parce que je suis certain que mon texte a atteint le cœur de la cible que j'ai visée, d'où votre réaction intempestive. Et à la lumière de tout ce qui précède, souffrez, Madame, d'apprendre, à vos dépens, que tout ce qui est excessif est insignifiant et même dérisoire. Votre écrit et vos insultes ont déjà élu domicile dans la poubelle de l'histoire algérienne. Sans rancune et à la prochaine.


Encore plus d'écrits. Bravo pour l'analyse du soir d'Algerie du 18/01/2015. Ou puis je me procurer vos ouvrages ? Remerciements.
TACHE Yazid - retraité de l'éducation - IFIGHA, Algérie

18/01/2015 - 236732

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