Algérie

Baccalauréat : La vie top secret d'un faiseur de sujets



Baccalauréat : La vie top secret d'un faiseur de sujets
Ils disent à leur famille qu'ils partent en voyage mais en réalité, ils restent enfermés pendant deux mois dans le plus grand secret. Un petit dej' servi à 7h, un coup de téléphone une fois par semaine et la télé pour seule distraction' Un enseignant nous raconte le quotidien des membres de la Commission chargée d'élaborer les sujets du bac, qui commence ce dimanche. « La préparation des sujets de baccalauréat ressemble à une opération commando ! ». Ce dimanche 7, près de 450 000 jeunes Algériens débutent les épreuves les plus importantes de leur scolarité. Stressés, concentrés, préparés, ils ne savent sans doute pas comment sont élaborés les sujets sur lesquels ils devront plancher. Nous avons rencontré Boualem*, ancien enseignant de l'éducation nationale, qui, un jour, s'est vu convoqué pour participer à une cellule détentrice d'un des secrets les mieux gardés du pays. Deux mois avant et durant les épreuves, une quarantaine de professeurs (environ trois par matière) et des inspecteurs de l'éducation sont enmmenés dans un lieu tenu secret, et tenus isolés de tout contact avec l'extérieur. Interdiction de voir la famille, les amis, les collègues. S'ils ont besoin d'un médecin, ce dernier se déplacera sur les lieux. Ces professeurs forment ce qu'on appelle la Commission de la préparation du baccalauréat. Un dispositif sécuritaire digne de celui du Pentagone est mis en place. Dans leurs bunkers de béton aux murs épais, sous l'air conditionné à 20°C qui souffle jour et nuit, les professeurs ne connaissent plus la vie sur Terre. Mais comment vivent ces élus ' « Moi, je me levais à l'aube pour la prière du sobh pendant que les autres continuaient à ronfler, se souvient Boualem. A 7h, nous nous retrouvions tous autour d'un café crème pour les fumeurs ou de thé, servi avec des Bimos. » A 8h, comme à l'école, commencent le tri et le traitement des sujets.Car bien des mois avant que cette commission ne soit mise en quarantaine, le ministère de l'Education nationale sollicite des enseignants dans toutes les régions de l'Algérie pour qu'ils soumettent des propositions de sujets d'examen. « Pour la Commission, le séjour est composé de trois étapes, explique Boualem. La première dure environ trois semaines pendant lesquelles nous discutons sur la pertinence des thèmes. L'étape la plus importante est la seconde, au cours de laquelle nous fixons les sujets, pendant quatre semaines. Cette étape est la plus cruciale de tout le processus car nous recevons des "instructions" venues d'en haut deux semaines avant les examens. Elles portent sur les sujets et les thématiques choisies pour la session et obéissent à des choix idéologiques en rapport avec les décisions politiques prise au sommet de l'Etat, parfois à caractère dogmatique. Cela concerne uniquement les sujets de philosophie, d'histoire, l'épreuve de littérature arabe et de langues étrangères. » Enfin, la dernière étape, de cinq jours, correspond aux épreuves de l'examen à l'issue duquel les membres de la Commission sont autorisés à sortir et retrouver leurs proches. Pendant presqu'un mois, donc, les professeurs se réunissent chaque jour dans une grande salle et s'organisent en ateliers pour faire le tri des sujets.Frites omeletteA 10h, récréation. « On se raconte des blagues. Comme celle de l'inspecteur qui demande à un candidat : pouvez-vous me donner trois raisons qui vous motivent à devenir instituteur ' Et le candidat de répondre : " juin, juillet et août" ». Une pause-café est nécessaire pour se détendre. Parce que les débats sont parfois virulents ou l'ambiance trop lourde. Comme tout jury, les membres ne sont pas toujours d'accord' « Sur le mur, je me souviens d'une plaque indiquant : "Silence, on travaille" », plaisante Boualem. Les professeurs de français, « marginalisés car non arabophones », débattent parfois passionnément sur verbes et citations. Réglé comme au lycée, le travail s'arrête à midi pour le déjeuner. Destination la cantine, un autre compartiment de l'immeuble entièrement consacré aux repas qui se déroulent sous la surveillance de mystérieux agents de sécurité. Au menu parfois : salade jardinière et sardines. « Une année, une erreur s'est glissée dans l'épreuve de maths. Je crois, se souvient Boualem, que nous avions mangé un sandwich frites-omelettes avarié' »Pendant le quartier libre 'jusqu'à 14h- certains font la sieste pendant que d'autres lisent. Puis le travail reprend jusqu'à 17h. « Toutes les conditions sont réunies pour passer un séjour agréable, reconnaît l'enseignant. Le lieu est doté d'installations sportives, d'une bibliothèque et les profs peuvent même regarder la télévision. A 20h, personne ne rate le journal télévisé de l'ENTV, seule fenêtre sur l'extérieur avec la radio ». Avant de se coucher 'à 22h comme à l'armée- tous se réunissent à nouveau au réfectoire pour le dîner. Le couscous au poulet provoque même la bousculade ! « Le soir venu, chacun se retrouve seul avec son choix, confie Boualem. Car il faut admettre que ces deux mois sont contraignants. Un jour, un professeur a même voulu se suicider car il ne pouvait pas supporter l'enfermement. » Le plus dur ' L'éloignement des proches à qui les élus de la Commission sont obligés de mentir. « Nous prétextons un voyage ou un stage prolongé à l'étranger. Un coup de fil par semaine, de courte durée, sur écoute, est toléré. Je sais que c'est un choix, personne ne nous a obligés à venir, mais une fois sur place, nous le regrettons parfois. Les premières semaines, on apprend à se connaître entres collègues, d'horizons, de cultures et d'opinions différents. Mais les derniers jours, conclut-il, nous apprenons à nous connaître nous-mêmes. » *Le prénom a été changé car les enseignants ayant participé à l'élaboration des sujets sont tenus au secret professionnel.Le bac, c'est '444 514 inscrits. Dont 59% de lycéens et lycéennes scolarisés, 41% de candidats libres. 1 560 centres d'examen et 40 centres decorrection sont réquisitionnés.85 679 surveillants, 23 000 correcteurs et5 430 observateurs sont mobilisés.


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