Algérie - Babar

Babar (Khenchela) - Les tapis de la misère



Babar (Khenchela) -  Les tapis de la misère




Elles tissent des merveilles au quotidien, même si parfois elles ont envie de fermer leurs ateliers en raison du manque de considération à leur égard.

Portrait de femmes qui souffrent pour perpétuer un patrimoine.

Un salaire de 4.000 à 6.000 DA par mois pour un tapis qui en coûte au moins… 100.000 pour le client!

A Babar, à 25 minutes du chef-lieu de la wilaya de Khenchela, le plus grand village au sud de la wilaya connu pour la production artisanale de tapis chaouis, les artisanes délaissent de plus en plus leur métier au profit de la couture.

Se résigner à l’idée que ce patrimoine disparaisse, Sadika Amamri, patronne d’un atelier de tissage, s’y refuse: «L’Agence nationale de l’emploi n’a accepté l’insertion professionnelle qu’à deux de mes employées. L’une touche 8.000 DA, l’autre 4.000 DA. Je suis dans l’obligation de compléter l’aide de la seconde pour qu’elle ait le même salaire que la première. Tandis que les deux autres que le Dispositif d’aide et d’insertion professionnelle (DAIP) n’a pas insérées, je les paye 4.000 DA, parfois 6.000 DA, sachant que la vente est occasionnelle.»

Dépendant des salons et des événements pour la production artisanale, les tisseuses ne trouvent pas d’autre endroit pour commercialiser leur tapis.

«J’ai plusieurs tapis pliés et rangés chez moi», regrette Zoubida Boutaba, présidente de l’association Kamar pour l’artisanat et le tapis.

Sur un marché étouffé par la contrefaçon et les produits étrangers, surtout chinois, la production algérienne est négligée: «On a besoin d’une véritable politique de commercialisation de notre produit. Et qu’on nous aide à en faire la promotion. Les Algériens ne savent même pas que leur pays produit des tapis. Je ne parle même pas des étrangers.»

Intermédiaires

Les artisanes se plaignent aussi des intermédiaires qui représentent le produit à la place de la tisseuse. En achetant le produit moins cher, l’intermédiaire, qui connaît les règles du marché, revend le produit à des prix faramineux.

«Un grand tapis qui exige deux mois de travail est vendu de 100.000 jusqu’à 150.000 DA. Mais on nous l’achète à 70.000 DA, 50.000 pour un petit tapis», s’indigne Sadika Amamri.

Choisie par la Chambre nationale de l’artisanat et des métiers, l’artisane a été prise en charge en novembre 2014 par l’ambassade de Chine pour un séjour de formation dans la production du tapis mandarin. Elle confie «avoir juste parfois envie de fermer l’atelier», Nora Salmi qui, contrairement à la majorité des tisseuses, est universitaire et diplômée d’un master en anthropologie.

Elle envisage même de faire des recherches en doctorat sur le tapis de Babar et relève: «On tisse encore parce qu’on ne veut pas perdre le savoir-faire de nos ancêtres, autrement on ne gagne rien!»

Dans ce village, toutes les femmes tissent leurs tapis ou celui de leurs enfants prêts à se marier. Elles font du «azeta» en tamazight. Aïcha Cid, une femme qui a formé plus de trois générations après son père, dans un petit atelier qui appartient à l’APC, a toute au long de sa carrière travaillé dans le cadre du filet social.

«L’argent m’importait peu, je voulais transmettre le savoir que mon père m’a appris et pour lequel j’ai quitté l’école, ce que je regrette. Si j’avais suivi des études, un revendeur ne m’aurait pas représentée à Constantine, capitale de la culture arabe!», se désole, amère, Aïcha.

«J’ai donné toute ma vie à cette profession, qui représente toute ma famille et son attachement à nos traditions. J’ai mal de voir le tapis de Babar représenté à Constantine par un revendeur qui n’a rien à voir avec la profession.»

Son mari commente encore: «Ce sont d’ailleurs ces pratiques-là qui ont ruiné notre production du tapis. Allez voir dans le musée de Khdaoudj El Amia (Musée national des arts et traditions populaires), vous trouverez le nom de Ahmed Cid.»

Dragua

La famille Cid, dont le père de Aïcha, Mohamed, et ses oncles, Si Ahmed et Homma, étaient les inventeurs du fameux Dragua, un tapis de laine léger, qui permet d’être porté et lavé facilement par les femmes, contrairement à l’autre tapis «zerbia, tazarbaït». Le nom Dragua vient de la darija du verbe «ideregue» (cacher et séparer les femmes des hommes pendant les événements). Le premier tapis a été inventé en 1913. Depuis cette date, les artisanes assurent toutes les étapes de la production.

D’abord, elles tondent le mouton pour en extraire la laine, ce qui s’achète aujourd’hui à 150 DA le kilo. Après le lavage, la laine a besoin d’être cardée puis filée à la main et teintée. Autrefois, on utilisait des pigments naturels pour la teinture, ce qui était plus efficace et même moins salissant. A l’aide du khoul, henné ou épluchures de grenades. Aujourd’hui, on utilise la teinture industrielle qui perd sa couleur rapidement, pour 200 DA le kilo, la couleur noire est à 500 DA.

«Notre teinturier a quitté le village de Babar, on est contraints d’acheter le fil de laine prêt, ou de se déplacer jusqu’à Tébessa», raconte Sadika Amamri.

La fabrication se termine par le nouage, étape finale de la confection du tapis.

«On fait toutes ces étapes seules, et on assume même les maladies qui en résultent, comme l’asthme et les maladies du dos. Si seulement on nous aidait à persévérer», soupire Djamila Salmi, une jeune artisane sans statut, payée à 5.000 DA.

Des femmes chefs d’association d’artisanat affirment avoir été aidées financièrement par la Chambre nationale d’artisanat et des métiers (CNAM) qui dépendait de l’APC, «mais ce n’est pas suffisant si nos tapis ne sont pas commercialisés» soulignent-elles. De son côté, Abdelhamid Bouallag, le maire de Babar, affirme que le tapis a longtemps été négligé. Mais il s’engage personnellement à lui rendre la place qu’il mérite.

L’atelier ,qui dépendait de l’APC, où travaillaient près de 33 tisseuses dans le cadre du filet social va être revalorisé.

«Je me suis engagé à en faire une SPA, elle est déjà en rénovation, il y aura même un nouvel équipement, affirme le maire. On a enfin trouvé l’endroit où construire le musée du tapis qu’a promis l’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, le projet est débloqué et on a déclaré cette année que le 16 mars sera la Journée nationale du tapis et ça se passera à Babar!»

* Photo: Les artisanes gagnent 4.000 à 6.000 DA par mois

Hanane Semane



promis
rachid hamatou - journaliste - batna, Algérie

09/02/2024 - 561277

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