Algérie

Babak Dad. Journaliste iranien exilé en France : Dieu n'est pas contre la liberté



Babak Dad. Journaliste iranien exilé en France : Dieu n'est pas contre la liberté
Dès le lendemain des élections présidentielles iraniennes, en juin dernier, Babak Dad a changé soixante-dix fois de domicile en quatre mois, avant de quitter le pays pour rejoindre la France. Jamais il n'a cessé d'écrire, car Babak Dad est avant tout journaliste politique. Connu pour ses positions réformistes, il est aussi une figure du Mouvement vert. Il nous livre ici quelques clés de son analyse de la situation iranienne.   Le Mouvement Vert a parfois été défini comme un mouvement populaire, parfois comme le fait d'une minorité éduquée. Qu'en est-il exactement ''' Au début, on ne voyait pas clairement quelles classes sociales le composaient, quelle était sa résonnance. Aujourd'hui, on peut dire que c'est un mouvement très vaste, qui va des anciens soldats de la guerre Iran-Irak aux monarchistes émigrés, des groupes fondamentalement opposés mais qui se retrouvent dans ce mouvement global.  Le Mouvement vert est pacifique. Est-ce une condition de sa viabilité ' Le peuple iranien veut gagner la liberté en évitant les pertes humaines. Il y a 31 ans, il a vécu une révolution sanglante, menée pour la liberté et la justice mais qui portait en elle la violence et l'idéologie. Pour s'instaurer, ce régime a usé de la vengeance et de la torture, et est devenu à son tour une dictature. Le peuple veut aujourd'hui un changement de système fondamental.'''  Comment les diverses composantes du mouvement perçoivent-elles la volonté de négociation de Mir Hossein Moussavi avec le régime et son attachement au système de la République Islamique ' ''Moussavi est un révolutionnaire de 1979, un bâtisseur du système, il lui est difficile d'y renoncer ! Pour lui, la Révolution a dévié et il s'est présenté aux élections pour mettre en place la République Islamique qu'il entendait instaurer il y a trente ans. Mais c'est comme au football : tant que Moussavi portera des buts contre l'adversaire, le peuple le soutiendra car il joue selon les règles. Même si les différents groupes qui composent le mouvement ne sont pas convaincus à 100% par sa stratégie, ils croient en sa sincérité et savent qu'il a déjà payé le prix fort (1). N'oublions jamais que les adversaires occupent le terrain par la violence et que le progrès d'un mouvement comme celui-là est bien plus difficile à mener qu'une révolution idéologique. Il bouillonne, se questionne, s'étend, et se réinvente chaque jour.''  Ne risque-t-il pas d'y avoir, à terme, une contradiction entre la structure de la république islamique, avec ce problème entre la légitimité du pouvoir et la légitimité religieuse, et l'instauration d'une démocratie ' ''Cette contradiction existe déjà : le mouvement vert respecte la religion mais n'est pas un mouvement religieux. L'une de ses visions est que la religion ait une part très réduite dans le pouvoir politique. Le gouvernement actuel règne en instrumentalisant la religion : il lie l'accroissement de la pauvreté et de la corruption à Dieu. Il dit aussi être l'unique pays du monde qui applique rigoureusement les préceptes de l'Islam, mais vous devez savoir que ce gouvernement islamique a commis des crimes dans les rues et s'est appuyé sur le Coran pour justifier le viol des prisonniers ! Les simples citoyens qui s'exprimaient pour demander où était leur vote ont été qualifiés par les tribunaux de « mohareb », ce qui vaut la peine de mort. Après les élections, alors que le comptage des voix n'était pas finalisé, Khamenei (2) a choisi Ahmadinejad comme vainqueur. Peu après, l'imam du vendredi de Téhéran a officiellement dit que contester la parole de Khamenei, c'est contester la parole de Dieu ! Il y a d'ailleurs une blague en Iran qui dit que Dieu est devenu le représentant de Khamenei (rires) ! Au fond, leur plus grande trahison a été celle de la religion. C'est pour ça qu'au sein du mouvement, il y a des forces laïques mais aussi des gens qui souhaitent simplement rétablir une image positive de Dieu. Quoi qu'il en soit, le peuple iranien veut défendre ses droits, son droit à une vie meilleure. Il sait que Dieu est assez puissant pour se défendre lui-même et que Dieu n'est pas contre la liberté : plus cette pensée s'ancre dans le mouvement, plus il y a de l'espoir pour l'avenir. Ce que revendique le mouvement vert, c'est la vie.''  En repensant le politique, le mouvement vert est-il aussi en train de revendiquer un autre Islam, moderne, ouvert et compatible avec un état de droit ''' C'est une question essentielle. En Iran, le mouvement vert est en train de frayer un chemin à l'intérieur d'un régime basé sur la religion. Il collecte toutes les revendications démocratiques du peuple pour les faire émerger à l'intérieur de ce système figé, sans détruire les fondements religieux et culturels de la société iranienne. Pour aboutir, il lui faut répondre à des questions que posent beaucoup de sociétés musulmanes, où l'Islam est considéré, ou utilisé, comme un obstacle aux libertés individuelles. Si il réussit sur ce chemin, il contribuera à ce que le regard du monde entier change sur l'Islam. Ce sera presque une découverte du XXIe siècle ! Je voudrais dire aussi que les gouvernements des pays musulmans qui pensent que l'islam est une religion supérieure, tels que l'Algérie, devraient surtout envoyer leurs représentants en Iran pour rendre compte de la violation des droits humains par un pouvoir qui se dit de droit divin et se démarquer ainsi des pays occidentaux qui se focalisent sur le dossier nucléaire. En dénonçant ses violations, ils défendraient réellement l'islam.''  Quelles sont les fragilités du mouvement vert ' ''Un piège de l'adversaire qui sème la division est toujours un risque. Mais surtout, le mouvement ne doit pas oublier que sa réussite passera par son extension à toutes les couches sociales. Il n'a pas encore pu rassembler autour de lui les quinze millions d'Iraniens pauvres qui vivent avec un dollar par jour. Ses représentants n'ont pas encore assez intégré les problèmes quotidiens qui touchent cette part du peuple. Les débats qui animent pour l'instant ce mouvement nouveau-né vont au-delà du quotidien. Pourtant, la lutte contre la pauvreté est un de ses objectifs principaux, comme le droit de vote ou la libération des prisonniers politiques. Précisons que ces Iraniens pauvres n'aiment pas le pouvoir en place mais de son côté, Ahmadinejad sait qu'ils représentent une force de basculement qu'il doit absorber. Pour ça, il a l'argent du pétrole et il leur dit que la démocratie les anéantira. (1) Son neveu Seyyed Ali Moussavi a été tué par balle lors d'une manifestation à Téhéran en décembre dernier. (2) Guide Suprême de l'Iran depuis 1989, après deux mandats de président de la république, entre 1981 et 1989.« Que sais-tu de la douleur de notre coeur ' » Le 11 août 2009, Babak Dad publie sur son blog les témoignages de Méhdi, 18 ans, et de' son père, rencontrés au hasard d'un dispensaire médical durant la fuite du journaliste à travers le pays. Ayant pris part, à Téhéran, à un grand rassemblement de protestation silencieuse, Méhdi avait disparu 23 jours avant que son père ne récupère « un bout de chair malade ». Extrait. 'Là-bas, un grand nombre des personnes étaient détenues dans des cages métalliques et leur ration journalière était faite de tortures. Le lendemain de son arrestation, un agent fait sortir Mehdi et un autre garçon en les battant, et crie devant les autres détenus « On vous b' tous comme ces deux-là ». Mehdi entend un autre homme crier « Il faut mettre ces gandins enceintes ». Il est emmené dans une cellule où il est violé par un homme de grande taille ; il perd connaissance pendant le viol. Le même jour, il est violé plus de quatre fois. Il perd beaucoup de sang. Il est ensuite transféré dans une cellule métallique surchauffée par la chaleur d'été. Trois ou quatre autres jeunes hommes souffrant des mêmes blessures s'y trouvent. Selon Mehdi, le sol était couvert de sang et de mouches et la puanteur était insupportable ; l'un des garçons était visiblement mort depuis la veille, sans que les gardiens ne soient au courant. Pendant deux semaines, Mehdi et plusieurs autres jeunes sont violés à maintes reprises par des agents pour « apprendre les bonnes manières d'être ». Finalement, il est brièvement soigné dans un hôpital puis transféré dans une prison où pendant cinq jours on l' a affamé et battu à coups de bâton. Il est libéré après avoir signé une lettre d'engagement comme quoi il avait été « bien traité par les autorités pénitentiaires » et qu'il s'engageait « à ne plus participer a des rassemblements ou manifestations contre le régime ».


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