Algérie

Avec les rescapés de l'enfer libyen à Djanet 30 000 ressortissants étrangers ont fui vers cette oasis



Avec les rescapés de l'enfer libyen à Djanet                                    30 000 ressortissants étrangers ont fui vers cette oasis
Trente mille personnes. C'est le nombre de ressortissants étrangers, des Libyens essentiellement, mais aussi des «réfugiés» d'autres nationalités, à avoir transité par la ville de Djanet (2300 km au sud-est d'Alger), en provenance de la Jamahiriya, depuis le début du conflit libyen.
Djanet (wilaya d'llizi)
De notre envoyé spécial
C'est ce que nous a affirmé le maire de Djanet, Mohamed Kettafi. La petite oasis, de quelque 20 000 âmes, s'avère ainsi être un havre de paix pour les «rescapés» de l'enfer libyen qui continuent encore d'affluer, même si leur nombre a sensiblement diminué. Si la saison touristique a été un flop dans la région, il faut dire que cet exode de population a été une aubaine pour les quelques hôteliers de la ville. C'est le cas de l'hôtel Zeriba, situé en plein centre-ville, et qui ne désemplit guère de clients libyens et autres. Certains ont carrément loué une maison. D'autres ont trouvé refuge auprès de certaines familles. «Nous avons toujours eu des relations particulières avec les Touareg libyens », témoigne un habitant de la ville. «Nombre d'entre eux ont des liens de parenté avec les gens d'ici. Ceux de la ville de Ghate, en particulier, ont épousé des Algériennes. Aussi, beaucoup d'entre eux ont naturellement trouvé refuge ici. Et puis, vous savez, les Touareg n'ont pas de frontières.»
Ibrahim, 25 ans, blessé de guerre
Hissé sur deux béquilles, la jambe gauche langée dans des bandages, Ibrahim Abdessalam Khendour, 25 ans, est un blessé de guerre. C'est l'un des nombreux rescapés du conflit libyen, qui viennent se soigner à Djanet. Ibrahim est venu se faire opérer de la jambe. Il est accompagné de son frère Khaled et de deux de ses cousins. Plusieurs blessés de guerre comme lui, mais aussi des personnes, malades viennent se faire soigner dans la ville de Othmane Bali. Elles sont issues principalement des provinces les plus proches de nos frontières : Ghate, Awbari, Ghadamès ou même Sebha. Ibrahim, lui, est originaire d'Awbari, précisément du village targui de Kherifa, à environ 600 km de Djanet.
Ibrahim raconte : «C'était en juillet dernier, quelques jours avant le Ramadhan. Je combattais à Zliten, près de Tripoli, quand un avion de l'OTAN a ciblé nos positions. J'ai reçu des éclats d'obus sur tout le corps et j'avais la jambe en lambeaux. Mais je n'ai pas perdu connaissance. Je me suis traîné tout seul, me suis mis à l'abri et j'ai attendu que la tempête se calme.» Le jeune Libyen arbore des cicatrices sur les bras. Il explique qu'il a des débris métalliques qui se sont incrustés dans sa jambe, et qu'il doit subir une intervention chirurgicale pour se faire poser une broche et sauver son membre inférieur.
Le jeune combattant libyen précise qu'il ne fait pas partie des katibate d'El Gueddafi. «Je me suis engagé dans la guerre à titre de volontaire. J'ai très mal vécu l'attaque de notre pays par le 'Nato' (OTAN). C'est du colonialisme pur et simple, et je me suis enrôlé spontanément dans les rangs de la résistance pour défendre ma patrie.» Dans le civil, Ibrahim est commerçant. Il n'a pas reçu de formation particulière pour devenir soldat, appuie-t-il. «Il faut savoir qu'en Libye, le maniement des armes fait partie de notre culture. Dès le lycée ou même avant, tout le monde apprend à manier un fusil. C'est quelque chose de familier pour nous.». Ibrahim est déterminé à reprendre les armes : «Dès que je me rétablirai, je reprendrai le combat. La résistance va continuer. Le CNT est loin de contrôler tout le pays. Tout le sud du pays est fidèle à El Gueddafi.»
Khaled, 28 ans, est employé à la Sahara Bank, à Awbari. Comme son frère cadet, Khaled est loyaliste. Il croit dur comme fer que le Fezzan et tout le sud de la Libye vont tenir tête aux forces de l'OTAN. «Toute la bande nord du pays est entre les mains du CNT, à l'exception de Syrte qui résiste encore ainsi que Beni Walid. Mais le sud du pays est toujours affilié au ''nidham'', que ce soit Djofra, Sebha, Awbari, etc. Il y a environs 30% seulement de la population du Sud qui s'est rebellée contre le régime», explique-t-il, en précisant qu'«il n'y a pas de combats dans cette partie du pays, mais la situation humanitaire y est néanmoins très préoccupante.» Notre jeune banquier nous apprend, dans la foulée, que le poste de contrôle libyen aux frontières avec l'Algérie est encore tenu par les forces libyennes régulières.
«C'est la preuve que le régime continue de fonctionner dans le Sud», renchérit-il. Ce qui afflige le plus Khaled, c'est l'intervention étrangère : «Je suis pour les revendications de nos droits matériels et politiques, mais pas de cette manière. Si la révolution du 17 février s'était déroulée à l'égyptienne, j'aurais applaudi. En se rangeant derrière le 'Nato' et en autorisant les colonisateurs français et britanniques à souiller notre patrie, le CNT a commis une grave erreur. Ceci est un colonialisme caractérisé, ça n'a pas un autre nom ! L'OTAN a commis des bombardements anarchiques, avec leur lot de victimes innocentes. Elle a semé la discorde entre les tribus libyennes. Le sang a coulé et ça va donner lieu à un conflit fratricide.»
Il fuit la Libye pour retourner en Irak
Comme nous le disions, outre les ressortissants libyens, Djanet voit régulièrement transiter, par son territoire, des étrangers de tout pays. Ce vendredi 16 septembre, nous avons rencontré un groupe de travailleurs syriens qui fuyaient une situation humanitaire de plus en plus inquiétante. «Cela fait 20 ans que je travaille en Libye, près de Sebha. Je suis ferronnier. On n'en pouvait plus. La vie est devenue infernale. Pas de nourriture, pas d'eau, pas de gaz, rien !», témoigne l'un d'eux, avant de lancer : «Sebha kolha Mouammar (toute la région de Sebha est avec Mouammar El Gueddafi). Personnellement, je ne veux pas d'un changement sous les bombes.» Notre homme s'empresse de prendre le premier vol pour Alger avant de rejoindre Damas. «Enfer pour enfer, je préfère celui de mon pays», lâche-t-il.
La cinquantaine bien sonnée, Ahmed Fayadh, lui, est un ressortissant irakien. «Je suis originaire de Felloudja», indiquera-t-il d'emblée. Ahmed est professeur d'urbanisme à l'université de Sebha. Il a dû quitter précipitamment la Libye accompagné de ses cinq enfants pour retourner dans son pays. Il se retrouve ainsi pris entre deux feux : la Libye ou l'Irak. Ahmed Fayadh est installé dans la Jamahiriya depuis 2001. Il nous confie que ce qui l'a fait venir en Libye, c'est le salaire. «Sous l'embargo, la vie en Irak était devenue insoutenable. En Libye, je gagne 3500 DL (environs 140 000 DA), alors qu'en Irak, mon salaire était d'à peine 170 DL (environs 7000 DA).»
En tant qu'Irakien, M. Fayadh a vécu le conflit libyen avec une émotion particulière. «C'est le même plan qui a dépecé l'Irak qui est en train de se répéter en Libye», décortique notre professeur. Pour lui, le plus grand tort de l'Occident est d'avoir provoqué «une militarisation forcenée du monde arabe, et ça, ça va se retourner contre les Occidentaux.» Il gage que la transition démocratique en Libye va être extrêmement compliquée. «El Gueddafi ne devrait pas connaître le même sort que Saddam Hussein», prédit-il. Et de s'indigner contre l'intervention de l'OTAN : «L'argument de la protection des civils ne résiste pas à l'analyse. Pourquoi ils ne sont pas intervenus au Rwanda, à Ghaza, en Somalie '», martèle-t-il. «Que nous a apporté l'intervention américaine en Irak, sinon le chaos et la destruction. Avant, on avait un seul cimetière à Felloudja. Maintenant, on en a trois. Et sept prisons. Même les chiites regrettent Saddam Hussein. En 8 ans de présence en Irak, les forces coalisées n'ont fait qu'augmenter le nombre de veuves et d'orphelins. Honnêtement, je ne souhaite pas un tel sort à nos frères libyens !»


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