Algérie

Avec les pensionnaires d'Ourida Meddad



‘’ AVEC LES PENSIONNAIRES D’OURIDA MEDDAD ’’

Par Djillali HADJEBI

En optant d’emblée pour l’Internat, Khalida, on l’appellera ainsi, ne pensait pas si bien faire elle qui n’avait pour seule préoccupation que l’éloignement et la rareté des moyens de transport. Ce régime de pensionnat, cette volonté de se cloîtrer comme une religieuse dans un monastère, avait le mérite de lui permettre d’échapper à toute dissipation et de s’inscrire dès le début de ses études secondaires dans une dynamique de travail qui convenait à son ambition. Comme à son habitude elle maîtrisait parfaitement son espace temporel et excellait dans toutes les matières, ce qui lui permit de franchir sans encombre toutes ses classes. Dans moins d’une année elle subira l’examen du probatoire, la première partie du baccalauréat. Sa préférence marquée pour la littérature, son goût prononcé pour les ‘belles-lettres’, l’orientèrent naturellement ; au grand dam de certaines de ses professeurs qui auraient aimé la voir choisir une filière sciences ou mathématiques.
La jeune fille n’en revenait pas de son parcours exceptionnel. Se retrouver dans ce grand lycée d’El-Harrach, était pour elle un véritable miracle. Dès le début de sa scolarisation, en plein guerre de libération nationale, elle avait connu tous les aléas de la classe unique, sans parler de la faim, du froid et de toutes ces privations que connaissaient les enfants des familles pauvres et nombreuses qui peuplaient les innombrables haouchs de la Mitidja. Sans sa volonté, son courage devant l’adversité et cette ténacité qui l’habitait, propre aux personnes avides de connaissance et de savoir, elle aurait sans doute abandonné ses études comme tant d’autres avant elle.
Aujourd’hui, Khalida ne peut se remémorer toutes ces années d’Internat passées à Ourida Meddad sans sentir aussitôt son cœur battre plus vite, sa gorge se nouer et ses yeux s’embuer : « Mon Dieu ! Que sont devenues toutes ces nymphes au sourire juvénile, à la jeunesse éternelle ? Ces fées et ces sirènes, ces biches et ces gazelles ? Elles savaient chanter mieux que quiconque aussi bien El-Bahdja et la Mitidja, la Kabylie et son Djurdjura, que les amours naissantes et l’amitié. Chaque week-end, du haut des remparts qui dominaient la ville, comme jadis les princesses dans leur château, toutes les pensionnaires étaient là, une pomme à la main, à guetter l’arrivée d’un parent ou le passage d’un hypothétique prince charmant. »
Tous les soirs après la fin des cours, des études, quand tous leurs devoirs étaient terminés, les lycéennes aimaient se retrouver entre elles et discuter de choses et d’autres. Dans la grande chambrée des cercles se formaient suivant les alliances, les affinités ou juste par sympathie. Khalida avait réussi au fil des ans à tisser de véritables liens d’amitié et à se faire de vraies amies. L’intelligence vive et précoce, elle était ouverte à toutes les idées et savait être à l’écoute des autres. Ensemble, elles avaient leur propre cercle qui ne finissait pas de s’agrandir. Tous les sujets étaient abordés et les questions de l’heure débattues passionnément par des étudiantes avides d’apprendre, de connaître. Chacune apportait sa pierre à l’édifice en donnant sa propre vision des choses, des grands évènements que traversait le pays, du dernier spectacle vue, de la dernière lecture. La compagnie de la jeune fille était appréciée, recherchée par les autres. D’un tempérament romanesque, elle était douée d’une verve intarissable et d’une tournure d’esprit toute particulière dans sa manière de narrer, de dire les choses. Elle savait raconter avec forts détails et l’impétuosité nécessaire, comme elle savait résumer, conclure des histoires et des situations rocambolesques, pleines d’aventures et de mystères.
Quand tous les sujets d’actualité étaient épuisés, quand les étudiantes sentaient ce besoin d’évasion pour échapper à la réalité, elles se tournaient alors vers Khalida. Celle-ci, telle Shéhérazade tenant en haleine le sultan Shahriar, savait puiser dans son riche répertoire pour captiver son auditoire, émouvoir les unes et faire rêver les autres. Prise au piège des mots, charmée par la magie du verbe, il arrivait qu’une maîtresse d’internat, une pionne comme elles les appelaient, venait se mêler aux autres pour écouter. Jusqu’à l’extinction des feux, le lit de la jeune fille, son petit espace au dortoir ne désemplissait pas. Ses amies, les anciennes comme les simples camarades de chambrée, venaient chaque soir boire ses paroles. Alors la jeune fille les enivrait de ces fabuleux, ces extraordinaires contes où les légendes se confondaient facilement avec l’histoire, ces fantastiques récits pleins de romantisme où l’amour, la beauté et la tendresse, l’humilité et la modestie, le disputaient à la jalousie, la laideur et la cruauté, l’avarice et la cupidité ; l’éternelle lutte du bien contre le mal…
Puis comme à la fin de chaque année scolaire vinrent les périodes des examens suivies aussitôt par celles des grandes vacances. Les lycéennes bouclaient vite leur valise et partaient dans la joie, certaines qu’elles allaient toutes se retrouver à la rentrée. Par contre pour celles qui venaient de décrocher leur baccalauréat, elles savaient toutes en leur for intérieur que le moment de se dire adieu, de la grande séparation, était venu ; chacune étant appelée à suivre son propre chemin, sa propre destinée. Le cœur gros, certaines avaient échangé leur adresse en se forçant à sourire et en se promettant de garder le contact, de s’écrire. Durant l’été, il y’eut effectivement quelques rares lettre d’échangées entre les plus fidèles d’entre elles…
A la rentrée, les plus chanceuses s’étaient retrouvées sur les bancs de la fac centrale ou à l’université de Bab-Ezzouar, pour entamer leurs études supérieures, alors que d’autres avaient rejoint le monde du travail avant de se marier quelques années plus tard. Comme on dit, ainsi va la vie…, mais ne dit-on pas aussi que le temps finit toujours par panser toutes les cicatrices, atténuer les plus gros chagrins et effacer même les souvenirs ?

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En lisant ce récit je ne m'attendais vraiment pas à revenir 50 années en arrière... Cela fait vraiment quelque chose de repenser à toutes ces années d'Internat... Grand merci pour l'auteur..
Darine M. - Enseignante (retraitée) - Alger, Algérie

29/11/2016 - 317708

Commentaires

Vraiment très nostalgique, cela nous replonge dans les années 1970 avec les anciennes internes d'Ourida Medda... Mes amitiés et mon bon souvenir à toutes celles qui se reconnaîtront dans ce magnifique récit...
BAYOU O. - Retraitée de l'Education Nationale - Alger, Algérie

26/11/2016 - 317488

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