La formule est une provocation. Le
troisième opérateur de la téléphonie mobile Orange a apporté la 3G. Il aurait
rendu plus fluide le travail de la dissidence tunisienne. Les bloggers de la
liberté aiment raconter comment ils ont retourné la vitrine high-tech de Ben
Ali contre son régime. Avec un détour par le monde réel, toutefois.
Aziz Amamy, 27 ans, ne peut pas
développer deux idées sans être interrompu. Sur la terrasse du café l'Univers,
Avenue Habib Bourguiba, il rend les salutations des connaissances de passage.
C'est le septième jour de la Révolution et il est un de ses héros. Tout comme
Sofiance Belhadj, 28 ans, arrêté avec Aziz le 06 janvier en même temps qu'un
«frère» de la blogosphère libre, Slim Amamou, et d'autres «suspects». Tout le
monde a eu le temps de se retrouver le 14 janvier face au ministère de
l'Intérieur pour le rassemblement fatal à la dictature. Aziz et Slim sont même
passés par la case prison, libérés «juste à temps» de la sinistre El Mordjania.
Un parcours naturel pour les épigones de Zouhair Yahyaoui, web journaliste, figure
emblématique de la résistance citoyenne sur internet, embastillé par Ben Ali en
2002 et mort d'une crise cardiaque en mars 2005. «C'est mon inspirateur,
explique Aziz, je me suis dit, s'ils l'ont mis en prison, c'est qu'il a fait
bouger les choses chez eux. Il y avait donc quelque chose à faire sur le Net».
Sofiane Belhadj, bardé de diplômes en France, est, lui, rentré au pays pour
faire du référencement de sites web, en attendant la Révolution. Il crée un
groupe sur Facebook : «I have a dream, Tunisie démocratique». «Il s'agissait
pour moi de prendre tous les arguments utilisés habituellement pour justifier
que la Tunisie ne puisse pas devenir encore une démocratie, et les détruire
méthodiquement». Il est repéré. Son groupe est piraté.
«Résiliation collective de contrats»
Le régime de Ben Ali qui a –
scandaleusement - accueilli durant l'automne 2005 le Sommet mondial de la
société de l'information (SMSI), est alors pris au piège de sa vitrine
high-tech. Le taux de raccordement des Tunisiens à internet est le plus élevé
au Maghreb. La blogosphère se libère. Les groupes se créent un espace de
liberté citoyenne aussi large sur la Toile qu'il est fermé dans le réel. En
2007, Facebook est censuré. «Nous étions devons plusieurs réactions débattues
sur le web. Une pétition gigantesque, un rassemblement public, nous retenons
finalement une autre option ; une résiliation collective de nos contrats
adressés aux providers. Ils sont censés assurés l'accès complet à Internet. La
formule a du succès. Nous sommes très vite 4000 à préparer une lettre de
résiliation. Le journal le Temps évoque le problème pour la première fois. Dans
la semaine Facebook est rétabli» raconte Sofiane. La censure devient, en fait,
plus fine «par page». L'affaire Wikileaks permet de mesurer l'efficacité du
réseau : «j'ai créé un lien sur un groupe Tunisie Wikileaks. J'ai reçu 170 000
visites en une semaine».
«Nous avons donné une certaine technicité
à la Révolution»
Aziz Amamy est repéré depuis longtemps,
son profil est piraté plusieurs fois. En fait il n'active pas que sur le Net :
«je ne savais pas que ce que nous faisions était de la cyberdissidence. Moi je
me considérais comme dissident tout court. Inscrit dans une culture
contestataire bien tunisienne». Sidi Bouzid ? «Je savais que cela allait
arriver». Aziz se met au service de la révolte. Il organise, avec ses amis, une
filière pour mettre en partage tout ce qui tombe sur la révolte : sons, images,
textes, témoignages… Un travail colossal. «Il m'est arrivé de partager une
vidéo jusqu'à 150 fois le même jour». Aziz a senti très vite que quelque chose
de décisif se jouait. «Nous avons filmé des manifestants à Sidi Bouzid. Ils
étaient dans la rue depuis une semaine. J'ai posé la question à un jeune
pourquoi vous continuez. Il m'a répondu. Personne ne parle de nous. Mohamed
Bouazizi s'est brûlé, nous avons déclenché la guerre aux policiers, et le soir
j'ai trouvé Haifa Wahbi (chanteuse libanaise) à la télévision. Alors je
continue». Aziz et Les cyberdissidents ont réussi à rétablir les liens de la
société tunisienne coupés par la police de Ben Ali. «Mais les réseaux sociaux
ne permettent que cela, pas plus» prévient Aziz. «Nous avons donné une
technicité à la Révolution» se précise Sofiane. Pour relayer sur le web un
évènement, il faut qu'il existe dans la réalité». La Révolution a fusionné le
web et le mouvement dans une accélération fulgurante des flux. Aziz Amamy
s'emballe : «Lorsque l'insurrection est arrivée à Tunis, nous donnions des
informations en direct sur l'avancée de la situation. Je mettais grâce à mon
téléphone portable des informations sur mon mur Facebook qui étaient partagé
instantanément. Le 14 janvier, le jour du grand rassemblement, j'ai envoyé les
images du barrage de police qui empêchait l'entrée à l'avenue Habib Bourguiba par
la porte de France. Et j'ai donné un autre itinéraire libre aux manifestants
qui venaient des banlieues. La 3G nous a beaucoup aidés pour être aussi
efficace. De ce point de vue je peux dire que Orange a été le sponsor officiel
de la Révolution» déclare-t-il un sourire narquois bien compréhensible. Le clan
Ben Ali Trabelsi avait pris des positions dans l'actionnariat de ce nouvel
opérateur dans le paysage de télécoms tunisiennes. Les cyberdissidents
tunisiens sont devenus une force de pression considérable. Slim Amoumou, 33
ans, est passé de la Morgania (prison) au gouvernement en 5 jours. Il est
secrétaire d'Etat à la jeunesse et au sport dans le gouvernement d'unité
nationale. «C'est un frère. Je ne peux pas lui en vouloir. Je le comprends»
affirme Aziz. Lui aussi a été approché pour un poste. Il a dit non.
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Posté Le : 01/02/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Kadi Ihsane Reportage En Tunisie
Source : www.lequotidien-oran.com