Algérie

« Avec ce code, c'est le citoyen qui prend en charge l'État ! »



  Un nouveau code est proposé. Est-ce à dire que l'ancien est dépassé '  Nous avons travaillé avec un code qui datait de 1975. Je ne ferais pas le procès d'une ancienne loi ou l'autopsie d'une nouvelle. Dans tous les Etats du monde, on modifie les lois par étapes. On fait des études préalables, on installe des commissions pour étudier l'article dépassé par le temps, qui cause un problème sur le terrain, celui qui empêche les gens d'avancer... Mais de là à décider de changer toute une loi qui n'est pas si mauvaise que cela, c'est surprenant. Peut-on dire que l'ancien code a donné des résultats qui justifient un changement radical ' Le nouveau a changé le fonctionnement des tribunaux, les attributions des magistrats, des greffiers. Tout cela est un nouvel appareil auquel doit s'adapter le greffier, l'avocat, le citoyen qui n'a rien demandé. Le citoyen demande à ce qu'on lui facilite les procédures pour aller en justice et là on se retrouve devant un code qui lui ferme pratiquement les portes du tribunal.Dans d'autres pays, comme la France, le code civil n'a pas été changé depuis Napoléon, mis à part quelques amendements. Nous, nous avons connu un chamboulement de 2008 à avril 2009. Toute une révolution qui suscite des craintes qui ne trouvent pas d'explications, sauf si c'est expliqué par le volume de travail et des retards dans le traitement des dossiers qu'enregistre actuellement la Cour suprême. Il est vrai qu'il y a un chiffre alarmant d'affaires portées devant les tribunaux et ce code est conçu pour alléger le potentiel des affaires, car depuis son entrée en vigueur, les caisses enregistrent moins d'enrôlement, les audiences connaissent moins d'affaires. C'est inquiétant pour le fonctionnement de la justice.  Le président de la commission de préparation de ce nouveau code, Abdeslam Dib, a déclaré à El Watan que les gens acceptent mal les changements. Les avocats aussi...  M. Dib reconnaît que cette loi fait peur, mais qu'il faudrait la lire intelligemment, selon lui. Nous, en tant qu'avocats, nous avons effectivement peur non pas parce que nous n'avons pas compris, mais plutôt parce que les avocats n'ont pas été associés à l'élaboration de cette loi. Aucun avocat, aucun bâtonnier n'a pris part à la conception de ce code dont les études ont commencé en 2000. Mis à part le professeur Issad, qui est d'ailleurs le seul capable d'apporter du nouveau dans le chapitre de l'arbitrage. A ma connaissance, dans ce code, seul le projet d'article n°12 a été décortiqué par les bâtonniers et finalement abrogé. Il stipule qu'un président de cour ou un juge peut poursuivre un avocat dans la plaidoirie pour des propos tenus lors de l'audience. Ce qui est inacceptable.  L'article 8 relatif à l'obligation de l'arabisation des documents a également été soulevé. Que conteste-t-on '  Cet article dit au citoyen « si tu as des documents en français, tu devras les traduire en arabe pour 1200 DA la page ». Il faut savoir qu'il y a des régions du pays où il n'y a aucun traducteur. Je peux citer Médéa, Djelfa, Tamenrasset. On dit qu'on va affecter des traducteurs en septembre. Mais seront-ils suffisamment outillés pour faire ce travail ' En plus, les gens seront alors obligés d'attendre que ces traducteurs soient installés pour qu'ils aient le droit d'aller en justice. Il y a des urgences. Veut-on laisser les gens régler leurs comptes eux-mêmes ' Plusieurs cas ont été signalés d'ailleurs. M. Dib a dit que l'article 8 est une question de souveraineté nationale. Celle-ci ne commence quand même pas avec la justice et ne s'arrête pas à la justice. La souveraineté nationale devrait commencer par les institutions de l'Etat qui travaillent en français ; le citoyen ne va pas mettre seul en application la loi sur l'arabisation. On doit commencer part le haut. On a inversé le système pyramidal. Au lieu que cela commence par toutes les administrations, on a commencé par le citoyen. Dans tous les pays, on exige du citoyen la traduction quand la pièce émane d'un autre Etat. Ce n'est pas le cas chez nous avec ce code.  Les avocats n'ont-ils pas réagi '  On ne nous a pas écoutés. Au 24 avril on était des avocats et le lendemain on est devenu des avocats stagiaires. Certains d'entre nous ont travaillé dessus, participé à des séminaires organisés par le ministère de tutelle. La sonnette d'alarme a été tirée quant aux difficultés rencontrées sur le terrain. On a fait l'impasse sur cela. Dans le nouveau texte, il y a des dispositions intéressantes, mais il n'y a pas matière à discussion car on n'arrive pas à les mettre à exécution. La colère des avocats ne s'est pas encore manifestée. Les avocats sont organisés ; nous travaillons par étapes et les décisions doivent être prises par l'union nationale, tout en précisant que chaque bâtonnat est autonome. Ce code, qui touche l'ensemble des citoyens, touche aussi à la dignité de l'ensemble des avocats. Il y a urgence qu'une décision soit prise par l'union nationale qui, d'ailleurs, se réunira pour expliquer la position des avocats.  Ce nouveau code ne contient-il pas des aspects positifs '  Il y a des aspects positifs. A mon sens, il est révolutionnaire car il va alléger le travail des tribunaux et des cours, mais il va vraiment créer le malheur des justiciables. Le citoyen qui voudrait régler un litige en justice ne comprendra pas ce qui lui arrive : il faut qu'il paie l'avocat, le traducteur, l'huissier. Avec la crise économique, on lui demande de prendre en charge l'État.  Comment réagit-il alors '  Il reprend son dossier et, aussi dramatique que cela puisse sembler, il s'en va avec des menaces. Il dit, par exemple, qu'il ne va pas demander sa créance devant le civil mais qu'il va régler le litige autrement. Il y aura des effets pervers ; il y aura plus d'affaires devant le pénal. On veut alléger les tribunaux sur l'aspect civil, on va les alourdir sur l'aspect pénal. Des confrères ont rapporté qu'il y a de plus en plus de coups et blessures, des règlements de comptes dans la rue. Ce nouveau code ne profite pas à la société, mais plutôt à un certain nombre de fonctionnaires de la justice. Ces derniers jugent qu'il y a trop d'affaires qu'il faut diminuer en première instance. C'est pour qu'il y en ait moins dans les cours d'appel et aussi à la Cour suprême. L'enchaînement est clair.


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