Ayant pris acte de l'avant-projet de la loi sanitaire (version août 2014), je constate qu'il est une copie résumée, éhontée et malheureusement tronquée de l'avant-projet proposé en 2010 par une commission présidée par feu, le professeur Chaulet et marque une nette régression par rapport à ce dernier.En effet, pas moins de 100 articles ont été supprimés du texte de 2010, alors qu'ils introduisaient avec détails et clarté une vision nouvelle, intéressante et surtout moderne dans notre futur système de santé.Ce qui a été volontairement supprimé ou modifié concerne des points essentiels dans le domaine de la santé.Sur l'organisation de l'offre de soins : la notion de territorialisation et d'aires géo-sanitaires par bassin de population, qui ramènerait à la création de districts (en gros aux ex-secteurs sanitaires à gestion améliorée et qui serait l'entité sanitaire de base et un espace de gestion opérationnel et propice à l'intersectorialité) a été totalement occultée.Faut-il rappeler que ce découpage sanitaire est universel, préconisé par l'OMS depuis plus de 50 ans et appliqué avec succès dans de nombreux pays. La notion de «région sanitaire» est une illusion si elle est faite sans approche territoriale précise, (de l'entité sanitaire de base à la région sanitaire) et sans assise juridique, consacrée par des textes législatifs et réglementaires qui l'érigent en institution décentralisée (ne pas confondre avec une structure déconcentrée comme les DSW actuelles) bénéficiant d'un budget et d'une autonomie de décision. Sans cela, la tentative d'application d'une hiérarchisation des soins (pourtant indispensable à l'économie de santé et au bon fonctionnement du système) et la mise en place des outils et des instruments d'une planification sanitaire (carte sanitaire) seront impossibles. Pour preuve, l'existence virtuelle des 5 conseils et observatoires régionaux de la santé (décret exécutif 97-262 du 14/7/1997) organes qui, comme le constate le Conseil national de la réforme hospitalière (oct. 2002) sont inopérants car dépourvus de pouvoir de décision.Sur la planification dans le domaine de la santé (approche sommaire) sur la politique pharmaceutique nationale : (La notion de liste des médicaments essentiels en DCI et la liste des dispositifs médicaux appelés à ne pas connaître de ruptures dans notre système de santé est vite abordée, contrairement à l'avant-projet proposé en 2010).Sur le système national d'information sanitaire : L'agence nationale de documentation en santé, établissement public à caractère scientifique chargée, entre autres de produire les supports d'information, l'enseignement à distance. Prévue dans le texte 2010, elle n'est pas confirmée.Sur la création d'organismes et d'agences régionales de la santé et d'accréditation : (Le Conseil supérieur de la santé.... propose au ministre les éléments d'une politique de santé est remplacé par un Conseil national de la santé.... chargé de proposer les mesures appropriées...).Le Conseil supérieur de la santé initialement prévu est un contre-pouvoir, il a un avis responsable sur l'élaboration d'une politique de santé durable et peut peser sur les décisions. La suppression de l'agence régionale de la santé par rapport à ce qui a été proposé en 2010 confirme et pérennise le caractère virtuel déjà évoqué des régions sanitaires.Les organismes et agences créés (Conseil national de la santé, Agence de promotion du système de santé, de l'évaluation et de l'accréditation, Agence nationale du médicament etc...) totalement rattachés au MSPRH ne bénéficiant pas d'un minimum d'autonomie par rapport à l'administration centrale ne peuvent pas remplir une mission objective, sereine et responsable (se rappeler les nombreux dysfonctionnements de l'Institut Pasteur d'Algérie et de l'Institut national de santé publique à cause des ingérences partisanes de l'administration centrale du ministère de la Santé).Sur les dispositions sur les futurs conjoints et l'obligation de l'Etat à l'égard des formes de violence contre les femmes. Les paragraphes consacrés à ces sujets ont curieusement disparus (en net recul sur le nouveau projet portant amendement du code pénal, bientôt débattu à l'APN) . L'une des rares innovations de cet avant-projet porte sur «l'activité complémentaire dans les établissements publics de santé» qui figure en bonne place et qui, j'en suis intimement convaincu, sera une source supplémentaire de confusion, d'injustice interprofessionnelle et de pourrissement de nos hôpitaux.Ceux qui, après un marchandage bien calculé, l'ont imposé cyniquement au ministère de la Santé, qu'ils savent incapable d'appliquer cette disposition avec rigueur sans préjudice pour nos hôpitaux, parce qu'il n'en n'a ni la volonté, ni la compétence, ni les moyens, sont les fossoyeurs de l'ombre de notre système de santé. Ce projet n'est, en fait, qu'un condensé de généralités, un minimum consensuel, politiquement correct. La loi sanitaire proposée en 2014 fait violence à la population algérienne. Elle enterre l'édifice, certes obsolète, de la «Médecine gratuite» pour le remplacer par les exigences des mondes du pouvoir et de l'argent, au lieu de s'engager dans un défi de justice sociale et de modernité. Pour terminer cette courte analyse, nécessairement incomplète, je joins une synthèse sur le développement du système de santé tel que j'y crois. Ce document date de 4 ans. Je n'ai pas changé d'avis.Schéma directeur optimal du développement du système de santéLes efforts consentis pour l'organisation du système de santé durant plusieurs décennies ont permis d'infléchir les principaux indicateurs nationaux et d'améliorer qualitativement la santé de la population. L'amélioration de l'état financier du pays a permis également de consentir des allocations budgétaires importantes en soutien au redressement de nombreux secteurs, dont celui de la santé. Néanmoins, malgré ces efforts, le système de santé fait l'objet d'insatisfaction des professionnels de santé, de la population et des bailleurs de fonds. L'organisation sanitaire perd de son efficacité.L'analyse de l'organisation actuelle de notre système de santé en général et de l'offre de soins en particulier fait ressortir de nombreux dysfonctionnements, dont certains ont été rapportés par Monsieur le ministre de la Santé et de la Réforme hospitalière (MSPRH) dans sa communication de septembre 2009. Trois domaines sont concernés par cette synthèse. L'offre de soins, l'organisation des soins et la gouvernance administrative du système de santé.L'offre de soinsLes personnels de santé : A première vue, l'effectif du personnel de santé ramené à la population est satisfaisant, voire remarquable.Toutefois, le dénominateur commun aux personnels de santé du secteur public, toutes catégories confondues (médecins, paramédicaux, personnels techniques et administratifs), est une large démobilisation en raison de la détérioration de leurs conditions de travail et d'une gestion centralisée et figée de leur mode d'exercice et de leurs carrières. De plus, l'acquisition d'une compétence dans le domaine de la santé découle d'une formation académique sérieuse et adaptée aux besoins dûment identifiés de santé publique. Pour ce faire, plusieurs obstacles sont à surmonter :- le décalage linguistique entre enseignants et enseignés ;- la révision des programmes de formation, en privilégiant l'enseignement consacré aux gestes pratiques, à la résolution de problèmes de santé publique et à l'économie de santé.Les infrastructures sanitairesLe pays dispose d'un nombre important d'infrastructures hospitalières et de soins de proximité. Le nombre de lits hospitaliers semble couvrir les besoins actuels en soins généraux. Cependant, la plupart des hôpitaux sont vétustes et conçus selon un mode pavillonnaire ancien.Les équipements : Les équipements lourds et les plateaux techniques sont insuffisants et mal utilisés. Ce genre d'équipements très coûteux mérite une définition précise et une homologation. Leur implantation est dépendante de l'élaboration d'une carte sanitaire sur la base d'un schéma d'organisation sanitaire d'un territoire bien défini, de la dimension, par exemple, d'une région sanitaire.L'organisation de soinsElle doit reposer sur une segmentation en soins primaires, secondaires et tertiaires. La hiérarchisation des soins est un mode d'organisation sans cesse formulé mais dont l'application a été jusque-là purement rhétorique. Pourtant, ce concept est le seul qui permette de concilier l'économie à la justice sociale. Quel que soit le modèle de hiérarchisation des soins adopté au plan institutionnel, la question fondamentale est comment l'appliquer et le faire accepter par la population et les professionnels de santé 'La hiérarchisation des soins en soi n'est pas une finalité ; elle n'est qu'un cadre qui organise le parcours de soins des patients, et nécessite la définition et la création d'aires géo-sanitaires de base (territoire sanitaire, district sanitaire?) correspondant à des bassins de vie. Ceci est une condition sans laquelle aucune visibilité du système ne peut être obtenue. Le territoire sanitaire est créé après étude de multiples critères ayant trait à la situation géographique, densité de la population, le caractère urbain ou rural, la densité médicale? On devra l'emboîter intelligemment sur le découpage politico-administratif. Chaque territoire sanitaire devra englober des structures de soins de proximité, des EPH transformés en hôpitaux locaux et des structures de médecine libérale et parapublique.Cette nouvelle entité administrative sanitaire peut correspondre à la dimension d'une daïra et/ou à un groupement de daïras dans certaines zones géographiques, de façon à en limiter le nombre à l'échelle nationale et le rapprocher de celui des ex-secteurs sanitaires (180 à 200). Cette entité sera dirigée par un administrateur sanitaire placé sous la responsabilité du directeur de wilaya de la santé et de la population.L'une des conditions préalables à l'amélioration de l'organisation des soins consiste en l'introduction d'une assise juridique à la régionalisation et à la décentralisation sanitaire. La législation devra se concentrer sur les points suivants :- la définition de l'unité administrative sanitaire de base et sa composition ;- la décentralisation de la planification de l'offre de soins, ce qui a pour condition de recentrer les missions de l'administration centrale sur son rôle de régulateur ;- la définition des parcours de soins par pathologie ;- les statuts des structures hospitalières ;- les modes de coordination entre tous les acteurs de l'offre de soins publics et privés. Une révision des modes de rémunération et de la progression des carrières sur la base de conventionnement et de contractualisation.La gouvernance administrative du système de santéL'organisation du système de santé répond à une gouvernance centrale, verticale et de type administré. Actuellement, le secteur a grandement besoin d'une réflexion en profondeur sur une politique durable, à la fois adaptée aux moyens du pays et aux transitions démographiques et épidémiologiques qui s'y déroulent. Il est urgent que l'administration centrale du MSPRH renforce ses connaissances en santé publique, adapte son organigramme à une meilleure organisation du système national de santé, et recentre ses missions sur son rôle de tutelle (réglementation, planification, normalisation et contrôle). Cela suppose la nécessité d'une décentralisation de certaines de ses activités sous le double aspect d'une déconcentration effective, et surtout d'une délégation progressive vers des institutions régionales.Cette démarche appliquée avec succès dans de nombreux pays permettra de mettre en place un instrument de distribution équitable de l'offre de soins dans chaque zone sanitaire (région, district ?). Le dispositif administratif et technique devrait être complété par la création de nouveaux organes, tels qu'un Conseil national supérieur de la Santé et une Agence nationale d'accréditation et d'évaluation des pratiques dans le domaine de la santé. Malgré des acquis indéniables, le dispositif de santé publique en Algérie connaît des dysfonctionnements importants.La décision récente de modifier l'organisation du système de santé, et qui visait en apparence à renforcer les structures extrahospitalières dites de proximité pose depuis son application plus de problèmes qu'elle n'en résout. La suppression des secteurs sanitaires (entités géographiques d'administration sanitaire correspondant aux «districts» sanitaires recommandés par l'OMS, depuis plus de 50 ans) risque de disloquer la pyramide des services de santé dont ils étaient la colonne vertébrale depuis les années 1980 en Algérie.
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Posté Le : 25/09/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Mourad Baghriche Pédiatre Docteur Honoris Causa an
Source : www.elwatan.com