Alger. Salle Algeria. Une soirée de février. Il y a du monde. Une affiche modeste attire peu de regards. Elle annonce pourtant la sortie de Morituri, le film de Okacha Touita.
Les affiches grandeur nature ne sont pas encore dans les moyens du cinéma algérien. Le producteur Bachir Derrais, qui prend la parole sur une scène mal éclairée, dit tout le mal qu’il a eu pour ramasser les fonds pour concrétiser l’adaptation à l’écran du polar de Yasmina Khadra. « Personne ne voulait financer le film ni en Algérie ni en France », lance-t-il. Le film, qui devait sortir lors de l’Année de l’Algérie en France n’a, pour des raisons inconnues, pas eu les « faveurs » du comité Raouraoua. Et voilà qu’arrive Alger, capitale de la culture arabe. Miracle : le film peut sortir. Tant mieux. C’est le premier d’une liste de 22 longs métrages prévus par les organisateurs de la manifestation. L’ENTV, dont la caisse déborde d’argent grâce au monopole sur le marché de la publicité télévisuelle, met 5 millions de dinars dans le projet qui traîne depuis 2003. Le producteur recourt à un prêt bancaire et est aidé par le Centre français du cinéma (CNC) et Claude Kunetz de Wallworks. Bref, tout le monde est heureux ce mercredi. Même si la faiblesse de l’aide publique au cinéma ne suscite toujours pas le débat qu’il faut. Un représentant du ministère de la Culture justifie l’absence de Khalida Toumi par « un conseil du gouvernement ». Détail presque oublié deux minutes après. La magie de la salle sombre efface tout. Le commissaire Llob, personnage central de Morituri, incarné par Miloud Khetib, se lève difficilement. Les images de Allel Yahiaoui, qui a à son actif 45 films, sont perfect. « Saigné aux quatre veines, l’horizon accouche à la césarienne d’un jour qui, finalement, n’aura pas mérité sa peine », écrit Yasmina Khadra dans son roman noir. La trame de l’histoire se déroule dans une Algérie prise dans les tourments de la violence. A tous les niveaux. Llob et son lieutenant, Lino, correctement joué par le jeune Azzedine Bouraghda, tentent de faire dans l’investigation dans un pays où il y en n’a pas. Expliquer les raisons de la disparition (tient !) de la fille de Ghoul Malek, un homme puissant. Pour ce rôle, le réalisateur a fait appel à Mohamed Johari. Sa carrure et son allure rappellent celles d’un ponte connu du régime. Simple ressemblance ? Okacha Touita, qui a rendu une sympathique visite hier à la rédaction, répond par un sourire artistique. Llob, Lino et Serj (interprété par un Rachid Farès toujours égal à lui-même) entrent dans des dédales qui les mènent aux limbes rouges, curieux « boîte de nuit » où le diable semble avoir élu domicile, à la rencontre de vendeuses de charme et de Haj Garne, symbole de l’affairisme puant, à la poursuite de Slimane Abbou, vrai dealer et faux terroriste, à la recherche de Didi, videur de cabaret, exécutant de crime sous couvert de religiosité tactique à ses heures libres et à l’arrestation de Mourad Atti, proxénète insignifiant tiré d’une bande dessinée ! Question à Slimane Abbou par Llob : “« Où est Didi ? » Réponse : « Aucune idée. » « Au maquis ? » « Didi, au maquis ? Il est incapable de survivre loin d’un bon plumard et d’une baignoire. » Abou Kalybse, joué par Sid Ahmed Aggoumi, intellectuel à l’esprit dérangé, aime les modanités et fabrique des tracts pour des tueures... Bombe par là, corps piégé ici et fille décapitée plus loin...L’Algérie des années sanguines est parfaitement restituée par Okacha Touita avec, en prime, un rappel de l’attentat du boulevard Amirouche à Alger. Et puis, il y a ce petit paquet de questions qui se faufile à travers les images : Qui a fait quoi ? A quelle fin ? Et si toute cette violence n’était finalement qu’un immense écran de fumée pour permettre à des fortunes de grossir à l’ombre de l’état d’urgence et à des palais de prendre des couleurs ? Au 13, rue des Pyramides, où habite Ghoul Malek, Llob se rend, rentre par effraction et épingle des photos : des enfants égorgés, des hommes défigurés... de l’hémoglobine. « C’est votre chef-d’oeuvre, monsieur Ghoul », dit le policier. « Depuis que le monde est monde, la société obéit à une dynamique à trois crans. Ceux qui gouvernent. Ceux qui écrasent. Et ceux qui supervisent », repond le riche colosse. Les choses s’accèlerent...Okacha Touita, qui s’est inspiré également de Double blanc et de l’Automne des chimères, les deux suites logiques de Morituri, surprend le spectateur à la fin. Certains se désolent. D’autres se réjouissent. Absent, Yasmina Khadra n’a pas eu l’opportunité de dire ce qu’il en pense...La voix de Rachid Taha retentit avec le générique : Demandez-leur des comptes. Chassez-les !... La salle applaudit. C’est rare à Alger. Okacha Touita, 64 ans, qui est à son quatrième long métrage, a réussi le pari d’adapter une œuvre difficile et à permettre un autre regard sur l’Algérie des uns et des autres. Plutôt celle des uns « contre » les autres. Morituri sera distribué fin février en Algérie et projeté en avril en France.
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Posté Le : 03/02/2007
Posté par : hichem
Ecrit par : Faycal Metaoui
Source : www.elwatan.com