Algérie

«Avant le FMI, je mettais en garde le gouvernement en septembre 2017, contre une utilisation irraisonnée»



Le FMI vient de remettre en cause, sans nuances, la majorité des axes de la politique du gouvernement et notamment sa politique monétaire. Privilégiant uniquement les intérêts supérieurs de l'Algérie, aucun patriote ne souhaitant un retour au FMI horizon 2020, je n'ai pas attendu le verdict du FMI le 12 mars 2018 pour mettre en garde le gouvernement, contrairement à certains intellectuels organiques, pour plaire, mais non crédibles, qui ont induit en erreur les plus hautes autorités du pays.Dans plusieurs contributions nationales et internationales parues courant septembre 2017, j'avais répondu aux arguments du gouvernement et notamment ses ministres des Finances et du Commerce et insistait sur le fait qu'à l'heure actuelle, l'Algérie n'est pas en situation de «crise financière» mais en état de «crise de gouvernance» et le danger du financement non conventionnel, non maîtrisé, aboutit inéluctablement à un processus inflationniste (c'est une loi économique universelle insensible aux slogans politiques), à des déséquilibres de l'économie tant que le plan macro-économique que macro-social et à une perte de confiance des opérateurs tant nationaux et internationaux. Ci-joint la contribution sans aucune modification parue début septembre 2017 en arabe- anglais et français (voir www.google.com et site Mena Forum Londres/Bruxelles).
1.-Rappel du contenu de l'ordonnance d'août 2003 et de l'avant projet de la loi sur la monnaie et le crédit
La loi sur la monnaie et le crédit a été instaurée par la loi 90-10 du 14 avril 1990, modifiée par l'ordonnance 03-11 du 26 aout 2003 et récemment par l'ordonnance 10-04 du 26 août 2010. Elle ne concerne que l'article 45 dont la mouture de 2003 stipule : «la Banque d'Algérie peut, dans les limites et suivant les conditions fixées par le Conseil de la monnaie et du crédit, intervenir sur le marché monétaire et, notamment, acheter et vendre des effets publics et des effets privés admissibles au réescompte ou aux avances».
Dans le nouveau avant projet, il est stipulé «Art 45 bis : nonobstant toute disposition contraire, la Banque d'Algérie procède, dès l'entrée en vigueur de la présente disposition, à titre exceptionnel et durant une période de cinq années, à l'achat directement auprès du trésor, de titres émis par celui-ci, à l'effet de participer notamment :
- A la couverture des besoins de financement du Trésor,
- Au financement de la dette publique interne
- Au financement du Fonds national d'investissement (FNI).
Ce dispositif est mis en ?uvre pour accompagner la réalisation d'un programme de réformes structurelles économiques et budgétaires devant aboutir, au plus tard, à l'issue de la période susvisée, notamment, au rétablissement :
- Des équilibres de la trésorerie de l'Etat
- De l'équilibre de la balance des paiements.
Un mécanisme de suivi de la mise en ?uvre de cette disposition, par le trésor et la Banque d'Algérie, est défini par voie réglementaire»
2.-Crise financière et recours à la planche à billets :
Les arguments du Premier ministre, ceux des Finances et du Commerce
I- Tout retour à l'endettement extérieur» pour faire face à la crise actuelle est exclu. «Ce n'est pas dogmatique. Si on choisit d'aller à l'endettement extérieur, on aura besoin de 20 milliards de dollars annuellement pour couvrir un déficit équivalant à 2000 milliards de dinars, avec des retombées d'une telle éventualité sur le pays et sa politique économique et sociale.
II- Le financement non conventionnel, n'est pas une invention algérienne. Les grandes puissances mondiales le font toujours, à l'image des Etats-Unis, qui empruntent auprès de la Réserve fédérale, du Japon et de la Banque centrale européenne qui a injecté 2000 milliards d'euros dans les banques des pays de l'Union.
III- Les fonds qui seront empruntés par le Trésor auprès de la Banque d'Algérie «ne seraient pas source d'inflation, puisqu'ils seront destinés à financer exclusivement l'investissement public. En premier lieu, les fonds qui seront empruntés par le Trésor auprès de la Banque d'Algérie ne sont pas destinés à alimenter la consommation, mais bien à financer l'investissement public. Ce qui ne sera donc pas source d'inflation. En second lieu, le Trésor fait face actuellement à une dette publique qui ne dépasse pas les 20% du Produit intérieur brut (PIB). Il dispose ainsi d'une marge raisonnable d'endettement», en faisant une comparaison avec «un pays européen qui, disposant des finances publiques les plus solides, a aussi une dette publique proche de 70% du PIB». «Il y a même un pays qui a une dette publique dépassant les 100% de son PIB.
IV- Concernant l'effondrement du dinar, ce dernier baisse en valeur avec la baisse des réserves de change, la valeur du dinar ayant reculé de 25 à 30% ces dernières années.
V- En conclusion, selon le Premier ministre le recours au financement non conventionnel sur une période de 5 ans «permettra à l'Algérie de s'assurer la sauvegarde de son indépendance financière et la poursuite des réformes à une cadence qui ne lui engendrera pas des problèmes importants». La mise en ?uvre de cette démarche, permettra aussi d'éviter «une importante augmentation des taxes dans le cadre du projet de loi de finances 2018,
3.-Quelques précisions et recommandations
- La modification de la loi sur la monnaie et le crédit n'est pas une opération technique mais a des incidences sociales politiques et sécuritaires. Sans le retour à la confiance, de profondes réformes structurelles, et à une vision stratégique, la modification du seul article 45 de la loi sur la monnaie et le crédit, n'aura aucun impact sur le développement futur du pays, reportant dans le temps les problèmes fondamentaux.
- La modification de l'article 45 permet à la Banque d'Algérie de financer directement le trésor en levant le verrou de l'émission monétaire.
- Pour le cas Algérie, Il faut distinguer le financement de la partie dinars et de la partie devises ou le financement non conventionnel concerne la partie dinar.
- La dérive inflationniste à la vénézuélienne par la planche à billets (solution de facilité) sans contreparties productives, obligera les banques primaires à relever leurs taux d'intérêts au moins de deux points supérieurs au taux d'inflation pour éviter la faillite, ce qui va pénaliser le secteur productif.
- Sans maîtrise, elle va réaliser une épargne forcée au détriment des revenus fixes qui verront inéluctablement la réduction de leur pouvoir d'achat, prenant ainsi la forme d'un impôt indirect.
- Pour convaincre, il faut comparer ce qui est comparable. Il faut relever que les pays développés cités par Mr Ouyahia Premier ministre, ont un potentiel productif important, une forte canalisation de l'épargne des citoyens, une sphère informelle marginale, une bourse des valeurs performantes et une monnaie internationale convertible. Rien de comparable pour l'Algérie.
- Il faut donc se référer, afin de ne pas renouveler leurs expériences négatives, au Venezuela et au Nigeria, pays rentiers comme l'Algérie, au cas des dirigeants communistes roumains qui avec zéro dette extérieure ont laissé une économie en ruine.
- Il faut donc préciser dans l'article 45 pour le financement non conventionnel la nature sectorielle de la destination de ce financement, le ratio de l'émission monétaire, année par année, avec des quantifications précises, selon différents scénarios, en références à la trajectoire budgétaire et aux indicateurs macro économiques et macro-sociaux du pays, des cinq prochaines années.
C'est une démarche qui relève de la sécurité nationale qui commande la mise en place d'une comité de contrôle indépendant auprès du président de la république qui sera chargé du suivi afin d'éviter toute dérive inflationniste. Il faut éviter de fonder une politique économique sur des modèles économétriques appliqués aux pays développés déconnectés des réalités nationales, comme c'est le cas de certains experts, qui avaient pronostiqué en 2014 le retour d?un cours du pétrole à plus de 80 dollars.
L'Algérie a un répit de seulement trois ans pour changer de cap, passant par de profondes réformes micro-économiques et institutionnelles, et éviter de vives tensions sociales horizon 2018/2020. Même si le niveau des réserves de change a baissé, l'Algérie en ce mois de septembre 2017, ne connait pas encore de crise financière mais une crise de gouvernance. Le vrai risque est qu'en l'absence d'une correction de la politique économique actuelle ? notamment industrielle dont le résultat est mitigé- est que l'on aille droit vers le FMI à horizon 2020 avec la conjugaison d'une crise financière et d'une crise de gouvernance. Ce qu'aucun patriote ne souhaite.
Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités, expert international


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