Algérie

Avancez à l'arrière !



Cet appel paradoxal peut illustrer les rapports entre la création artistique ou littéraire et l'histoire, au moment où celle-ci semble bouger plus que d'habitude, que des vents de révolte agitent des vagues en Méditerranée, sur la rive sud assurément, mais probablement aussi sur la rive nord, le scénario grec étant possible dans d'autres pays européens, mais lourdement endettés. De tous temps, les mouvements et changements sociopolitiques ont impliqué, d'une manière ou d'une autre, directement ou indirectement, les œuvres d'art ou la littérature. Les créateurs, par leur sensibilité particulière, leur sens de l'observation, leur capacité à  saisir les signes infimes de phénomènes latents ou en gestation, ont souvent été en avance sur l'histoire. On peut trouver ainsi dans la littérature moderne du monde arabe, en dépit de sa faible production et de ses contraintes immenses, l'esquisse remarquable des événements actuels. Ces signes anticipés, cette échographie des embryons de l'histoire se retrouvent aussi dans d'autres disciplines : la chanson, le théâtre, le cinéma… Ainsi, Octobre 88 se trouvait inscrit en creux, et parfois en relief, dans le film Omar Gatlato de Merzac Allouache, à  une décennie de distance. De même, la chanson raï – que l'on peut aimer ou pas –, fut un symptôme. Cela pour citer des exemples proches et assez visibles. Mais, dans le monde entier, celui qui veut lire l'avenir des sociétés ne peut trouver meilleurs marc de café ou lignes de la main que dans les œuvres littéraires et artistiques. Si l'on sait choisir celles-ci parmi les plus authentiques et les plus significatives, les résultats peuvent déclasser les meilleurs prévisionnistes.
Il arrive aussi que l'art ne soit pas en avance mais accompagne les mouvements de l'histoire. Il arrive encore qu'il apparaisse à  l'arrière du bus de l'histoire. C'est peut-être parce que l'on n'a pas su interpréter ses signes avant-coureurs. Ou que l'histoire elle-même, par son poids trop écrasant sur la réalité, a empêché ou troublé la vision. Ce rapport d'avance ou de recul de l'art sur le curseur du temps, le grand écrivain, Milan Kundera, l'a exprimé ainsi : «Le sens de l'histoire d'un art est opposé à  celui de l'histoire tout court. Par son caractère personnel, l'histoire d'un art est une vengeance de l'homme sur l'impersonnalité de l'histoire de l'humanité». Pour sa part, Henri de Montherland, affirmait : «Il ne faut pas qu'un artiste s'intéresse trop à  son époque, sous peine de faire des œuvres qui n'intéressent que son époque». Il défendait par là le besoin d'un recul et d'une durabilité des œuvres. Là est tout le paradoxe. La création n'exprimerait mieux l'histoire qu'en s'en détachant. L'œuvre donc avance et recule à  la fois. Comme l'histoire en fait.


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