Igli, l'oasis de rêve
se réveille, en ce mercredi 29 décembre de l'année finissante, aux sons du
tumulte festif que seuls les hommes du désert savent produire. L'événement
n'est autre que le «Marathon des Dunes» organisé par «Sport Events
International» dans sa onzième édition qui se déroula alternativement à Taghit
et Igli.
Le triptyque
«Sport, culture et tourisme» est le thème récurrent de ces joutes sportives qui
sont à leur douzième année. Abdelmadjid Rezkane, manager général de
l'entreprise, aura réussi le pari là où de nombreuses tentatives ont échoué au
bout d'une ou deux éditions. Le froid cinglant des matins sahariens fouette les
visages des compétiteurs venus d'ici et d'ailleurs ; ils sautillent pour se
réchauffer les membres inférieurs engourdis par la gelée matinale. Si l'été est
connu pour être torride dans ces contrées, le froid continental n'est pas moins
indisposant jusqu'au lever franc du jour. La longue procession, constituée de
bus et de 4x4, quitte le camp de jeunes de Taghit, fraîchement réceptionné et mis
à la disposition des organisateurs. Implanté sur le plateau du village naissant
de Zaouïa El Fougania, il est prévu pour recevoir 500 hôtes dont la moitié en
camping libre, offrant ainsi la sécurité du gîte et le confort tout relatif
propre à la randonnée saharienne.
Encadrée par un service d'ordre impeccable
constitué de la Gendarmerie nationale, la Sûreté nationale et de Services
annexes (Santé et Protection civile), la caravane se dirige sur Igli à une
soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Taghit. La route revêtue à l'enrobé
et nettement matérialisée rend le parcours plus plaisant. Elle permet au regard
de fouiller ces immensités ocres. Monotone certes, la platitude de la hamada
offre une myriade de tons agréables à la vue. La pureté du ciel et la lumière
profuse permettent aux éminences rocheuses d'exhiber, dans une sorte de ballet
clair-obscur muet, des tableaux époustouflants d'ombres chinoises. Le couvert
végétal fait de touffes herbeuses steppiques agrémente l'espace saharien et
lutte crânement contre la désertification sablonneuse.
Les quelques
maigres champs rencontrés, qui semblent lutter contre l'adversité climatique,
sont semés de jeunes plants d'oliviers et de palmiers. Le PPDRI, cher à Rachid
Benaïssa, fera-il sortir le Sud de sa torpeur séculaire par le développement
durable ? Seul l'avenir nous le dira.
La pente douce amorcée par la route préfigure
de l'approche d'Igli qui, comme tous les groupements humains oasiens, se
blottit dans un vallon creusé par un cours d'eau. Un chantier des travaux
publics s'affaire à jeter un pont sur un oued immensément large dont seul le
grand Sud en détient le secret. L'Å“uvre d'art de plusieurs centaines de mètres,
construite sur d'imposants cubes creux en béton, mettra probablement fin à
l'isolement occasionné épisodiquement par les crues impétueuses de ces
«fleuves» du désert.
La route qui serpente doucement entre les
blocs rocheux fait découvrir un petit cimetière veillé par un mausolée
maraboutique. La localité verdoyante, au vieux bâti en pisé clairsemé de
bâtiments modernes des administrations et services, respire la sérénité. A la
lisière ouest de l'Erg occidental, elle se calfeutre dans sa palmeraie
vieillissante, dernier rempart à la menace spectrale du cordon dunaire qui
semble guetter l'oasis. Un pont relativement récent enjambe l'Oued Saoura qui
naît ici même de la jonction des Oueds Zouzfana et Guir, ce dernier dévalant
des territoires marocains voisins. L'auberge de jeunesse flambant neuve
accroche irrésistiblement le regard, par une architecture pour le moins
paradoxale, du moins en ce qui concerne sa façade faite de verre fumé enserré
dans un châssis en aluminium. Hormis l'effet de serre certainement étouffant en
période estivale, ce matériau jure par son incongruité dans l'immobilier oasien.
A ce rythme, il ne restera plus beaucoup de repères identitaires pour la
préservation du patrimoine ksourien qui a, malgré les turpitudes de toutes
sortes, traversé le temps.
En dépit de
l'apparente fragilité de la brique de terre, le bâti oasien est encore là après
au moins quatre siècles d'existence. Le mausolée de Sidi Benothman, patron de
la cité oasienne, en est la preuve irréfutable s'il en était besoin.
Au milieu du
village, un réservoir d'eau, en forme de pyramide tronquée, trône sur une butte
rocheuse. En parfaite harmonie avec l'environnement, se fondant dans le décor,
il est à peine perceptible. Presque en vis-à-vis, un autre, mais cette fois-ci
de conception moderne, jure par son intrusion inopportune. Hissé sur une
hideuse colonne en béton, peint en bleu, il fait violence par son décalage
temporel au patrimoine ancestral.
La fébrilité
festive est perceptible au centre du village. Les larges rues sont
enguirlandées de drapeaux et d'apprêts multicolores. Le baroud tonne bruyamment
dans un nuage de fumée et fait tressaillir les convives du moment qui sourient
nerveusement. Le regard est cependant curieux et interrogateur. Le Marathon des
Dunes a réuni plusieurs nationalités européennes dont une forte délégation
italienne. Les Franco-algériens de tous sexes et âges «connaissant la musique»
semblaient dire aux étrangers : «Regardez notre pays… comme il est beau !» Ils
prenaient probablement leur revanche sur l'adversité de l'ostracisme
communautaire dans lequel ils ont été toujours confinés ou du moins leur
ascendance. Assis à même le sol, les vieux autochtones, amusés par les jeunes
qui s'égaillent au gré de l'attraction: «Allez voir le spectacle… nous, nous
l'avons plusieurs fois vécu», tel semblait être leur propos. Les jeunes filles
en costume traditionnel joliment bigarré, la moitié du visage voilée,
évoluaient en grappes rieuses. Les jeunes gens style «hip hop» à la tignasse
«gelée» et aux jambes enserrées dans des jeans, portant volontiers oreillette
sur le pavillon, se chahutaient bruyamment, manière de dire que nous sommes non
seulement «in», mais nous fréquentons aussi l'université ou le lycée.
On apprenait par la bouche de M. Kouider
Brahimi, maire de la cité, que cette commune de près de 7.000 âmes est un fief
ancestral du savoir. Et pour étayer le propos, il annonçait fièrement que la
majorité des foyers comprenait de 2 jusqu'à 3 bacheliers. La jolie résidence de
la commune recevait ses hôtes avec le binôme coutumier (dattes et lait) et
l'inévitable verre de thé. Kamel Bouchama et Hamid Berchiche, anciens ministres
de la Jeunesse et des Sports, respectivement ancien ambassadeur et sénateur,
étaient «pris à partie» pour la photo souvenir. Les jeunes avides de
considération et de reconnaissance profitaient de l'aubaine. Ils étaient tout simplement
heureux, ne serait-ce que l'espace d'un marathon. Yacine Ould Moussa, expert
international en économie et enseignant universitaire, devisait avec les
responsables locaux sur les opportunités de développement du tourisme saharien,
et dont Igli en détient une bonne part. Le dynamique office local du tourisme,
dirigé par M. Boudjemaa Bentayeb, n'a pas manqué de distribuer, à l'occasion,
un dossier promotionnel relatant le site.
A 11h tapantes, la deuxième étape se fera
dans la plaine de Touzdit en longeant, sur 14 kilomètres, le cordon dunaire à
la couleur fauve contrastée par la transparence bleutée du ciel. Cette plaine
alluvionnaire, enserrée par la palmeraie rendue moribonde par la remontée
saline et l'erg sablonneux, aurait une surface agricole utile de 10.000
hectares. Ce sol, potentiellement vierge et riche, pourrait constituer le
grenier alimentaire de tout le Sud-ouest. Les quelques exploitations agricoles
perçues çà et là semblent geindre sous la chape de l'oubli. Il n'est
certainement pas suffisant de soutenir financièrement le bâti rural et le
bassin d'irrigation, mais bien plus que ça. Il s'agira probablement
d'accompagnement technique et d'animation agricole. Les moyens didactiques,
présentement démocratisés, peuvent être avantageusement mis à profit pour
intéresser les jeunes à l'acte agricole. Les timides tentatives individuelles
de régénération des palmeraies en friche, sans les moyens adéquats, ne feront
que conforter la désillusion largement entamée.
La course
débonnaire se déroulera tranquillement sous le regard médusé des femmes
paysannes. Elles suivaient de loin et avec étonnement ces hommes et ces femmes
«à moitié nus». Les compétiteurs d'âge avancé marcheront tranquillement en se
lançant des boutades. L'arrivée, organisée sous l'arche du vieux ksar, était
haute en couleur. Seuls les sponsors majeurs de l'événement tels Mobilis et
Nestlé (eau minérale), fortement présents par leurs logos et gadgets
technologiques semblaient être hors du temps. Ils rappelaient, qu'en ces lieux,
le songe ne sera qu'éphémère. Femmes, enfants et jeunes imberbes festoyaient à
pleins poumons ; l'occasion de sortir du morne quotidien de la platitude était
trop belle pour être ratée. On y entame à pleines dents. Le dépit étant
l'ennemi juré de l'espoir, ils semblaient emmagasiner de la joie. Le tonitruant
baroud, couvrant intempestivement les sons du karkabou et des tambourins,
ajoutait un zeste piquant à la mystique du cérémonial. La transe
transcendantale se saisit en ce moment de communion des individus, y compris
ceux venus d'ailleurs. Elle doit probablement rappeler le vague à l'âme de la
soul music. La preuve en a été cet Australien, de mère jamaïcaine à la coiffe
et la chevelure typiques, en extase. Il n'a pas touché à sa guitare tout au
long du séjour. Heureux, il a dû trouver son compte dans la rythmique des
sonorités locales. A l'issue de la compétition, les autorités locales, menées
par M. M'Hamed Khamlich, le jovial chef de daïra, offraient aux invités un
déjeuner traditionnel à la palmeraie de Sidi Lahcène, à la périphérie d'Igli.
En dépit de la triste mine qu'elle offrait à la vue, la palmeraie, gardant
quand même quelques attraits, est un havre de paix au milieu de l'immensité
désertique. Le trait de génie de l'Office local de tourisme a été celui d'installer
un stand à même le sol des produits de l'artisanat du cru.
Plus loin, cachée
par un bouquet de palmiers, une vieille femme installée près d'un foyer de feu
étalait ses vertus culinaires par la confection d'un mets local fait de pâte et
d'oignon épicé (Khoubzet El B'ssal) qu'elle offrait gracieusement après
cuisson. Les belles jeunes filles, discrètement maquillées et bien mises dans
des costumes traditionnels, présentaient chacune ses outils domestiques de
cuisine ou de tissage. Mme El Alia Bouhalou, qui a organisé l'exposition au
pied levé, avertissait que rien n'était à vendre. Les objets conservés
jalousement font partie des reliques mémorielles de l'homme face à l'adversité
du désert. Il créa ses objets usuels à partir du tronc et des palmes
phoenicicoles et de la peau d'animaux domestiques abattus. Mêmes les jeunes
autochtones ne reconnaissent parfois pas l'objet, encore moins sa fonction. Une
tente de transhumance des Hauts Plateaux et un auvent fait de branchages
étaient dressés au milieu de la clairière sablonneuse. Un copieux couscous
était offert aux convives ébahis par tant de générosité seigneuriale. Les
appareils photo crépitaient nerveusement, on immortalisait l'instant. Le champ
était placé sous l'objectif de Canal Algérie, de la station ENTV de Béchar et
de Nessma TV. Le mouvement associatif, très présent et représenté par des
jeunes, comprenait l'association sportive «El Wiam», dirigée par le sympathique
Touhami Khendouci, l'association des jeunes paysans de Okacha Bensaïd. Fier d'avoir
rencontré à trois reprises M. Alioui, Secrétaire général de L'UNPA à qui il
aurait remis un dossier sur la remontée du sel dans la palmeraie, ce dernier
espère toujours une réaction à sa doléance. L'association de protection des
handicapés, dirigée par Djillali Faradji, biologiste de formation, lui-même
handicapé moteur, qui fait de la prévention de l'invalidité due à l'explosion
accidentelle des mines antipersonnel son crédo, était fortement représentée ce
jour-là. Cette région frontalière souffre encore des champs de la mort qu'a
semés le colonialisme français dans sa rage de réduire la résistance armée. La
tragédie, vieille de plus d'un demi-siècle, fait encore des victimes
innocentes. Le travail méritoire de cette association réside dans la sensibilisation
sur les risques induits par les mines par des affichettes et des spots sur
disque compact. Elle s'est inscrite résolument dans le plaidoyer du PNUD et de
«International handicap» dans le cadre de la Convention d'Ottawa que l'Algérie
a ratifiée depuis une dizaine d'années déjà.
La visite du vieux ksar et la collation
offerte par la municipalité clôturaient cette immersion culturelle dans les
profondeurs de la légendaire Saoura. La découverte de cet autre terreau amazigh
n'était pas sans laisser certains sans voix, devant une telle richesse
culturelle enfouie dans les plis de l'expugnable Erg occidental qui a résisté à
toutes les convoitises. L'oasis n'a été occupée qu'en 1901. En attendant le
Nouvel An et la dernière étape, la caravane du Marathon des Dunes ralliait son
cantonnement à Taghit.
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Posté Le : 06/01/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com