Algérie

Aux sources de l'émerveillement



A Ouacifs se tiendra, du 2 au 5 juillet 2021, la première édition du Salon du livre amazigh, une manifestation dédiée à Mohand Ou Idir Aït Amrane, premier président du Haut-Commissariat à l'amazighité (HCA).Loin de nous l'idée de faire ici un quelconque état des lieux ou d'énoncer quelques perspectives, peut-être, tenterons-nous d'éclairer, un tant soit peu, le visiteur novice en la matière en exhibant certains repères, quelques titres, des noms d'écrivains célèbres pour certains et bien moins pour d'autres, ce qui permettra, je l'espère, de comprendre le remarquable remous actuel.
Même si les premiers écrits remontent à l'aube de l'écriture sachant que l'alphabet berbère est l'un des plus vieux au monde (encore usité à ce jour chez les Touaregs, sur toute l'étendue du Sahara où des gravures rupestres attestent de ce grand âge), les premiers «livres» à vrai dire sont ceux du roi Juba II, puis d'Apulée de Madaure qui fut le premier romancier de l'humanité. On dit que le premier écrivit en grec et le second en latin, mais ce sont les Grecs et les Latins qui le disent ! Nous retrouvons dans le parler amazigh d'aujourd'hui, notamment en Kabylie, des tournures et des expressions présentes seulement chez Apulée et absentes dans les langues latines... Il faut parfois aux linguistes un effort d'imagination extrême pour comprendre les étymologies qui y mènent en omettant l'origine amazighe ! Plus tard avec la conquête musulmane de l'Afrique du Nord, au VIIe siècle, d'autres auteurs écrivirent, préférant les lettres arabes, subjugués par la calligraphie du Coran, des volumes dédiés à la pratique de la nouvelle religion à l'exemple de Kitab El Barbaria dont la rédaction débuta au VIIIe siècle et qui contient toute une littérature amazighe malgré l'apparente «arabité» du document.
Il est vrai que la culture amazighe fut principalement orale mais cette oralité a toujours montré une résistance et une persévérance qui rivalisent assez bien avec l'écrit, certains érudits, à l'exemple de l'islamologue Mohammed Arkoun, parlent d'«Orature», un mot qui mélange la poésie de l'oralité et la mémoire de l'écriture. Il faut souligner l'étonnante mémoire de la culture amazighe qui perdure depuis l'aube de l'humanité et qu'on ne cesse de retrouver dans les contes et la poésie ancienne qui bénéficie d'une aura sans égale parmi la population. Aura bousculée par les nouvelles technologies de l'information et de la communication comme partout ailleurs dans le monde.
La première fois, semble-t-il, que le lettré amazigh s'intéressa réellement à l'écriture dans sa langue même, fut vers le début de la période coloniale avec les premiers instituteurs à l'exemple de Mohand-Saïd Boulifa et Bensdira puis vient une période que l'on pourrait qualifier d'heureuse puisque des missionnaires surtout et des militaires s'intéressent fortement à la littérature orale, ce qui permit de fixer une quantité non négligeable des productions de l'époque et des périodes antérieures. C'est grâce à ces travaux que nous connaissons des textes sublimes de poètes anciens !
Pour souligner l'importance de ces travaux, il faut noter que c'est l'interdiction d'une conférence de feu Mouloud Mammeri intitulée «Poèmes kabyles anciens» qui fut le déclencheur de ce qui devint «le Printemps berbère». D'abord, les étudiants de l'université de Tizi Ouzou sortirent dans la rue manifester leur mécontentement bientôt suivis par toute la population. Le pouvoir en place, pris de panique, réprima sévèrement en emprisonnant les meneurs qui, par la suite, constituèrent le fer de lance de l'opposition politique mais aussi l'élite intellectuelle qui se mit à produire une littérature d'abord militante !
A la fin du siècle dernier, on retrouve des éditions amateurs principalement de poésie et de brûlots politiques souvent à compte d'auteur ou dans des éditions clandestines quand ce ne sont que de simples copies des fameux FDB (Fichiers de documentation berbères).
Avec la conquête de l'école, tamazight eut vite besoin de supports pédagogiques. Très peu de romans existaient en cette période, il fallait donc produire ; des militants s'attelèrent à la tâche et une institution a vu le jour, dans la douleur, après une année scolaire blanche, il s'agit du HCA, Haut-Commissariat à l'amazighité, qui se propose d'éditer des livres et des revues sans que cela soit explicitement sa tâche. C'est ainsi qu'on assiste à la naissance d'une multitude d'?uvres principalement poétiques au début mais qui vont se diversifier au fil des années.
D'abord des traductions, qui sont en réalité des restitutions car ce sont des ?uvres pensées en tamazight à l'exemple de Jours de Kabylie de Mouloud Feraoun qui, écrite en langue française, peut en vérité toucher chaque être humain mais ne peut réellement ébranler le lecteur que si celui-ci est amazigh ou, mieux encore, que s'il est kabyle.
Le HCA s'est vite vu dans l'obligation d'installer une commission de lecture devant l'impressionnant nombre de manuscrits qui lui parvenaient et c'est tout naturellement que des éditeurs commencèrent à s'intéresser à ce marché aux potentialités avérées.
Actuellement, presque toutes les éditions d'Algérie s'intéressent au livre amazigh, un marché existe, une demande d'année en année toujours plus grande du fait de l'augmentation des sortants de l'école avec des diplômés en tamazight ou ayant des aptitudes et penchants vers cette langue. C'est un marché prometteur et en pleine expansion.
Cependant, il faut souligner le «presque» car la question du livre amazigh est étroitement liée à la question identitaire et celle encore plus épineuse du «projet de société». Des idéologues trouvent encore beaucoup d'attraits à la pensée unique et donc à la langue unique qui, de surcroît, se trouve être celle du Livre saint : le Saint Coran. Il leur est facile de créer l'amalgame et de stigmatiser cette culture ancestrale pour la classer dans la catégorie «impie» ; preuve, s'il en faut : sa calligraphie empruntée au colonisateur honni ! Il faut savoir que la grande majorité des travaux effectués en tamazight est rédigée dans ce que les gens appellent le caractère latin qui s'imposa de lui-même aux pionniers que furent Boulifa et surtout Mouloud Mammeri qui en composa la grammaire. Ce caractère qui lui sied techniquement ne plaît pas à ses détracteurs qui voudraient imposer le caractère arabe sans y parvenir, toutefois.
Le caractère arabe aurait le pouvoir de consolider les liens entre les différentes composantes culturelles de l'Algérie en plus d'avoir le label «halal» mais qui, dans la réalité, freine le développement de la langue puisque l'alphabet arabe n'arrive pas à rendre la richesse des sonorités de tamazight et ne peut prendre en charge toutes ses variantes sans porter atteinte aux sens et à la beauté de la langue. Quand on sait que l'immense majorité des producteurs, écrivains, poètes, universitaires, étudiants et collégiens utilisent le caractère latin, on comprend vite que derrière le v?u de l'adoption du caractère arabe se cache en réalité un v?u d'affaiblissement et un ralentissement de ce formidable essor que connaît la production en langue amazighe.
Heureusement que, d'un autre côté, nous assistons à la naissance de plusieurs prix littéraires qui n'interdisent pas encore le caractère latin et qui font la promotion de l'écriture en tamazight, et c'est ainsi que nous assistons à une véritable prolifération d'?uvres romanesques.
Beaucoup de nouvelles thématiques sont abordées à l'exemple de la condition de la femme ou de l'émigration ainsi que le phénomène de la harga qui consiste à tenter l'aventure de traverser la Méditerranée sur des barques de fortune.
Ailleurs qu'en Algérie, nous avons l'expérience marocaine tout aussi riche en titres mais qui commit l'erreur de s'investir dans le caractère tifinagh qui, certes, est le plus authentique et pour beaucoup le plus esthétique, mais qui n'arrive pas à répondre aux exigences de la modernité et de l'imprimerie.
Le tifinagh reste très faiblement aménagé du fait de son utilisation encore d'actualité par la population targuie qui maintient ces différences sans pouvoir arriver à un consensus. Et même si consensus il y a, plusieurs problèmes doivent trouver des solutions au plus vite, par exemple, l'absence de cursive, l'impossibilité de la ponctuation, l'absence de majuscules... Autant de freins et d'entraves pour un bon développement qui ont poussé naturellement les écrivains, romanciers, poètes et autres producteurs à adopter le «tamaâmrit» nom dérivé de Mammeri en hommage à ce grand homme qui, le premier, dota tamazight de grammaire.
Tamaâmrit est, en réalité, l'API, alphabet phonétique international qui permet aux locuteurs kabyles, chaouis, mozabites, chleuhs, touaregs et autres de s'exprimer dans une langue ancestrale et ô combien belle ! A Ouacifs, du 2 au 5 juillet 2021, se tiendra la première édition du livre amazigh dédiée à Mohand Ou Idir Aït Amrane, premier président du HCA et auteur du célèbre hymne Ekker a Mmi-s Umazigh. Edition voulue par l'Association El Hadj El Mokhtar At Sayd et réalisée grâce à un commissariat présidé par l'auteur universitaire Hacène Halouane, secondé par une pléiade d'artistes et de militants de la région et même d'ailleurs à l'exemple de l'infatigable éditeur Firas El Djahmani des éditions Imtidad et Atfalouna.
Les généreux sponsors de l'évènement que sont Cevital, le sponsor majeur de l'événement, Ifri, Lys évènementiel, Noven com, Darfal, Anafroid et d'autres, ainsi que les communes de la daïra de Ouacifs, avec une mention particulière pour la commune d'Aït Boumahdi dont le maire ne cesse de nous étonner par sa disponibilité et son efficacité ; l'indéfectible soutien de la Direction de la culture de Tizi Ouzou qui accompagne l'équipe du Salon depuis l'idée jusqu'à la concrétisation ; la contribution, le soutien amical et efficace du HCA et l'implication de l'APW de Tizi Ouzou font des préparatifs de cet évènement une fête chaque jour renouvelée en attendant l'ouverture ! «Win i ten-is?an deg udrar ur ittagad azaghar», disent les membres du comité d'organisation en guise de remerciements à tous ceux qui contribuent pour concrétiser ce rêve !
Beaucoup d'éditeurs et d'auteurs demandent s'ils peuvent participer avec des ?uvres écrites dans d'autres langues. Les organisateurs ayant débattu de la question durant des jours ont fini par admettre qu'une littérature florissante dans d'autres langues ayant pour thématique principale tamazight ne peut être exclue du Salon. Donc bienvenue à tous ! De tout temps terre d'accueil et d'hospitalité, tout en restant fidèle aux origines, Ouacifs souhaite la bienvenue aux femmes et aux hommes de lettres dans toutes les langues du monde et invite le public à venir nombreux s'abreuver aux sources de l'éveil culturel, prélude au progrès et autres merveilles...
Djamel Laceb (correspondance particulière)


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