Le caftan, cette tenue originaire d’Asie Mineure fut jadis portée par les anciens peuples de la Perse antique. Plusieurs études menées sur les tenues des anciens peuples de l’Asie mentionnent l’existence du caftan, l’étude du docteur Knauer Elfriede R. précise en effet que les peuples de la Perse antique jusqu’au nord de la Chine et de l’Inde portaient de long manteau fendu en deux. C’est le cas des Perses achéménides et sassanides mais aussi des nobles Parthes, des Scythes et des tribus turcs ou encore des Tokhariens du Turkestan oriental(Chine). Au fil du temps les Perses ne cesseront d’innover cette longue tenue en lui apportant de nouveaux tissus venus de toute l’Asie, cette longue tenue sera alors connue sous le nom de khaftan(خفتان) qui sera repris par la suite par les tribus turques donnant à leur tour le nom de biçilmiş kaftan. Avec la création puis le rayonnement de l’Empire Ottoman le caftan évoluera selon les goûts et les modes importées d’Europe et d’Asie, cette évolution suivra son cours dans un autre continent qui sera l’Afrique à partir du XVIème siècle lorsque l’Algérie dépendait d’Istanbul. Ainsi le génie des artisans algériens donneront un nouvel aspect au caftan venu d’Asie en lui incorporant des motifs luxueux hérités du faste des anciennes dynasties berbero-arabes. Par la suite plusieurs types de caftans feront leur apparition en Algérie, tout en respectant le patron originel c’est-à-dire une longue tenue ouverte en son centre. Le caftan algérien charmera la plus haute société algérienne mais aussi celle du Sultanat de Fès(actuel nord du Maroc) suivant la mode vestimentaire venue d’Algérie, il faudra attendre le milieu du XIXe siècle pour que le caftan soit popularisé chez les populations du Sultanat de Fès par le biais des immigrations massives de familles algériennes venues chercher refuge pour fuir la colonisation française.
Le caftan un vêtement exclusivement féminin ?
Il est encore d’actualité de penser que le caftan est une tenue vestimentaire réservée aux femmes, or, cela serait une falsification historique de continuer à penser ainsi. L’introduction du caftan en Algérie se fera par la gent masculine. Au départ le caftan masculin était une fine veste en brocart ou velours avec des motifs somptueux et parfois même des galons d’or pour les souverains les plus coquets, à l’instar du sultan Hadj Hussein dit MezzoMorto qui se fera faire une panoplie de caftan sous son règne en 1683. Au fil du temps, le caftan sera de plus en plus popularisé, de ce fait les caïds des tribus algériennes porteront ce vêtement avec différents motifs autochtones brodés en fetla ou/et mejboud tels que les ovoïdes situées au niveau du buste, évoquant une paire d’yeux.
Les différents caftans d’Algérie
Le caftan en velours ou « qaftane dziri » : de par sa coupe est l’ancêtre du caftan moderne porté par les femmes algériennes. Il est fait en velours de couleur bordeaux, noir, rouge, violet ou parfois vert. Ce caftan est conçu avec différentes types de broderies traditionnelles comme : tarz fetla, tarz houachi, tarz majboud, tarz zlabia… Parmi les caftans en velours nous pouvons distinguer :
Le caftan du juge ou « qaftan el cadi » confectionné dans du velours noir ou vert foncé reconnaissable par ses manches longues et étroites. Il est souvent brodé au tarz majboud et rarement au tarz fetla avec de nombreux symboles algériens dont le plus courant est les paons d’or. Ce type de caftan était autrefois porté par les juges de jurisprudence islamique et fut surtout produit dans les villes d’Alger, Annaba, Constantine, Nedroma et Tlemcen. Il sera par ailleurs introduit en 1830 dans la ville de Fès au Maroc par les réfugiés algériens de Tlemcen et Mascara dit Ahl Tlemsan fuyant le début de la colonisation française. Les maîtres artisans de Fès appelleront ce caftan : « qaftan b tarz dziri », littéralement « caftan à la broderie algérienne », comme pour rappeler l’origine de ce somptueux caftan.
Le caftan du dey ou « qaftan el dey », ce caftan fut uniquement réservé aux deys d’Algérie qui gouvernèrent le Sultanat d’El Djazaïr, désignant l’ensemble de l’actuel territoire du nord de l’Algérie(1515-1830). Les deys étaient reconnaissables par ce caftan de velours rouge avec des motifs brodés au fil d’or pur parfois imposant et dont les manches étaient toujours longues et évasées. Il sera peu à peu adopté dans les gardes robes des femmes citadines algériennes surtout celle de Constantine
Le caftan mi-long ou « qat » qui est originaire de la ville d’Annaba, confectionné dans du velours de Gênes qui a la caractéristique d’être violet autrefois troqué par les sultans de la dynastie des Hafsides avec du corail rouge des récifs d’Annaba anciennement Bouna. Ce caftan intègre l’ensemble de la grande tenue nuptiale d’Annaba qui est la dlala. Par ailleurs la particularité de ce caftan est qu’il atteint de par sa longueur les mollets et possède des manches très courtes auxquelles leur sont ajoutées des manches en tuiles ou en soie brodées.
Le caftan court ou « a’rftan » désigne le caftan originaire de la ville de Tlemcen qui est confectionné dans du velours de couleur bordeaux ou rouge cerise, parfois vert ou violet et rarement de velours noir et bleu. Il est intéressant de faire notfier que le caftan de Tlemcen est très proche du qat d’Annaba. De plus ce caftan reste très prisé par les femmes marocaines de la ville d’Oujda, une ville et sa région très marquée par l’influence culturelle algérienne dans tous les domaines(culinaire, musicale, vestimentaire…). Par ailleurs le caftan entre dans la composition du costume nuptial de la mariée de Tlemcen qui est la lebset el arftan, tenue classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.
Le caftan long est sans doute celui qui a le plus inspiré la modernisation du caftan porté actuellement par la femme algérienne. Ce caftan long était autrefois porté par les femmes citadines du nord de l’Algérie, la mariée d’Alger se devait intégrer ce caftan dans sa tenue nuptiale appelée sarma, du nom de la coiffe en or filigrané. Dans la ville de Tlemcen, ce caftan porte le nom de « qaftane el sder » traduit par « caftan du buste ».
Le caftan en brocart : il s’agit d’un caftan conçu dans du brocart aux motifs fleuris fait de fil de soie colorée ou de fil d’or. Autrefois le brocart était tissé par les artisans des foyers citadins d’Algérie, en matière de qualité les artisans des villes d’Alger, Annaba, Bejaia, Constantine, Mostaganem et Tlemcen possédaient une maîtrise inégalée dans la confection du brocart, élaborant par ailleurs d’autres tenues traditionnelles telles que la ghlila, la frimla, le karakou, le chamsa, la abaya… Contrairement aux autres caftans d’Algérie, les caftans en brocart possèdent la caractéristique d’avoir des manches évasées et de longueurs différentes soit longues, mi-longues ou courtes. Les manches courtes sont complétées par des manches en tuiles brodées qui sont raccordées par des agrafes métalliques dont la longueur diffère selon les classes sociales. L’autre caractéristique importante à relever sur ce type de caftan est qu’il possède peu de motifs brodés outre ceux situés au niveau du buste dont ce dernier est garni de soutaches(galon fin et sobre) et de passementerie au fil d’or. Il a la particularité d’avoir des boutonnières des deux côtés, ce qui permet de mettre en valeur la ghlila portée en dessous. Il existe plusieurs type de brocart dont les plus rependus sont le khirbi se distinguant par sa couleur jaune et le bahja au motif fleuri et coloré.
Le caftan en laine fine : ce caftan se portait durant les rudes périodes d’hiver, moins onéreux que le caftan en velours ou celui de brocart, il permettait à certaines femmes de classe modeste de posséder un caftan. Il n’est pratiquement pas orné de motifs.
Caractéristiques traditionnelles des caftans d’Algérie
Les caftans d’Algérie sont reconnaissables d’une part avec plusieurs motifs issus de la tradition algérienne d’autre part issu de l’héritage ottoman. Voici quelques éléments dont les caftans doivent être constitués :
La sfifa, senta ou senla désignant des bandes fabriquées au fil d’or ou au fil de soie dont nous apercevons tout au long de l’ouverture du caftan et sur les épaules.
Les boutons d’or dit la’akad servant à fermer ou ouvrir le caftan. Ces boutons sont fait en fil de soie.
Les mhirzette ou ‘aouinet désignant les formes ovoïdes ou triangulaires situées au niveau de la taille pour les hommes et au niveau de la poitrine pour les femmes. Ces formes ovoïdes que nous retrouvons sur d’autres tenues traditionnelles algériennes permettaient selon les croyances populaires de se protéger contre le mauvais œil d’où leur nom de mhirzette venant de hrouz(talisman coranique), les mhirzette étaient accompagnés de poches intérieures dans lesquelles étaient placées des pétales de fleurs avec des talismans protecteurs. Ces formes avaient aussi pour fonction de distinguer la population autochtone d’Alger de la population ottomane. Dans le Maghreb, nous retrouvons uniquement ces motifs dans les villes du nord du Maroc plus précisément dans la ville de Tétouan, surnommée la « fille d’Alger », ceci s’explique par l’importante immigration algérienne vers le Sultanat de Fès(actuel nord du Maroc) lors des prémices de la colonisation française, cette immigration se fera en deux dates importantes l’une en 1830 et l’autre en 1911. Les algéroises affecteront subitement le costume de Tétouan en popularisant le caftan au nord de l’actuel Maroc.
Le tachouiq, au pluriel tachouiqet sont un élément décoratif que nous pouvons apercevoir sur le coin de l’ouverture du caftan. Cet élément est un héritage ottoman servant de balance car il permet d’égaliser le poids de la broderie située sur le buste du caftan. Plus le buste est brodé plus les tachouiqet sont importants.
Les « dents de soie » ou sninet hrir se retrouvant à l’intérieur du caftan, plus le nombre de dents est important plus l’importance du statut social de la porteuse du caftan l’est. Lors des célébrations festives les femmes citadines algériennes remontaient le coin du caftan et l’attachaient au hzem(large ceinture) pour montrer leur statut social.
Le caftan algérien par les peintres orientalistes
Les peintres orientalistes du XIXe et XXe siècles furent émerveillés par l’Algérie d’antan, une Algérie héritière d’un passé riche, se reflétant par des palais à l’architecture islamique mais aussi des scènes de vie riche en couleurs et animation. Ces peintres venus pour la plupart d’Europe étaient subjugués par la beauté que reflétait la femme algérienne avec ses différentes tenues d’apparat, ils immortaliseront ce qu’était le savoir algérien d’antan. Avec la sanglante guerre qu’a éclaté en Algérie plusieurs familles algériennes immigreront au nord du sultanat de Fès, elles rejoindront en particulier les villes de Tanger et Tétouan en amenant avec elles leurs us et coutumes mais surtout le caftan d’Algérie. Certains peintres furent épris par le caftan algérien tel que Jan-Baptist Huysmans, Georges Clairin, Louis-Auguste Girardot, Ferdinand Roybet ou encore Jean François Portaels, ils peigneront leurs muses algériennes et leur sublime costume d’apparat, de ce fait certaines toiles mentionnent le lieu de la peinture mais aussi l’origine de la femme peinte étant souvent algérienne.
Le caftan algérien en pleine modernisation
Les artisans algériens ont su préservé les codes essentiels requis a l’élaboration des caftans d’Algérie : une broderie fine, du tissu de qualité et des motifs que nul ne sait reproduire sur un patron inchangé hérité de la Perse antique. Autrefois pesant par le poids des passementeries et des broderies en or pure, les caftans algériens vont connaitre pour la plupart une modernisation au cours du temps, cette modernisation fera ses preuves des le début du XXe siècle et connaîtra un succès fulgurant au près de la gente féminine algérienne, cette modernisation ne cessera de séduire les femmes les plus raffinées recherchant un caftan plus léger épousant leur silhouette. Les stylistes incorporons différent matériaux au caftan moderne algérien tels que les pierres de Swarovski, des perles de cultures, du fil de soie coloré pour la sfifa…
Références :
Le vêtement des nomades eurasiatiques et sa postérité, Dr. Knauer Elfriede Regina, 1999.
Les migrations des musulmans algériens et l’exode de Tlemcen(1830-1911), Charles-Robert Ageron, 1967.
La broderie au fil d’or à Fès: Ses rapports avec la broderie de soie, ses accessoires de passementerie., A.M. Goichon, 1939.
Le costume traditionnel algérien, Pradette Pichault, 2008.
L’encyclopédie maghrébine, Achour Cheurfi, 2007.
La pénétration culturelle étrangère dans le Nord-Est marocain, Dr. Abdelkader Guitouni.
Les rites et les savoir-faire artisanaux associés à la tradition du costume nuptial de Tlemcen.
Algéroises. Histoire d’un costume méditerranéen, Leyla Belkaid, 2000.
Archives marocaines, Ernest Leroux, 1933.
Pensées sur Tlemcen d’autrefois, Kossay Zaoui, 2016.
https://terroirdalgerie.wordpress.com/
Crédit photo: l'Algerie un grand pays d'une grande beauté
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Posté Le : 02/12/2021
Posté par : tlemcen2011