Algérie - Nasser Bakhti

Aux frontières de la nullité



Arrivent parfois sur nos écrans des films tellement mal ficelés qu'ils font pitié. Comme ils n'émanent pas de quelque star de la télé qui fait la tournée des plateaux fier comme un coq sous les vivats de promoteurs serviles et comme on n'est pas des salauds, on n'a pas envie de les étriller. Le meilleur service à rendre à ces ratages pathétiques, qui sont souvent l'aboutissement d'une démarche personnelle longue, sincère, épuisante, c'est le silence.

Etabli à Genève, Nasser Bakhti produit des films "avec le souci de toujours porter un regard sur l'homme et ce qui l'entoure". Noble intention. Il a réalisé Aux frontières de la nuit dans cette optique. Il raconte vingt-quatre heures dans la vie de cinq personnages archétypaux: Hans, flic approchant de la retraite, Dan, son co-équipier qui "se débat entre préjugés et découverte de l'autre", Adé, Malien sans papier qui sera expulsé à l'aube, Momo, Algérien fêtant ses 30 ans dans la solitude, et Claire en quête d'une dose de poudre et d'une figure paternelle… C'est, selon le dossier de presse, "des êtres qui se cherchent en tentant de panser leurs bobos intérieurs". Autrement dit, de navrantes caricatures (ne pas oublier l'abject dealer et le pizzaiolo au grand cœur) qui se la jouent Geneva Police Department Blues au gré d'une intrigue décousue, dans un alignement de clichés dont même Navarro ne veut plus, et sur un rythme narratif digne de Derrick.

Bon, on oublie, on tait pudiquement ce cafouillage pétri de bons sentiments humanistes.

Seulement, voilà un des comédiens qui envoie des mails enjoignant la presse à encourager le public à se précipiter dans les salles. Il adjoint à son message quelques bribes critiques, selon lesquelles le film " tisse l’errance urbaine et la dérive intérieur qui peuvent toucher n’importe qui, n’importe où, n’importe quand", qu'il s'agit d'"Un véritable thriller du réel", dépeignant sans concession une réalité crue et pourtant bien réelle. Des Acacias aux Pâquis en passant par la gare, ce film prend des airs de fresque sociale et dessine une ville douce-amère où les vérités ne sont pas faciles à exprimer."

Encore plus fort: "Le cinéma suisse se porte bien! Preuve en est le dernier film de Nasser Bakhti dont le slogan pourrait être «Genève comme vous ne l’avez jamais vue à l’écran». Ben voyons… Si c'est ça le cinéma suisse, alors il faut retirer la prise tout de suite. Et qu'on ne vienne pas nous dire qu'on a jamais vu le revers de la Genève internationale: de Retour d'Afrique à Fragile, on a plus souvent vu au cinéma la froideur hivernale de la cité de Calvin que son horloge fleurie...

L'argument le plus vertigineux et le plus malhonnête consiste à inscrire le navet bien-pensant dans la perspective des votations fédérales du 24 septembre: "Et surtout, n'oubliez pas d'aller voter !!!! Si vous ne savez pas quoi voter... Allez voir le film !!!", s'enthousiasme le comédien.

Mais qu'est-ce que c'est cet argument émotionnel fallacieux? Voir un flic manger un kebab ou Momo écrabouiller son gâteau d'anniversaire dans un geste de révolte existentielle va-t-il infléchir en quoi que ce soit le débat? S'ennuyer au cinéma va-t-il assouplir la politique de l'asile? Scandaleuse foutaise!

Et si vraiment il vous faut un film pour admettre que les étrangers ne sont pas tous des cannibales pestiférés, allez voir Das Fräulein d'Andrea Staka. Un film brillant, maîtrisé, témoignant lui effectivement de la santé du cinéma suisse.




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