Algérie

Autopsie d'une révolte ultime



Ayant fait sensation aux 16es Rencontres cinématographiques de Béjaïa en septembre et au Festival du cinéma d'Alger en novembre, Nar est un documentaire poignant et mélancolique sur la détresse d'une jeunesse trahie.De Constantine à Alger, en passant par Jijel et Khenchela, la réalisatrice sillonne une géographie de plaies et de colères et va à la rencontre de citoyens(es) ayant fait directement ou indirectement l'expérience de l'immolation par le feu. Alors que les chansons de Ouled El Bahdja et notamment La Casa del Mouradia fusent en arrière-plan, la caméra déambule entre des visages marqués, des corps abîmés et des destins brisés. Qu'ils aient été personnellement au contact du feu ou qu'ils aient perdu un proche, les personnes interviewées par Meriem Bouakkaz incarnent à la fois la colère sourde qui a fermenté, pendant des années, le soulèvement populaire de février et les multiples facettes d'un drame social dont on ne voit toujours pas la fin.
La réalisatrice n'entend pas atténuer la réalité mais ne tombe pas non plus dans le sensationnalisme ou le pathos. A l'image de ses interlocuteurs et de leurs douleurs, son film tangue constamment entre pudeur et révolte avec un parti pris formel qui joint le cinéma direct à la chronique urbaine. Le film commence d'ailleurs par une image choc filmée par un témoin lors de l'immolation d'un jeune homme à Jijel. La vidéo donne le tempo d'un documentaire sans concession qui questionnera en profondeur cette blessure béante qui n'en est pas moins un acte politique. Survivants, amis ou famille de victimes, ils diront à la réalisatrice l'ampleur du désastre qui ronge des milliers d'Algériens dépossédés de leur dignité. Ainsi se dessine le visage d'une jeunesse inflammable qui se greffe peu à peu sur celui de tout un pays où l'injustice sociale, l'arbitraire et le hold-up sur les richesses ne laissent aucun choix aux couches les plus défavorisées que de fuir ce monde de la manière la plus brutale.
L'immolation par le feu devient donc la dernière tentative de reconquérir cette dignité bafouée et de transformer ses propres cendres en terrain fertile pour de futures révoltes. Mourir dans de telles souffrance ne relève ni du masochisme ni d'une lecture purificatrice sur le pouvoir du feu, mais bel et bien d'une démarche politique qui consiste à «corriger» la somme de silences, de concessions et de résignation de toute une vie en y mettant fin dans le plus grand fracas. Ainsi, l'immolé n'est plus un suicidé ordinaire mais devient la victime d'un assassinat perpétré par le régime en place. Sensible, sobre et percutant, Nar n'élude pas la cruauté de son sujet et tente de disséquer ce point de non-retour qu'est l'immolation par le feu, sans jamais céder au misérabilisme. D'où sa force.
Sarah H.


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