26/03/2009
CONVERSATION PRIVÉE AVEC ISABELLE AUTISSIER SUR LE DEVENIR DE NOS OCÉANS / WWF
Elle est la première femme à avoir accompli un tour du monde à la voile en solitaire.
A son palmarès, le record de la course avec équipage New York-San Francisco par le Cap Horn qu'elle pulvérise en 1994. Mais surtout, cette addict du grand large livre un combat sans relâche face à la dégradation de nos océans, profitant de son exposition médiatique pour témoigner de la gravité du péril et de l'urgence d'agir.
Avec des mots aussi forts que francs, Isabelle Autissier nous livre son point de vue de navigatrice mais aussi d'halieute, savant mélange de craintes et d'espoirs pour l'avenir de la grande bleue.
Quel a été votre déclic écolo?
Je ne crois pas qu'on puisse réellement parler de déclic. Pour moi, il s'agit plus d'un cheminement. On ne se réveille pas un matin en se disant « la planète va mal, il faut changer notre façon de vivre ». On en prend conscience, petit à petit, sur le long terme. Mon intérêt pour la mer remonte à loin. Ingénieur halieute, je me suis toujours intéressée au sort des océans et aux questions liées à la vie océanique, sur le littoral. Mais c'est vrai que c'est peut-être en tant que navigatrice, dans la lente observation des nuages et des vagues, que j'ai le plus pris conscience de la nécessité de vivre en synergie avec la nature. Contrairement à ce que beaucoup de gens me disent, je ne me suis pas battue contre la mer mais avec elle. C'est cette plus ou moins bonne aptitude à comprendre mon environnement qui m'a fait perdre ou gagner. Quand tu es seul sur ton bateau, en pleine mer, tu comprends de façon instinctive qu'il est crucial d'être en phase avec les éléments. C'est une telle question de survie que cette vérité inébranlable te saute à la figure. Ta seule chance de ne pas y rester, c'est de t'adapter à ce qui t'entoure et de respecter cet environnement. Pourquoi nous ne parvenons pas à en prendre conscience sur la terre ferme ? A chaque fois que j'accostais, c'était la même stupeur et le même sentiment amer que quelque chose ne tourne pas rond. Cette sensation âcre d'asymétrie et de dissonance entre la nature et les hommes n'a cessé de s'étoffer, faisant peu à peu grandir la révolte en moi …
Totalement ralliée à la cause environnementale, vous siégez au sein du CA de l'association des amis du WWF. Pouvez vous revenir en quelques mots sur ces engagements ?
J'avais envie de « rentrer dans le dur », au delà des discours de sensibilisation et des témoignages un peu alarmistes que je livre au travers de mes expéditions. Ce qui me plaît dans le WWF, c'est cet équilibre entre la dénonciation et l'action. Je pense que râler, c'est indispensable. Il faut faire des manifestations, interpeller, réveiller les consciences. Mais au delà de sonner la tirette d'alarme, on doit être capable de proposer des alternatives concrètes pour construire, pour avancer. Je fais partie de ceux qui pensent que dans le domaine de l'écologie, il n'y aura pas de grand soir. Les choses, c'est maintenant qu'il faut les faire. Chacun à sa portée, en fonction de ses moyens. L'initiative des particuliers doit créer l'émulation afin d'inciter la masse dans un effet « boule de neige ». Et dans le combat du WWF au quotidien, je retrouve cette vision à la fois pragmatique et positive. C'est pour cela que j'ai choisi de rejoindre le conseil d'administration de l'association des amis du WWF, il y a un peu moins d'un an. J'occupe donc une fonction assez formelle au sein de l'ONG qui consiste surtout à apporter un regard extérieur, gage d'ouverture et garant d'impartialité. Mais j'ai aussi, de par ma notoriété, un rôle d'ambassadeur au sein de l'association. Parce que je suis connue, les gens ont tendance à m'écouter. Je dispose donc d'un certain pouvoir que je n'ai pas envie de gaspiller. C'est pour ça que j'ai décidé de le mettre au service des deux causes qui me tiennent le plus à cœur : la protection de l'environnement et la défense des droits de l'homme. Il me semble que ce sont deux engagements complémentaires. Parce que pour que l'être humain se développe, il faut une nature en bonne santé et un corpus de droits. Vivre de façon décente c'est évoluer dans un environnement sain et jouir, sans entrave, de la liberté d'exister ensemble.
La mesure à prendre d'urgence ?
La question de la pêche est très préoccupante, non seulement parce qu'elle dissimule d'énormes enjeux économiques mais aussi parce qu'elle semble avoir déjà atteint un point de non retour. Difficile de ne pas s'angoisser quand on pense aux effondrements spectaculaires de pêcheries comme celle de la morue sur les bancs de Terre-Neuve. Aujourd'hui, les pêcheurs sont dans une impasse, une impasse que nous avons politiquement laissé s'établir et dont nous avons ignoré les conséquences. Nous devons garder à l'esprit une chose essentielle : on ne produit pas du poisson, on le chasse ! La ressource étant limitée, nous devons nous adapter au rythme de renouvellement naturel et de grossissement des espèces. A mon avis, le salut ne viendra pas du cadre législatif. D'abord parce qu'on ne peut pas mettre un flic derrière tout le monde. Ensuite, parce que le seul moyen d'amorcer un changement durable c'est de convaincre les acteurs du bien fondé de ce changement. Face à l'épuisement de la ressource halieutique, un seul moyen : persuader les pêcheurs que les écologistes ne sont pas leurs ennemis pour que tous les acteurs de la filière travaillent ensemble à l'élaboration de modes de pêche durables. Sans adhésion profonde à l'idée que la mer n'est pas une source intarissable, le fléau de la surpêche continuera de faire rage…
Malgré tout, je garde espoir ! Parce que si c'est vrai que la terre, comme la mer, vont plutôt mal, force est de reconnaître qu'on n'a jamais assisté à une progression aussi rapide des idées.
Quand je suis revenue de ma première expédition en Antarctique, les deux questions récurrentes étaient de savoir si je n'avais pas eu trop froid ou trop peur dans ces contrées hostiles. A peine cinq ans plus tard, les préoccupations avaient totalement changé. Sur toutes les lèvres, la même question : « est ce que ça fond ? ». Preuve que tout n'est pas perdu ! Moi qui suis d'un pessimisme actif, je demeure convaincue que l'humanité sait, quand vient l'heure d'agir, utiliser toute son énergie et son savoir pour défendre ce qui lui tient à cœur. Alors allons y, n'attendons plus !
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Posté Le : 25/06/2011
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Source : Entretien avec WWF du 26/3/2009