Algérie

« Aucun mur n'est assez haut pour eux »


« Aucun mur n'est assez haut pour eux »
Serge Daniel est le correspondant de l'AFP et de RFI au Mali. Il a mené une longue enquête sur l'émigration subsaharienne, une expérience vécue totalement en immersion et qu'il relate dans un livre poignant, Les Routes clandestines (Hachette littérature, 2008).  Serge Daniel, vous avez vécu, de l'intérieur, l'expérience migratoire subsaharienne et vous avez écrit un livre saisissant à ce propos. Pouvez-vous nous parler un peu de la genèse de ce livre ' L'idée de départ était le sempiternel débat franco-français ou européo-européen, sur ceux qu'on appelle les immigrés. Je me suis dit il y a quand même une pièce qui manque au puzzle, à savoir les immigrants eux-mêmes : comment font-ils ' Qui sont-ils ' Pourquoi sont-ils là ' Je me suis donc rendu compte très tôt qu'il fallait voyager comme eux, en empruntant ce qu'on appelle les routes de l'immigration clandestine. J'ai traversé comme cela une quinzaine de pays africains. J'ai tout de suite réalisé que c'était un phénomène complexe et que pour accompagner les émigrés clandestins, il faut deux éléments essentiels : il faut forcément des transporteurs et il faut aussi un passeur, quelqu'un qui, généralement, a un droit de vie et de mort sur le clandestin. Cette expérience a duré quatre ans, mais pas d'affilée. Je rencontrais par exemple un clandestin au Nigeria, je le retrouvais ensuite en Côte d'Ivoire, puis je dans le sud du Mali. Ils menaient leur vie, je menais la mienne. Voilà.  Pouvez-vous reconstituer pour nous l'itinéraire de votre périple africain ' Le point de départ a été Lagos (Nigeria). Il faut savoir que sur trois ressortissants de l'Afrique de l'Ouest, deux sont nigérians, ceci en raison sans doute du poids démographique de ce pays. Les migrants se servent de faux documents et le fief des faux documents demeure le Nigeria. J'ai vu à Lagos, par exemple, des petites industries pour fabriquer de faux passeports. Comme les ressortissants du Mali n'ont pas besoin de visa pour entrer en Algérie, le passeport malien est le plus demandé. Pour revenir à mon itinéraire, je suis donc allé au Nigeria, puis au Bénin, ensuite au Togo, après en Côte d'Ivoire, puis au Burkina ; j'ai continué jusqu'au Niger, je suis revenu au Mali, de là, je suis entré en Algérie, puis je suis redescendu en Mauritanie, et de là je suis allé au Maroc. Ma destination finale était Tétouan. Et de là, je suis entré officiellement en Espagne. Ce qui m'a d'emblée frappé en Espagne, c'était de constater que le premier endroit où vont les migrants subsahariens, c'est la Police.  Comment viviez-vous, concrètement, durant votre traversée ' Il y avait des situations comme sur le trajet Gao-Tamanrasset où je vivais dans les mêmes conditions qu'eux. Mais généralement, ils avaient leur vie et j'avais la mienne. D'ailleurs, j'ai coutume de dire que je ne suis pas un héros parce que les véritables héros sont les clandestins eux-mêmes. On présente parfois les mouvements migratoires subsahariens comme des filières de trafic humain, des réseaux organisés. Qu'en est-il réellement ' Il y a incontestablement des filières qui embrigadent les clandestins. Ce sont principalement des gens qui vivent aux portes des frontières. Certains sont équipés de téléphones Thuraya, d'autres sont armés. Mais en vérité, à part le réseau de fabrique de faux passeports, le reste, ce sont des petits réseaux de passeurs et de transporteurs.  Quel a été le plus dur pour vous, durant cette enquête ' C'était de savoir que c'étaient des hommes comme moi et qu'ils vivaient parfois comme des animaux. Il y a une image qui m'a particulièrement ému : il faisait très chaud et il y avait un Malien qui portait des chaussures en caoutchouc. Eh bien, j'ai vu ses chaussures fondre sous l'effet de la chaleur. Je n'oublierai jamais cette image !  Pensez-vous que le dispositif répressif pour contrer l'immigration dite clandestine va provoquer une baisse des flux migratoires en provenance du continent '  Je pense plutôt que cela va continuer. Après les événements de Sebta (Ceuta) et Melilla, j'ai dit attention, ça va repartir. A mesure qu'on renforce le dispositif de sécurité, on assiste à une réorganisation des filières. Les gens vont continuer à bouger, même à doses homéopathiques. Plus les conditions sont difficiles, plus les gens sont décidés à partir et à franchir toutes les barrières. Et ils vont finir par trouver la faille dans le dispositif « Frontex ». Aucun mur n'est assez haut pour eux'
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)