Algérie

Au revoir mon frère Boualem Bourouiba



Frère Boualem ! Je suis effectivement le dernier survivant du premier secrétariat national de l’indépendance. J’ai vu partir les frères Djermane, Flissi et Lassel. Voilà que tu viens de t’engager dans le même chemin que le leur, celui de la rencontre avec notre Tout-Puissant Créateur. Frère Boualem ! En toi, une grande et vaillante figure du syndicalisme algérien nous quitte à jamais en laissant derrière elle un héritage syndical combien riche en enseignements précieux que les générations d’aujourd’hui, membres de l’UGTA, n’ont pas su mettre en valeur.
Frère Boualem ! Ton militantisme syndicaliste remonte au temps le plus lointain des ténèbres du colonialisme. Avec Aïssat Idir, tu avais fait entendre la voix des travailleurs algériens au sein de la CGT. Ce n’était pas suffisant pour toi car tu voulais que ta parole retentisse au nom d’une centrale syndicale authentiquement et exclusivement algérienne. Ton ardent souhait, grâce à ta volonté, ton énergie et ta détermination, avait été pleinement réalisé, au cœur même de la guerre de Libération, avec la glorieuse fondation de l’UGTA en ce 24 février 1956. Frère Boualem ! Ceux qui ternissent l’image révolutionnaire de l’UGTA ignorent probablement que sa création avait été l’aboutissement de ton activité menée sous le feu de l’armée et de la police colonialistes. Il te fallait déjouer la surveillance des regards inquisiteurs des agents de la coercition et de la répression. Dans ce contexte, tu œuvrais, en compagnie de Aïssat Idir et d’autres syndicalistes nationalistes, à l’émergence de cette force d’appui qu’est le mouvement des travailleurs algériens et à son insertion dans la lutte de libération. Tu as eu le mérite d’atteindre ton but. Frère Boualem ! Arrêté et interné dans différents camps dits d’hébergement, tu n’avais pas pour autant renoncé à garder la flamme de l’UGTA aussi allumée que flamboyante. Tu avais lancé toutes tes forces et ta patience dans la transmission de ta longue et riche expérience syndicale aux travailleurs internés en même temps que toi. Chaque fois que cela était possible, tu n’avais ménagé aucun effort pour organiser des causeries sur l’histoire du syndicalisme algérien, son organisation, ses structures sans omettre sa signification et sa portée dans une Algérie indépendante. Libéré des griffes tentaculaires du colonialiste, tu t’étais, de nouveau, lancé dans la réorganisation de l’UGTA en pleine tourmente, celle de l’affrontement fratricide entre frères de la veille. Tu avais sillonné une partie du territoire algérien pour organiser les syndicats malgré les difficultés imposées par la conjoncture de l’époque et les obstacles dressés par les potentats du capital. Je vois encore ta grande joie, plus particulièrement lorsque nous avions mis sur pied des comités de gestion. C’était, pour toi, le prélude d’une Algérie où le travailleur allait prendre en main son destin. Quoi qu’il en soit, tu avais su garder les syndicats en dehors des conflits de personnes et en dehors des convoitises de ceux qui cherchaient à les domestiquer. C’était ainsi que toi et tes frères du secrétariat national avaient conclu un accord écrit avec le bureau politique du FLN qui consistait à sauvegarder l’autonomie de l’organisation de l’UGTA et de ses décisions. Tu disais, à juste titre, qu’il n’était pas possible de placer un mouvement ouvrier sous la coupe d’un parti où se côtoyaient bourgeois et affairistes, tant il est vrai qu’il est inimaginable de mettre dans une même pièce le loup et la chèvre.Dans ce contexte, nous sommes allés à Paris pour expliquer aux travailleurs de l’AGTA (l’UGTA en France) la portée de cet accord et préparer, par la même occasion, le congrès. Hélas! Ce n’était que tromperie! Tu avais été stupéfait, voire ahuri de voir des camions transportant des centaines de chômeurs venus envahir la salle du congrès. Ils avaient été commandités par ceux-là mêmes qui, la veille, avaient apposé leur signature au bas de notre accord. C’était ainsi que tu avais été témoin, en l’espace de quelques heures, de l’écroulement de tant d’années d’un travail soutenu pour le développement et l’épanouissement d’un syndicalisme libre et démocratique. Qu’à cela ne tienne ! Tu étais resté un syndicaliste pur sang, toujours prêt à apporter ton concours à ceux qui voulaient approfondir leurs connaissances du syndicalisme. Tu étais toujours présent là où les intérêts du syndicalisme et des travailleurs t’appelaient. Et pour faire profiter les générations futures de l’histoire du syndicalisme algérien, tu avais composé un livre magistral et unique sur ce sujet. C’est une œuvre remarquable qui survivra au temps. Elle marquera de ton empreinte indélébile les générations déterminées à militer pour un vrai et réel syndicalisme algérien.                            
                            


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