Algérie

Au pied du Mur. Vie et mort du quartier maghrébin de Jérusalem (1187-1967) «Du non-dit au lieu-dit»


Publié aux éditions Le Seuil, en France, et réédité en Algérie chez Barzakh, ce livre intéressera à coup sûr plus d'un car il évoque un pan important lié à l'histoire des Algériens, à Jérusalem, sciemment oublié et effacé par Israël.
«Au pied du Mur. Vie et mort du quartier maghrébin de Jérusalem (1187-1967)» est le titre du livre de Vincent Lemire, paru en 2022, ce livre réédité en Algérie, intéressera plus d'un amoureux d'histoire. Car il s'articule autour d'un espace -clé: le quartier maghrébin de Jérusalem, fondé en 1187 par Saladin et composé d'un ensemble de waqfs. Pendant prés de huit cent ans, il accueillera des pèlerins musulmans venus d'Afrique du Nord, en particulier d'Algérie. à huit siècles d'intervalle, deux personnalités originaires de Tlemcen-toutes deux, par ailleurs, figures du mysticisme soufi- jouent un rôle essentiel dans le destin de ce territoire: Sidi abou Mediene d'abord (Sidi Boumediene pour les algériens), lors de sa fondation au XIIe eme siècle; cheikh Ahmed Ben Yelles ensuite, quand à partir de 1948, l'État d'Israël en menace l'existence. Or, ce quartier, «waqf Abou Mediene» le bien nommé, n'existe plus aujourd'hui. Au lendemain de la guerre des Six- Jours, dans la nuit du 10 au 11 juin 1967, les habitants du quartier maghrébin de Jérusalem sont évacués par l'armée israélienne et le quartier est rasé en quelques heures pour laisser place à la vaste esplanade qui s'étend aujourd'hui au pied du Mur des Lamentations.

Cet événement a longtemps été passé sous silence. Pour la première fois, Vincent Lemire retrace les étapes de cette destruction programmée, le parcours de ses habitants déplacés, mais aussi l'histoire au long cours de ce quartier fondé par Saladin en 1187 pour accueillir les pèlerins musulmans marocains, algériens et tunisiens désireux de séjourner à Jérusalem.

Pour redonner vie à ce quartier disparu, l'auteur part en quête d'une documentation dispersée, depuis les archives des fondations pieuses musulmanes à Jérusalem jusqu'à celles de la Croix-Rouge à Genève, en passant par les archives ottomanes d'Istanbul et les archives israéliennes, jusqu'aux témoignages des habitants et aux fouilles archéologiques qui ont récemment fait remonter à la surface les objets domestiques ensevelis lors de la destruction.

Très bien documenté

Quant aux archives diplomatiques françaises, elles révèlent que dans les années 1950 ce quartier était protégé par la France, qui se présentait alors avec fierté comme une «puissance musulmane» au Maghreb et au Proche-Orient. Au moment où la Ville sainte est à nouveau au coeur des tensions géopolitiques qui secouent la région, ce livre offre un point de vue inédit et passionnant pour mieux comprendre Jérusalem, ville-monde ouverte à tous les vents de l'histoire. Ainsi, ce livre de prés de 400 pages, qui a trait à l'histoire du quartier maghrébin de Jérusalem contient une multitude d'histoires donc. Comme il est mentionné en introduction «Parce qu'elle se déroule à l'intersection de plusieurs temporalités et plusieurs territoires, parce qu' elle croise différentes échelles de temps et d'espace, parce qu'elle embrasse en son sein plusieurs trajectoires historiques, plusieurs mondes et plusieurs horizons, elle offre précisément un point de vue irremplaçable sur l'histoire de Jérusalem...». Aussi, ce livre décliné en une dizaine de chapitres évoque en tout début l'assise juridique du quartier de Jérusalem, autrement l'acte de fondation du waqf abou Médiene, ainsi que les bénéficiaires, les Maghrébins de passage ou résidant à Jérusalem. Le premier chapitre a trait à la gestion et consolidation à l'époque ottomane dans l'empire des sultans. Le second chapitre qui comprend de 1912 à 1936 évoque les projets et projections sionistes autour du mur occidental, mais aussi au coeur de la guerre, les tractations avec Djamel Pacha, le relais de l'urbanisme etc. le chapitre III couvrant les années 1948 à 1954, évoque entres autres le retour «des enfants prodigues», les enjeux politiques d'une étymologie à savoir du mur occidental au mur des Maghrébins. Les archives coloniales et mobilisation de l'Union française.

Le chapitre quatre (1955-1962)relève notamment les conflits et fractures générationnelles et les tensions dans le quartier magrébin, miné de dettes et de frayeur...

Le chapitre cinq évoque les années en sursis de ce quartier de 1962 à1969 ou le début des expulsion et destruction, avec documents d'archives à l'appui, notamment le plan de démolition avec des architectes et archéologues à la manoeuvre...Le sixième chapitre l'ouvrage collecte les traces après la catastrophe avec en sus le bilan comptable et bilan politique, mais avec en arrière-fond une rétro-historie sociale du quartier maghrébin.

De la connaissance à la reconnaissance

L'ouvrage se clôt sur cette question pertinente avec force arguments: « Pourquoi un si long mutisme? Pourquoi une si longue occultation?
L'histoire du quartier maghrébin a-t-elle été si tard et si peu racontée? Comment est-ce possible que la plupart des visiteurs et des pèlerins, lorsqu'ils photographient, aujourd'hui, le mur occidental, ignorent l'histoire de ce quartier si singulier, sur lequel ils marchent?

Comment ce silence s'est-il construit et comment s'est -il maintenu?» et l'auteur d'affirmer: «C'est donc une question qui mobilise des enjeux de connaissance, mais aussi de reconnaissance». De ce «paradoxe», Vincent Lemire présente dans cet ouvrage quelques «pistes» de compréhension. Et de souligner, notamment: «L'histoire du quartier maghrébin est à la fois locale et globale et profondément ancrée dans Les Lieux saints de Jérusalem, mais aussi continuellement traversée par les projets politiques et les réagencements géopolitiques les plus lointains.» et de faire remarquer un peu plus loin: «Israël, bien sûr, a été partie prenante dans l'édification et la consolidation de ce mur de silence».... aussi, l'argument donné de détruire les «taudis» de ce quartier et indemniser la population demeure un peu fallacieux et relève beaucoup plus d'une «violence d'État» écrit l'auteur de ce livre, rappelant par analogie à la violence d'État perpétrée par la France contre les Algériens, un certain 17 octobre 1961.

Pour Vincent Lemire, l'histoire de ce quartier vieille de huit siècles qui a été non seulement «détruit» mais aussi «effacé» doit être «reconstitué,», pour que ce «non-dit devienne un lieu-dit» au présent.

ànoter que l'auteur Vincent Lemire enseigne à l'université Paris-Est / Gustave-Eiffel. Il dirige le Centre de recherche français à Jérusalem (Cnrs - Meae) et le projet européen Open Jérusalem. I,l, a notamment publié en 2010 «La Soif de Jérusalem». Essai d'hydrohistoire (Publications de la Sorbonne); en 2013 «Jérusalem 1900. La ville sainte à l'âge des possibles» (Armand Colin, rééd. «Points Histoire» 2016, prix Augustin Thierry des Rendez-Vous de l'histoire de Blois 2013); et en 2016 «Jérusalem. Histoire d'une ville-monde» (Flammarion, prix Pierre Lafue 20217 et prix CNL - Sophie Barluet 2017). «Au pied du mur...» est un livre intéressant à acquérir. Son prix est de 1200 Da, disponible dans toutes les bonnes librairies.
O. HIND