Le syndrome de la
ligne bleue a pris des proportions inquiétantes. Etat des lieux face à la
propagation de cette étrange maladie.
Les hommes bleus
envahissent l'Algérie. Il ne s'agit pourtant ni de Touareg, avec leur
majestueuse abaya bleue, ni de blonds aux yeux bleus débarquant de quelque pays
nordique. Il ne s'agit pas non plus de quelconques extraterrestres au gros nez
et aux jambes maigres, ayant atterri d'une soucoupe volante pendant que les
gardes communaux étaient battus par le Ramadan ou occupés à une interminable
partie de domino durant la soirée. Il s'agit plutôt d'hommes saisis pas «le
syndrome de la ligne bleue», une maladie dont la propagation en Algérie a
largement dépassé celle de la grippe porcine.
Ce «syndrome de la ligne bleue»,
rappelons-le, a été évoqué la première fois par M. Abdelhamid Mehri. Le concept
désigne cette tendance, observée depuis quelques années déjà chez les
responsables algériens, consistant à lancer un projet sans préparer le terrain,
ni examiner la faisabilité, sans même étudier l'impact ni prévoir les
retombées. M. Mehri avait parlé de ce syndrome lorsque le wali d'Alger avait
fait tracer une ligne bleue sur la voie express entourant la capitale. Cette
ligne bleue devait délimiter un couloir réservé exclusivement aux transports
collectifs, comme cela se passe en Californie. Une fois la décision prise, les
dépenses engagées et la ligne tracée, on s'est rendu compte que la décision
était aussi absurde qu'impossible à appliquer.
Depuis, l'Algérie a multiplié les décisions
similaires. Quelques rappels montrent que le syndrome a touché tous les
domaines, des plus sérieux aux plus anodins. Ainsi, un texte de loi pour
protéger l'environnement a été voté par le Parlement il y a deux ans. Le texte
interdit l'extraction de sable dans les oueds. Mais aussitôt le texte adopté,
on s'est rendu compte que son application risquait d'hypothéquer le fameux
projet du million de logements, lancé en 2004 par le président Abdelaziz
Bouteflika. Une «décision» a été prise pour surseoir à l'application pour une
période transitoire de deux ans. Depuis, la période transitoire s'est terminée,
et rien n'a été fait pour fournir du sable en quantité suffisante sans puiser
dans les oueds. Alors, une deuxième décision pour ne pas appliquer cette loi a
été adoptée en juillet 2009. Mais d'une manière ou d'une autre, les projets
grandioses en matière de logement ne seront pas réalisés, car cette fois-ci,
c'est le ciment qui manque : l'Algérie a lancé un appel d'offre pour
l'importation d'un million de tonnes de ciment !
Toujours à propos de sable, des hauts
responsables et de puissants hommes d'affaires avaient annoncé» en grande pompe
qu'ils avaient trouvé la parade : ils ont annoncé qu'ils allaient puiser le
sable des fonds marins. Un journal avait annoncé que des experts s'étaient
déployés à l'ouest d'Alger, sur le front de mer, pour détecter les «nappes» de
sable susceptibles d'être utilisées. Mais un mystère plane toujours : comment
un pays peut-il se lancer dans l'extraction de sable sous-marin alors qu'il n'a
pas pu exploiter la plus grande réserve de sable du monde à ciel ouvert ?
Dans le même sens, une décision, fortement
médiatisée, devait imposer l'utilisation des chèques pour toutes les
transactions dont le montant dépasse 50.000 dinars. Destiné à lutter à la fois
contre l'économie informelle et contre le blanchiment d'argent, la mesure a été
reportée une première fois, pour donner aux opérateurs économiques le temps de
s'organiser. Mais il est rapidement apparu que la mesure était inapplicable, et
risquait de paralyser l'économie. Elle a alors été discrètement abandonnée.
M. Mohamed Raouraoua, président de la
Fédération algérienne de Football, a lui aussi fait valoir ses talents dans ce
domaine. Il a décidé, par exemple, de bannir les footballeurs de plus de trente
ans dans les divisions inférieures. Cette catégorie d'âge représente plus du
quart des joueurs en activité, que le président de la FAF a exclu sur une
«nefha» (une envie), avant de se rendre compte de l'inanité de sa décision.
Heureusement qu'il y a l'oubli pour couvrir
d'un voile pudique ces décisions, et épargner leurs auteurs. Sinon, sur quel
ton discuter avec un ministre qui annonce la signature d'un contrat pour la
construction de la première voiture algérienne avant la fin de l'année, avant
de se rétracter un mois plus tard, et déclarer que cette fameuse première
voiture algérienne sera là dans dix ans ? Et celui qui annonce que les travaux
ont été engagés en vue d'aménager les infrastructures nécessaires pour lancer le
transport maritime à Alger, seul moyen selon lui de décongestionner la capitale
?
Comme on le voit, le syndrome de la décision
absurde est largement répandue chez des hommes qui n'ont plus de souci à se
faire, ni pour leur crédibilité ni pour leur maintien dans les cercles du
pouvoir. Ces hommes savent que leur maintien au gouvernement ou dans de hautes
responsabilités n'a aucun lien avec leur mérite ou avec la cohérence de leur
pensée. Et s'ils sont devenus bleus, ce n'est ni de peur ni de honte : ils sont
devenus des hommes bleus parce qu'ils cultivent soigneusement le syndrome de la
ligne bleue.
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Posté Le : 24/09/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com