L'Africain a été le premier homme sur la Terre, les autres races ne sont venues qu'après. Tous les hommes sont donc des immigrés, sauf les Africains, qui sont chez eux ici-bas.
Brazzaville (République du Congo)
De notre envoyé spécial
Dans les contrées de l'Equateur, pensais-je, le ciel était bas, si bas qu'on craignait de lever la tête. Pourtant, en atterrissant à l'aéroport Maya de Brazza, au milieu du mois de février, après environ huit heures d'un vol éreintant, le ciel n'existait pas. Ou c'est peut-être moi qui n'avais plus la tête. Je venais de débarquer, comme un intrus, au pays du talentueux écrivain Alain Mabanckou. Lui, quoique né à Pointe-Noire dont il est fier, sa nationalité, c'est la littérature. «Merci d'avoir parcouru 5000 km pour venir chez nous», dira-t-il plus tard, en guise de bienvenue, avant de rectifier : «Bienvenue chez toi.»
Encore éberlué par la découverte nocturne de la ville, je m'engouffre dans le taxi vert qui fonce en direction de l'hôtel Verda Politan, situé dans l'impasse Auxence Ickonga, près de l'ambassade d'Italie. Un havre de paix.
Le matin, après une nuit sans rêve, je me réveille en sursaut. Déborah, tombée d'un ciel gris et fermé, était là. En guise d'explication, elle m'entraîne sans préambule dans les entrailles enchevêtrées de la capitale. Je n'étais plus maître de mon destin. Je découvre alors Bacongo et Poto, deux des plus vieux arrondissements de la ville. Une sorte de pèlerinage forcé, une leçon d'histoire lugubre à apprendre. Sur les lieux, on me montre la résidence du président français, De Gaulle, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Une belle bâtisse surplombant le fleuve Congo. Et malgré les années, Bacongo ne peut se «déraciner» des relents d'une histoire sinistre : il était le bastion de conflits ethniques dans les années 1990. En dépit de son talent de comédienne professionnelle, Déborah ne pouvait s'empêcher de me raconter avec douleur les massacres perpétrés inexorablement par les milices de Bernard Kolélas, ancien Premier ministre, contre des populations impuissantes.
D'ailleurs, notre compatriote Youcef Kacimi, informaticien, qui vit à Brazza depuis trente ans, confirme ces atrocités, lui qui avait été contraint de fuir le Congo vers le Gabon. Nous empruntons l'avenue populeuse des 3 Francs, dénomination donnée en référence au tribut que payaient les colonisés aux colons il y a plus d'un siècle. Des produits hétéroclites jonchent le sol. Mama Annie, septuagénaire et vendeuse quasi ambulante, nous propose un aphrodisiaque à base de plantes médicinales. Nous déclinons l'offre avec un sourire.
A 30° à l'ombre, on a plutôt envie de se jeter dans le fleuve... Mais, endolori par tant de réminiscences, je prie Déborah de m'extirper d'un environnement cauchemardesque. Même si les Congolais, sans oublier le passé, savent se mouvoir dans la bienséance, avec ce pouvoir de transformer des vestiges sanguinaires en espace de convivialité. Et c'est là que j'ai appris qu'il faut chercher la beauté dans la laideur.Le taxi vert, qui confond souvent chaussée et trottoir (à cause des embouteillages monstres) nous emmène vers le fleuve Congo.
Le deuxième plus grand fleuve du monde après l'Amazone. Impressionnant. En face, Kinshasa nous reluque. C'est curieux que deux villes se regardent. Sans se chamailler. Cela me rappelle Maghnia du côté algérien et Oujda la marocaine. Ou Boukanoun face à Ahfir. Sauf que chez nous, on ne traverse la frontière que clandestinement. Enivré par les «rapides» du fleuve, ces vagues volumineuses, je tentais un v'u à mon ange gardien : et si on allait au Palais des congrès s'abreuver chez mon ami Alain, qui a eu le mérite et l'honneur de ramener dans son pays le Festival culturel international du livre et du film Etonnants voyageurs ' Une centaine d'écrivains du monde entier, des réalisateurs de cinéma et des artistes peintres étaient réunis autour du thème «L'Afrique qui vient».
Dans le hall de cet établissement, qui fait aussi office de Parlement, je croise la cinéaste marocaine Leïla Kilani, auteur de l'excellent long métrage Sur la planche, racontant les vicissitudes de la jeunesse chérifienne. Puis surgit de nulle part l'auteur de Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut, Yahia Belaskri. Cet Oranais pur et dur avoue : «Brazza m'a ensorcelé, elle m'a adopté et Etonnants Voyageurs est ma famille !» Il était là avec Boualem Sansal pour «Ecrire l'Algérie», une conférence qui a suscité un grand intérêt.Je me faufile dans les méandres du palais.
A ce moment, Thérèse, une Congolaise de l'autre côté, comme elle tient à le préciser, m'apostrophe : «Je suis Kinoise (de Kinshasa), je n'ai qu'à prendre le bateau et, en dix minutes, je suis à Brazza. Souvent, les moteurs des bateaux tombent en panne et le risque d'être emportés par les rapides n'est jamais loin.» Bateau, c'est beaucoup dire. A voir ces masures flottantes traverser le fleuve en furie, je n'y mettrais pas un chat. Mais qu'importe, les deux Congo, l'un belge et l'autre français, s'entendent, s'embrassent' sans jamais s'embraser.
Des deux côtés du fleuve, chez Kabila fils ou chez Nguessou, malgré le dénuement visible (un paradoxe au vu des ressources de ces deux pays), on vit dans la culture, mais surtout dans l'humilité et la dignité.Je suis un voyageur, peut-être étonnant, comme le nom du festival. Et c'est normal que cette manifestation, qui a gagné ses lettres de noblesse, se tienne en Afrique. D'ailleurs, comme le dit si bien ce cher Alain : «L'Africain a été le premier homme sur la Terre, les autres races ne sont venues qu'après. Tous les hommes sont donc des immigrés, sauf les Africains qui sont chez eux ici-bas.» Et moi, j'étais chez moi à Brazza. Sauf que depuis, j'ai égaré mon âme'
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Posté Le : 28/02/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Chahredine Berriah
Source : www.elwatan.com