Algérie

Au nom du père'


Suite au point de vue qui dénonçait l'attitude de Mouloudji durant la guerre de libération, Abdellali Merdaci* intervient à son tour. Dans le contexte historique crucial des années 1950 et de la guerre d'indépendance, Marcel Mouloudji s'affirmait Français, oblitérant volontiers son origine algérienne. En vérité, il n'avait aucune liberté de ce côté-là. La législation française - foncièrement coloniale dans ses principes - n'a jamais effacé les héritages du sang, même au prix d'assimilations douloureuses, comme en témoignait en son temps, non sans amertume, Saïd Faci.Le « petit invité » appartenait, quoiqu'il ait pu s'en défendre véhémentement, à l'histoire coloniale, celle de la France et de l'Algérie. Né d'un couple mixte, Marcel Mouloudji était Algérien par son père, Français par sa mère. C'est cela qui reste face aux choix de l'âge adulte et à leurs expressions politique et juridique. En dépit de ses déclarations jugées « négatives » sur la légitimité de la lutte de libération des Algériens (cf. Arts & Lettres de jeudi dernier), et on ne peut mettre en doute sur cet aspect les témoignages d'authentiques acteurs du mouvement national que sont les avocats Mes Arezki Bouzida, Lakhdar Belhocine et Amara Mokrane, la question essentielle pour l'historien est de dire en quoi son parcours éclaire le débat que posait frontalement la difficile reconnaissance des identités des colonisés dans l'Algérie coloniale.Il est établi que le jeune Marcel a connu une enfance fragile dans un milieu d'ouvriers émigrés d'Algérie. Sa formation critique inscrit la permanence de la double filiation biologique et historique : tout se décidera pour lui au nom du père' À l'adolescence, l'ancrage catholique que lui donne sa mère sera moins déterminant que celui de la famille communiste où l'introduit son père, ouvrier kabyle d'El Flaye, dont l'itinéraire militant en France répète celui d'Amar Imache, Belqacem Radjef, Abdelkader Hadj Ali, Messali Hadj et de centaines d'Algériens, appelés à une prise de conscience politique dans la proximité du PCF, de la CGT et bientôt de l'Etoile nord-africaine.L'engagement intellectuel de Marcel Mouloudji est certainement informé par cette enfance populaire parisienne (« titi parisien », « gavroche »), qui garde sans doute sa richesse et son émotion, mais qui reste peu lisible pour beaucoup d'Algériens, hier et aujourd'hui encore. C'est cette immersion dans la culture populaire, celle du groupe des Faucons rouges, et plus tard de la formation Octobre (Serge Atkine, Jean-Louis Barrault, Roger Blin), qui oriente son avenir dans la carrière artistique, du cinéma à la chanson et à la littérature.Que Marcel Mouloudji, au sommet de la gloire, soutienne son appartenance à la France et se détourne de la guerre d'indépendance, cela participe de la nouvelle histoire d'intégration réussie que le fils de l'ouvrier kabyle construit et inscrit dans la légende. Le Mouloudji qui refuse de concéder des mots de sympathie au combat des Algériens, le faisait au nom d'une indiscutable promotion dans les rangs de la société bourgeoise française qu'il devait certes à son talent, mais aussi à ses garants dans le champ artistique parisien, notamment ses éditeurs, qui ne tarderont pas à le laisser tomber, vouant son 'uvre à un pesant oubli.Observe-t-on dans la logique même de son positionnement, il est vrai discutable pour l'interprète de Boris Vian, la confirmation, très illusoire en son temps, d'une demi-qualification française et le déni des origines ' Il reste à expliquer. Au-delà du cas Mouloudji, l'historien des lettres algériennes peut être embarrassé par ces questions d'identité et de nationalité qui ne concernent pas les seuls écrivains et artistes issus de couples mixtes dans la période coloniale. Il peut être tenté de les comprendre à l'aune des seuls engagements politiques négatifs ou positifs. Ce serait une erreur.Marcel Mouloudji ne fut pas le seul Français d'origine algérienne, en France et en Algérie, à être timoré devant les terribles soubresauts de la lutte de Libération nationale. Quoique l'on puisse dire et écrire, il n'avait eu le tort que de se proclamer « Français » et « apolitique ». Il n'était ni le « quasi-ennemi » de l'Algérie, ni celui des Algériens. Et évoquer son parcours ne peut correspondre à une réhabilitation dont sa mémoire n'a pas besoin.Français d'origine algérienne, Marcel Mouloudji appartient au bilan politique et culturel de l'Algérie coloniale. L'urgence impérieuse, sur cet acteur comme sur beaucoup d'autres de cette période, est précisément d'en parler, plus pour comprendre que pour transmettre la haine et décréter les indignités.* Écrivain-universitaire. Derniers ouvrages parus : Parcours intellectuels dans l'Algérie coloniale et Cahier de lectures, chroniques, Médersa, 2008.
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