Algérie

Au lendemain de décembre 1960...un lieu dit.



Au lendemain de décembre 1960….un lieu dit.
par farouk Zahi


Au fin fond de la partie sud de la wilaya de M’Sila, la route en enrobé de bitume se déroule dans la platitude de la steppe jadis isolée. Elevée au rang de route nationale (RN40), l’ancienne piste rocailleuse et poussiéreuse, n’est plus qu’un mauvais souvenir des clandestins et des quelques initiés. Elle relie Ben Srour à Barika sur près de 80 kilomètres. Par cette journée du 11 décembre 2010, illuminée par un tiède soleil automnal, l’esprit se surprend à triturer des réminiscences où des faits de l’histoire contemporaine du pays. La commune de Zarzour, réputée pour être l’une des communes la plus déshéritée de la wilaya, sort peu à peu de sa torpeur séculaire. Elle dispose, actuellement, de trois axes routiers qui la relient à Batna, à Biskra, au reste du monde par leurs aérogares et à son chef de wilaya par l’asphalte. A l’orée des années soixante dix (70), aller à Zarzour, c’était déjà l’aventure. La piste qui y menait, cahoteuse et tortueuse au gré de la topographie, obligeait à avoir un robuste véhicule aguerri aux aléas de terrain à peine carrossable. Les quelques pasteurs qui nomadisaient dans ce no’ mans land, recourraient aux bêtes de somme pour aller aux marchés hebdomadaires environnants. Quant à l’école ou le dispensaire, il ne fallait pas trop demander. Les accidents de parcours et les envenimations scorpioniques ou vipérines, le plus souvent fatals, n’avaient pour seul salut que la providence, le guérisseur du coin ou l’aléatoire guimbarde de passage dans les environs. Les passages à gué de Oued Ain Ghezal et de Oued Zarzour, sont un danger mortel quand ils charrient leur impétueuse bourbe automnale. Au cœur de cette désolation, la furie des eaux pouvait emporter hommes et bêtes sans recours. En cette période de l’année, la quintessence végétale est à son plus bas niveau ; les quelques cheptels rencontrés, s’échinent à glaner quelques touffes d’herbe au bord de la route. Leur alimentation est complémentée par les fourrages secs ou le son dont les prix prohibitifs, saignent à blanc les éleveurs. L’enclavement est indéniablement rompu, présentement, par le flux routier et les maisons paysannes du Renouveau rural. Le bâti, de conception moderne, a fait disparaître la tente et l’enclos de l’espace steppique.
Disséminées à perte de vue, les nouvelles demeures gardent jalousement leurs mystères par portes et fenêtres closes, mais pulsent à la vie. Une camionnette, une charrette, du linge tendu ou une basse cour renseignent sur l’occupation des lieux. Certaines de ces maisonnettes, se signalent par des couleurs chatoyantes, brisant ainsi la monotonie spatiale. L’eau étant dans ces contrées, le nerf de la guerre, des puisatiers trouvent auprès des éleveurs- agriculteurs des plans de charge sur toute l’année. Les bassins d’irrigation jalonnent les parcelles cultivées.

La localité de Zarzour, est visible de loin, des bâtiments peints en vert pastel surprennent par leur intrusion dans le paysage steppique. A l’entrée du village, un petit cimetière ombragé, semble garder jalousement les sépultures de ses martyrs. La proprette bourgade est traversée par un large boulevard encadré par les luminaires modernes. Le dispensaire, la poste et l’école arborent fièrement l’emblème national. Jadis, la population recourrait à l’internat primaire des villages avoisinants, pour faire scolariser ses enfants. Il est fort à parier que certains d’entre eux, fréquentent ou ont déjà fréquenté, les bancs de l’université. Les éléments de la garde communale, veillent, auprès d’une herse dressée au milieu de la chaussée, au flux circulant. Les pylônes électriques de moyenne tension, émaillent la campagne dans toute son étendue. Un pâté de maisons d’à peine quatre unités, non encore occupées, dispose déjà de son poste de transformation aérien. La sujétion de l’éclairage et de l’énergie motrice, est déjà réglée par anticipation. L’image télévisuelle drainée par le courant électrique et l’antenne parabolique feront gagner plusieurs générations nourries spirituellement à la planche du Taleb coranique ou au tableau noir du maitre.

A une encablure de la localité en direction de M’Doukal, antique cité romaine et fief islamique, une simple plaque signale Larouia 12 kilomètres. Ce hameau, déjà anonyme par sa situation, ne veut rien dire pour le commun des voyageurs …et pourtant, il compte des morts et des invalides pour la cause commune qui a consisté à libérer le pays de l’emprise coloniale. Ce lieu dit n’a, probablement, jamais eu affaire à un colon, mais il eut affaire au garde champêtre, au gendarme et au parachutiste légionnaire. Une modeste stèle, sans marbre rappelle au souvenir, le sacrifice du jeune Mohamed Chebichèbe ben Mazouz victime de torture par crémation. Bouzid son cousin, se rappelle de ce fatidique jour de janvier 1961 où les débats onusiens sur l'affaire algérienne étaient encore sur la table. La France gaullienne poursuivait sans relâche sa politique de terre brûlée. C'est ainsi que lui et son défunt cousin sont surpris par le vrombissement d'un Piper de reconnaissance qui les a localisés. Ils étaient à proximité d'un "markez", casemate abritant l'hôpital de l'ALN. Devinant les intentions de la colonne motorisée, ils détalèrent à l'opposé de l'objet recherché par le ratissage. Aidés par l'escarpement du terrain, les deux adolescents réussirent momentanément à fuir devant les jeeps de l'avant-garde. Le narrateur qui s'est faufilé dans les hautes herbes de l'oued, put se dissimuler échappant ainsi à ses poursuivants. Son cousin, en terrain nu fut vite pris par les sbires du 485è bataillon du Train stationné à Bordj l'Agha. Placé sous le commandement du lieutenant colonel Jean Poujet, ce bataillon surnommé "les Pouilleux" ou Bataillon "RAS" plus tard, s'est particulièrement singularisé par la discipline de fer pratiquée sur ses propres éléments. Que dire alors, sur les méthodes pratiquées sur l'adversaire?

Pour son malheur, le jeune Mohamed portait ce jour là, une vareuse de treillis. Fouillée, on y découvrit la photo de l'intéressé en compagnie de Si Cherif Kheirdine, responsable de l'hôpital de l'ALN enfoui dans une grotte non loin de là. L’interrogatoire musclé qu’on lui fit subir sous le regard inquiet de la population, regroupée par le ratissage, risquait de faire débusquer les maquisards. On ne donnait pas cher de leur vie. Aucun d’eux ne pensait s’en tirer ce jour là ; le brave adolescent sorti à peine de l’enfance tenait le coup. Ne voyant rien venir, les spadassins de Bigeard dont les glorioles se sont étiolés, récemment, par l’immanence de la Faucheuse, le soumirent au supplice du feu. On chargeait la population de déraciner et de ramener les touffes d'armoise et d'alfa pour alimenter le brasier. Brûlé sur tout le corps, agonissant, il fut achevé par une balle tirée à bout portant sur la tempe. L'officier supérieur qui venait de débarquer de son hélico, l’achevait de son arme de poing. Le soleil venait de décliner à l'horizon, une mère éplorée pleurait son enfant au milieu d'une multitude silencieuse d'ombres hagardes. Le jeune Chebichèbe, ne savait pas ce jour là, qu’il subirait le même sort que le petit Omar. Victimes tous deux du refus, l’un pour se rendre et l’autre pour parler, ils ont « eu de la gueule » bien mieux que Bigeard qui est mort dans son lit.

Le 11 décembre 2010



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