C'est depuis l'Algérie que la France devint la troisième puissance spatiale avant de rendre les clés de ses champs de tir sahariens le 1er juillet 1967.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les militaires français cherchaient un lieu pour expérimenter de nouveaux systèmes d'armes. Leur choix se porta sur l'oasis de Colomb-Béchar en Algérie française. Occupée depuis 1906, la région était une porte ouverte sur le vaste monde saharien. Idéale pour y tester discrètement des missiles sans mettre en danger les populations, celle-ci disposait de grandes richesses minières (charbon, manganèse), d'une main-d'oeuvre qualifiée (française, italienne et espagnole) et d'importants axes de communication (pistes, routes, aérodrome, ligne de chemin de fer « Mer-Niger » jusqu'à Oran).
Véritable havre de prospérité, Colomb-Béchar offrait - du moins pour les Européens - un niveau de vie plus élevé que sur le continent. L'armée de terre y implanta le 24 avril 1947 le Centre d'essais d'engins spéciaux (CEES), qui devint l'année suivante un centre interarmées sous le nom de CIEES. Les premiers champs de tir furent aménagés entre 1949 et 1952.
Des centaines de tirs d'essai
Une campagne de tir s'organisait sur plusieurs jours ; les essais s'effectuaient généralement la journée afin de suivre la trajectoire des engins. Après en avoir récupéré les restes, les spécialistes vérifiaient l'état des composants et le bon fonctionnement des systèmes. Cette méthode permettait de pallier les faiblesses des technologies de l'époque (notamment la télémesure), mais était gourmande en essais : l'armée de terre testa plusieurs centaines d'exemplaires du missile sol-air Parca (Projectile autopropulsé contre avions).
A partir de 1952, certains missiles pouvant voler à des altitudes plus élevées et avec des portées plus grandes, un nouveau champ de tir, Hammaguir1, fut installé à 110 km au sud de Colomb-Béchar. Les militaires y testèrent notamment le SE-4200, un engin capable d'emporter une charge explosive de 200 kg à 120 km. Ce fut également de Hammaguir que la fusée-sonde Véronique fut mise au point entre mai 1952 et octobre 1954, date à laquelle celle-ci réalisa la première expérience spatiale française vers 104 km d'altitude2.
Entre 1959 et 1961, de nouveaux acteurs firent leur apparition : des organismes de recherche et des sociétés, comme Sud-Aviation, qui développait des fusées-sondes spatiales inédites. Les moyens furent rationalisés et les essais inutiles évités. Par ailleurs, en 1961, le gouvernement mit en place une agence spatiale, le Centre national d'études spatiales (Cnes).
En pleine guerre d'Algérie, quatre champs de tir supplémentaires spécifiques furent aménagés à Hammaguir entre 1959 et 1963 : « Bacchus » pour les fusées-sondes à propulsion solide (Bélier, Centaure), « Blandine » pour les fusées-sondes à liquide (Véronique, Vesta), « Béatrice » pour des engins testés en coopération (sol-air Hawk américain, fusée Cora pour le lanceur européen Europa) et « Brigitte » pour le lanceur de satellites Diamant et les missiles balistiques.
Avec l'indépendance algérienne, et malgré la proposition du nouvel État de rester, la France décida de quitter le Sahara. Elle craignait que Hammaguir fît l'objet de pressions et s'imaginait mal procéder à des essais en plein coeur d'un État indépendant. Dès lors, le ministre des Armées Pierre Messmer décida le 4 juillet 1962 de transférer progressivement les essais militaires près de Biscarrosse, dans les Landes, au plus tard le 1er juillet 1967. En 1964, il fut par ailleurs décidé que les lancements spatiaux se feraient à partir de 1967 depuis la Guyane française. En attendant, les essais continuèrent et de manière spectaculaire.
L'adieu à Hammaguir
Tous les ans, plusieurs centaines d'engins furent expérimentés : des missiles, des fusées météorologiques, des fusées-sondes spatiales (avec parfois à leur bord des petits animaux). Le 26 novembre 1965 ce fut au tour de la fusée Diamant A de décoller et de placer sur orbite le satellite Astérix.
La France devint alors la troisième puissance spatiale. Quelques mois avant de rendre les champs de tir, deux Diamant furent lancés en février 1967. Puis les activités de lancement déclinèrent rapidement. Vint ensuite le temps du démantèlement ; tous les instruments de mesure, de suivi et les matériels de télécommunication furent ramenés en métropole.
Le 1er juillet 1967, le général Yves Hautière, le dernier directeur du CIEES, remit officiellement les champs de tir aux autorités algériennes. Une page se fermait. Pour le professeur Jacques Blamont, un des pères du spatial français, « Hammaguir, c'était le XXe siècle dans toute sa splendeur ! », une époque où tout a été possible.
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Posté Le : 22/01/2021
Posté par : xeres13
Ecrit par : Philippe Varnoteaux