Algérie

Au coin de la cheminée



Au coin de la cheminée
On ne la voit plus au marché le jeudi, votre belle-s?ur la Gardin, disait la jardinière à la maîtresse Alexandre, la fermière de la Radonnière, qui avait profité de la fête pour venir, brillante comme un astre, apporter elle-même une couple de canards et du beurre.? Hélas ! répondit la maîtresse, elle est bien dans le souci, la pauvre Geneviève ; elle court après sa fille qui a voulu quitter le pays. Il n'y a plus aujourd'hui à cacher l'histoire ; en ont-ils assez marmotté depuis quinze ans, sans trop savoir au juste, les gens de Bellavilliers ! C'est bien elle-même, la pauvre Geneviève, qui a cherché son malheur ; mais la voilà à tout jamais dans un si grand, si grand deuil, qu'on ne sait plus en vérité, si la peine ne passe pas la faute.Quand ils eurent cette enfant-là, Geneviève était forte et dodue, et le médecin lui répétait souvent que, si elle voulait prendre un nourrisson, il lui en chercherait un qui fût d'un bon profit. Ils n'étaient pas dans l'aisance, les Gardin, et ils se laissèrent tenter. Le médecin ne tarda pas à dire à Geneviève qu'il avait trouvé son affaire et qu'il fallait partir pour Paris ; elle sevra sa petite, la donna à sa mère à elle, pour qu'elle l'élevât au petit pot, et du jour au lendemain elle prenait la diligence qu'on appelait les Jumelles ; ? vous vous en souvenez bien, des Jumelles ' il n'y a pas si longtemps. Que de fois nous a-t-elle raconté tout ce qu'elle avait vu dans Paris durant les trois jours qu'elle y passa ! elle en avait encore la tête perdue : des maisons à dix étages avec des balcons tout dorés, toutes les boutiques dorées et illuminées chacune par des centaines de chandelles, des carrosses traînés par des chevaux tout harnachés d'or, des militaires tout brodés d'or remplissant toutes les rues, toutes les dames vêtues de soie de toutes les couleurs ; on était venu la chercher elle-même à la diligence dans une belle voiture dont les coussins étaient de soie ; les bourgeois qui l'avaient mandée demeuraient dans un appartement tout décoré d'or et de glaces, et de rideaux de soie, et de fauteuils couverts de soie, et les armoires et les tables et toutes les commodes en acajou ; on ne la faisait manger qu'avec des cuillers d'argent, et elle buvait que du bon vin ; la rue, au-dessous de ses fenêtres, était plus large que la route de Mortagne, et le bruit des voitures et des milliers de milliers de passants était si grand, qu'elle n'avait pu fermer l'?il pendant les trois nuits qu'elle avait couché là. Ces bourgeois avaient déjà eu plusieurs enfants, mais ils les avaient tous perdus, et on leur avait dit qu'à Paris ils ne pourraient jamais en élever ; c'est pour cela qu'ils avaient pris le parti de faire venir du Perche une bonne nourrice qui emporterait leur enfant dans le bon air, et c'est un grand sacrifice qu'ils faisaient de s'en séparer.A suivre?Charles-Philippe de Chennevières-Pointel


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