Algérie

Au coin de la chemin'e Le singe (1re partie)



Au coin de la chemin'e Le singe (1re partie)
Samedi, soir de paye. Dans cette fin de journée, qui est en même temps une fin de semaine, on sent déjà le dimanche arriver.Tout le long du faubourg, ce sont des cris, des appels, des poussées à la porte des cabarets. Parmi cette foule d'ouvriers qui déborde du trottoir et suit la grande chaussée en pente, une petite ombre se hâte furtivement, remontant le faubourg en sens inverse.
Serrée dans un châle trop mince, sa petite figure hâve encadrée d'un bonnet trop grand, elle a l'air honteux, misérable, et si inquiet ! Où va-t-elle ' Qu'est-ce qu'elle cherche '... Dans sa démarche pressée, dans son regard fixe qui semble la faire aller plus vite encore, il y a cette phrase anxieuse : «Pourvu que j'arrive à temps...!» Sur sa route on se retourne, on ricane.Tous ces ouvriers la connaissent, et, en passant, accueillent sa laideur d'un affreux surnom : «Tiens, le singe... Le singe à Valentin qui va chercher son homme». Et ils l'excitent : «Kss...kss...Trouvera, trouvera pas...» Sans rien entendre, elle va, elle va, oppressée, haletante, car cette rue qui mène aux barrières est bien dure à monter.
Enfin la voilà arrivée. C'est tout en haut du faubourg, au coin des boulevards extérieurs. Une grande usine... On est en train de fermer les portes. La vapeur des machines, abandonnée au ruisseau, siffle et s'échappe avec un bruit de locomotive à l'arrêt. Un peu de fumée monte encore des hautes cheminées, et l'atmosphère chaude, qui flotte au-dessus des bâtiments déserts, semble la respiration, l'haleine même du travail qui vient de finir.
Tout est éteint. Une seule petite lumière brille encore au rez-de-chaussée, derrière un grillage, c'est la lampe du caissier. Voici qu'elle disparaît, juste au moment où la femme arrive. Allons ! C'est trop tard. La paye est finie... Comment va-t-elle faire maintenant ' Où le trouver pour lui arracher sa semaine, l'empêcher de la boire '... On a tant besoin d'argent à la maison ! Les enfants n'ont plus de bas. Le boulanger n'est pas payé... Elle reste affaissée sur une borne, regardant vaguement dans la nuit, n'ayant plus la force de bouger.Les cabarets du faubourg débordent de bruit et de lumière. Toute la vie des fabriques silencieuses s'est répandue dans les bouges. A travers les vitres troubles où les bouteilles rangées mêlent leurs couleurs fausses, le vert vénéneux des absinthes, le rose des bitters, les paillettes d'or des eaux-de-vie de Dantzick, des cris, des chants, des chocs de verre viennent jusque dans la rue avec le tintement de l'argent jeté au comptoir par des mains noires encore de l'avoir gagné. Les bras lassés s'accoudent sur les tables, immobilisés par l'abrutissement de la fatigue ; et, dans la chaleur malsaine de l'endroit, tous ces misérables oublient qu'il n'y a pas de feu au logis, et que les femmes et les enfants ont froid. (A suivre...)


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