Algérie

Au cœur du maquis de la Maouna ou les mémoires d’un moudjahid authentique



Publié le 24.06.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie

Par Séridi Abdelhak, officier de l’ALN

«Nous ne vivons pas seulement à notre époque, nous portons toute notre histoire avec nous.»
(Jostein Gardner)

J’ai rejoint le maquis de la Maouna (Guelma, Zone 4, Région 03, wilaya 02) alors que je n’avais que dix-neuf ans, ceci pour venger mes oncles maternels, Séridi El Hachemi, Touhami et Larbi assassinés par l’armée française et incinérés par un four crématoire lors des tragiques événements du 8 Mai 1945.

Condamné à mort à deux reprises par l’armée française, j’ai réussi à lui échapper après avoir exécuté une première mission qui m’a été confiée par l’Ordre (qualificatif attribué à l’action armée, politique et culturelle menée par le FLN).

Durant mes faits d’armes, j’ai eu l’honneur et la chance de côtoyer les défunts moudjahid, Boubnider (dit la Voix arabe), El Hachemi Hadjeress, et Tabbouche Abderrahmane. Âgé aujourd’hui de 87 ans, je me propose de livrer mes précieux et précis témoignages sur toute la période vécue au djebel de la Maouna parmi les vaillants maquisards de l’inoubliable ALN à laquelle nous devons notre indépendance.

• Acte I : Pourquoi et comment j’ai rejoint le maquis :
Lors des évènements tragiques du 8 Mai 1945, mes oncles maternels, les chahid Séridi el Hachemi, Touhami et Larbi, avaient été assassinés par l’armée française et incinérés comme des bêtes immondes, ainsi que tant d’autres chahid, dans un four crématoire pour avoir manifesté leur désir d’être libres et indépendants, eux qui avaient pourtant aidé la France à se débarrasser du nazisme.

L’armée coloniale ne pouvant cacher les odieux assassinats du 8 mai 1945, niait cependant les avoir incinérés dans le four crématoire et distillait une information selon laquelle les chahid avaient été enterrés à différents endroits.

J’accompagnais donc ma pauvre mère alors que je n’avais que 7 ans aux endroits indiqués et l’aidais à remuer la terre à la recherche des dépouilles de ses frères qu’elle chérissait tant, mais en vain, elle les pleurait tellement qu’elle avait fini par contracter une grave maladie des yeux. Pour la consoler je lui promets de les venger une fois devenu grand.

Dans un petit atelier de menuiserie attenant à notre domicile au n°10 de la rue Zama (Émir-Abdelkader aujourd’hui), travaillaient deux braves menuisiers, les chahid Tahar Goubéche et Bouras Kaddour, lesquels, d’après certaines indiscrétions, entretenaient des relations avec l’Ordre, une occasion dorée pour moi, ayant atteint l’âge de la majorité, de solliciter leur aide afin de regagner le maquis et venger mes oncles.

En qualité de résistants aguerris, ils n’accordaient au départ aucune attention à mes sollicitations, mais devant mon obstination et après s’être assuré de mon identité, sans l’ombre d’un doute, ils me chargeaient d’une mission «Test de confiance», au courant du mois de mars 1957. Je devais remettre un couffin, dont j’ignore le contenu à ce jour, à un personnage, que je devais rencontrer à un endroit précis, ce que je fis.

Comment cet individu m’a-t-il reconnu ? Qui était-il ? que contenait le mystérieux couffin ?

Le succès de la mission Test me permet de remplir une deuxième, d’une grande importance.

L’Ordre devait éliminer un collaborateur de la France coloniale de haut rang qui nuisait à la révolution.

Le chahid Amar, un vendeur ambulant de produits de la pêche, sensibilisé très tôt à la lutte armée que menait l’ALN, sa demeure était attenante à celle du chahid Souidani Boudjemaa, fut chargé de l’exécution.

Mon rôle consistait à lui remettre un pistolet automatique dont l’Ordre m’a appris les rudiments de l’utilisation, et lui désigner la cible. Le jour indiqué, je suivais le collaborateur qui se rendit à Dar El Hakam (l’administrateur français). Arrivé à l’endroit choisi, je rejoignis le chahid Amar, lui remis l’arme et lui désignai la cible dont il s’approcha et ouvrit le feu à trois reprises, des cris s’élevèrent déjà du haut d’un balcon «Assassins ! Assassins !».

Amar avait déjà quitté les lieux transporté par un autre Fidai au moyen d’une motocyclette, quant à moi je rejoignis le café «Dahele» pour récolter des informations, et me constituer un alibi, les sirènes de la police retentissaient au loin.

Quelques jours plus tard, l’Ordre m’informait que je devais rejoindre le maquis, le chahid Amar avait été appréhendé le mois de mars 1957. En effet, au djebel il a eu des problèmes de santé, en rejoignant son domicile pour se soigner, il fut arrêté, l’Ordre savait que les hommes du commandant Lafouchardière allaient torturer Amar et craignait pour ma personne.

Le chahid Amar fut guillotiné le mois de juillet 1957, mais il ne put donner aucun renseignement me concernant, car ne connaissant pas ma véritable identité.

Au maquis, le responsable de région le moudjahid Tabbouche Abderrahmane m’affectait aux services du moudjahid Rabah Fisli, responsable du secteur militaire qui m’a remis un treillis et un fusil anglais 303 ainsi qu’une cartouchière. Durant deux mois, j’ai aidé le toubib Si Ahmed dans ses fonctions avant d’être désigné comme commissaire politique et affecté de nouveau au secteur du moudjahid Abdallah Guergour.

Acte II : Séridi Abdelhak neutralisé : saper le moral de la population et de l’ALN !?
Je n’allais pas tarder à participer à des opérations militaires de grande envergure, dont celle du mois de février 1958.

Je savais déjà que l’ennemi était suréquipé en moyens humains et matériels; en effet en sus de ses soldats professionnels aguerris, il faisait aussi recours à des légionnaires, pires que les nazis, et n’hésitait pas à nous bombarder avec ses redoutables B 26 qui étaient en mesure de larguer des bombes dévastatrices, cracher le napalm ou gazer nos djounoud ; le corps de beaucoup de nos martyrs tombés au champ d’honneur s’ils ne présentaient aucune blessure ou impact de balles, étaient horriblement enflés même en hiver. Avec son T6 qualifié de «l’avion jaune», eu égard à sa couleur, l’armée coloniale tirait sur tout ce qui bougeait ; son avion mouchard transmettait quant à lui au QG tous les déplacements et mouvements de nos troupes. Ces moyens colossaux avaient certes permis à l’ennemi de venir à bout d’un nombre important de nos vaillants soldats, mais cette situation alarmante ne devait en aucun cas affaiblir notre action armée ni décourager le peuple, raison pour laquelle l’Ordre avait décidé de frapper l’armée coloniale dans ses propres casernes, dans la ville de Guelma même.

Avec l’aide des groupes des moudjahid Bensaada Younes, Tahar Felfouli et Guerfi Hocine j’avais pour mission d’attaquer au mortier 45 la caserne des soldats français à partir du souk des bestiaux (El Rahba). Le premier obus que j’ai tiré le mois de février 1958 à 22h00 atterrit entre l’hôpital et la caserne, le deuxième quant à lui secouait la sous-préfecture. De l’endroit où j’étais embusqué avec mes djounoud je m’aperçus vite que le pont de Hadj-Mbarek n’avait pas sauté comme prévu à cause d’un dysfonctionnement du détonateur; des blindés du colonel Colson, au nombre de sept, quittèrent Bab El Souk et se dirigèrent vers notre position, je devais me replier avec mes djounoud en empruntant la rivière de Hadj-M’barak et nous pûmes péniblement regagner notre point de rencontre au djebel de Sidi Sellam. Je déplorais cependant la perte de l’un de mes braves moudjahids, le chahid Bouabid Abdelghani.

Pour saper le moral de nos troupes et décourager la population, l’ennemi fit recours aux méthodes nazies : la propagande et la tromperie.

Il exposait sur un tank la dépouille du chahid Bouabid Abdelghani durant trois jours, en faisant circuler la rumeur que le corps exposé au peuple algérien était celui de Séridi Abdelhak.

Les soldats français empêchaient la population de trop s’approcher du corps exposé pour ne pas éveiller les soupçons, ma pauvre mère avait cru au mensonge, et allait le pleurer comme le voulait la coutume au cimetière de Baghdoucha. L’Ordre l’informait plus tard que son enfant était toujours en vie et put d’ailleurs me rendre visite à plusieurs reprises. Elle put, grâce à notre réseau de passeurs, me rendre visite plusieurs fois, pour s’assurer que j’allais bien, et m’informer par la même occasion que la France (c’est ainsi que nos parents qualifiaient les forces de sécurité françaises) me recherchait ; elle détruisit tous les avis de recherche et condamnations que les soldats français placardaient sur la porte de notre demeure à Guelma, bien que je lui recommande à plusieurs reprises de les conserver ; une façon à elle, peut-être, de me protéger.

Mon brave et courageux père, quant à lui, était souvent malmené par les militaires qui l’obligeaient à signer des avis de recherche me concernant et à y apposer son empreinte, ils le soumettaient à des interrogatoires musclés pour lui arracher des informations sur les «Fellagas» (militaires de l’ALN) mais en vain, il leur répondait toujours que c’est leur faute si j’avais disparu, et qu’il ignorait où je me trouvais.

La seule fois qu’il me rendit visite au Djebel (le maquis) demeure pour moi inoubliable. Alors qu’on était assis sous un arbre, il me fixa droit dans les yeux en lâchant : «Ainsi tu as rejoint le maquis, fils de chien» (expression usitée à l’est du pays pour exprimer sa fierté à l’égard d’une personne) et versa subitement des larmes. Je n’avais jamais vu auparavant «mon vieux» pleurer.

S. A.




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