Deuxième intervenant à ces Débats d’El Watan dédiés à la «révolution démocratique arabe» : Michel Camau. Eminent politologue, professeur émérite des universités, le professeur Camau a enseigné à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. Il eut également à diriger l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain.
A ce titre, c’est un fin spécialiste de la Tunisie à qui il consacra, du reste, plusieurs ouvrages, dont Syndrome autoritaire : politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali (avec Vincent Geisser).
D’ailleurs, son exposé sera entièrement réservé à la révolution tunisienne.
Le professeur Camau étrenne sa conférence en balisant le champ herméneutique suggéré par le thème de ces débats. Il prévient d’emblée qu’il ne va pas répondre à la question du «pourquoi» de ces révolutions, mais plutôt à celle du «comment». «Pourquoi est-ce parti de la Tunisie ' Beaucoup croient répondre à cette question. Mais moi, je ne peux y répondre. Je ne suis pas la réincarnation de Tocqueville», avoue-t-il avec humilité. Michel Camau estime même que «cette question, au fond, n’est pas pertinente. On a tendance à confondre les causes et les raisons de la révolution». Et d’expliquer: «Les raisons de se révolter sont permanentes, mais les révoltes, elles, ne surgissent qu’à la faveur de l’imprévu.
Elles relèvent de la surprise. Alors, au lieu de demander ‘’pourquoi’’, il convient de poser la question : Comment est-ce parti de la Tunisie' Seule la question du ‘’comment’’ permet de prendre en considération l’incertitude, l’inattendu.»
Le conférencier s’attachera dès lors à retracer les principales phases qui ont structuré le mouvement insurrectionnel tunisien, depuis l’immolation par le feu de Mohamed El Bouazizi ,le 17 décembre 2010, jusqu’à la fuite du dictateur tunisien le 14 janvier 2011.
Dans la foulée, Michel Camau passera en revue, en les relativisant, les différentes interprétations qui ont été avancées pour expliquer la «Révolution du jasmin», à commencer par la thèse de la «cocotte-minute qui a fini par exploser».
«En 2008, il y a eu la révolte de Gafsa. Pourtant, cela ne s’est pas propagé», objecte-t-il. En analysant les phases de la mobilisation populaire, il note que l’un des points de basculement aura été «le caractère multisectoriel des protestations, mettant en branle des secteurs importants de la société». Cela a été suivi, poursuit-il, d’un «désenclavement des mobilisations» qui ont débordé la circonscription de Sidi Bouzid pour gagner d’autres régions.
«C’est la période où Michèle Alliot-Marie passait ses vacances en Tunisie», ironise le conférencier. Le mouvement ira crescendo et sera marqué par l’entrée en scène des étudiants, des lycéens, des avocats et d’autres catégories sociales.
Parallèlement, au sommet, Michel Camau relève une «fragmentation des élites dirigeantes». «Les élites ont subi deux grandes défections, dissèque-t-il, celle de la direction nationale de l’UGTT qui a rejoint le mouvement, et celle, déterminante, du commandement de l’armée. Elle a joué un rôle décisif puisque c’est l’armée qui a mis Ben Ali dans l’avion».
Comme l’observait Sara Ben Néfissa pour l’Egypte, Michel Camau remarque que pour la Tunisie non plus «il n’y a pas eu de leadership» à la tête de ces manifs.
à l’ère de la «e-révolution»
Le politologue souligne que le passage d’une phase à l’autre de l’insurrection a régulièrement été marqué par l’émergence de ce qu’il appelle des «événements cruciaux». Ainsi, la phase de déclenchement a pour point paroxystique le suicide d’El Bouazizi, après, il y a eu l’assassinat du premier manifestant par balle et ainsi de suite.
«Ces événements cruciaux ont permis d’avoir une publicité et une visibilité», dit-il.
Pour lui, «Ben Ali a surtout perdu la bataille de l’information et de la publicisation». «Il y a eu une mutation de la perception du régime dans les différents secteurs de l’opinion. La supposée omnipotence du régime et la supposée absence d’alternative, le fameux à quoi bon, ces préjugés ont fait place à un élargissement du champ du possible et du dicible», observe le chercheur.
Et de s’interroger sur le rôle de l’Internet, de facebook et autres réseaux sociaux comme on l’a souvent entendu à propos de cette vague libertaire qui balaie le monde arabe. Pour Michel Camau, il ne fait pas de doute que ces nouveaux médias ont joué un rôle important dans cette «guerre des images»: «S’agit-il d’une e-revolution ' Je pense qu’Internet a joué un rôle, mais il y a eu aussi le rôle des téléphones mobiles et les images qui ont circulé par ce moyen avant d’être diffusées en boucle par Al Jazeera et les autres médias internationaux.»
Et d’en arriver à la question cruciale : après la révolution, la démocratie ' «Je ne vous apprends rien en vous disant que rien n’est joué, que ce soit en Tunisie ou en Egypte», tranche le politologue. Et de constater: «Cette focalisation sur de faux zaïms qui incarnent le régime et sa corruption a eu des effets fulgurants dans le basculement, mais après coup, cette focalisation peut avoir des effets plus complexes. En décapitant le régime, si la tête est tombée, le problème, c’est le corps. Ce sont les formes sociales et politiques d’autorité. La constellation du pouvoir ne disparaît pas du jour au lendemain.»
Le spectre d’un «autoritarisme démocratique» à l’algérienne après 1988 est d’ailleurs évoqué avec force par l’assistance au cours du débat qui a suivi.
C’est dire le scepticisme qui pèse sur la nouvelle ère ainsi annoncée. En scientifique épris de rigueur, Michel Camau se garde de tirer des plans sur la comète : «Est-ce à dire que cela va déboucher sur une démocratie ' Ce serait manquer de déontologie que de dire ce qui va advenir. Je ne vois pas dans une boule de cristal. Il convient de faire une distinction analytique entre la contestation démocratique et la construction démocratique», tempère-t-il, avant d’ajouter : «L’histoire avance à la faveur des grains de sable, de surprises et cela nous laisse toujours une porte ouverte sur l’espoir.»
Michel Camau n’omet pas de citer le poids des «variables internationales» et ce qu’il appelle «le régime transnational de surveillance de l’immigration, du terrorisme et des approvisionnements énergétiques».
Et de conclure en appelant de ses vœux qu’un peu de ce vent de révolte touche les politiques du Nord. «Une révolution au Sud suppose qu’on sache conjuguer le verbe ‘’dégager’’ en d’autres lieux…», suggère-t-il.
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Posté Le : 01/03/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mustapha Benfodil
Source : www.elwatan.com