Algérie

ATTITUDES Maltraitances



ATTITUDES Maltraitances
naiyach@yahoo.fr
«Maman, j'ai faim, je veux manger !» criait à tue-tête le petit Boualem qui revenait de l'école. Sa maman, en tenue de combat, jean, blouse, les cheveux noués sous un foulard, pataugeant dans une eau savonneuse, un tuyau à la main, arrosait les murs de la cuisine. Le froid de l'hiver ne la dissuade en rien.
Comme tous les jours, elle astique son appartement situé au centre-ville d'Alger. Elle frotte les murs, récure la faïence... et feint de ne pas entendre son gamin de 8 ans. Dans des mouvements nerveux, elle passe et repasse la lavette sur les coins qui résiste aux mains de Madame Propre. Agacée par ses pleurs, elle jette sa lavette dans le seau, essuie ses mains, et du placard sort un morceau de pain rassis et trois morceaux de sucre et les tend à Boualem. - Tiens, sors dehors, et fiche-moi la paix. Boualem prend sa maigre pitance et s'assoit sur une marche d'escalier. Affamé, il mord dans le morceau de pain. Attiré par l'odeur alléchante de la viande grillée émanant de l'appartement des voisins, il jette sa nourriture et sanglote en silence. «Je veux de la viande, un repas chaud, j'ai tellement froid.» En désespoir de cause, il reprend son morceau de pain et dévale les étages. Pendant ce temps, Fetouma, infatigable, continue son ménage. Elle passe à la salle de bain, aux toilettes, puis c'est le tour du salon, ensuite de la chambre à coucher. Elle a failli oublier sa petite fille âgée de 13 mois, qui, recroquevillée dans un vieux panier qui lui sert de lit et un vieux pardessus en guise de couverture, gémit les joues rubicondes. Fetouma touche son front. Elle est toujours chaude, se dit-elle, elle lui remet sa sucette dans la bouche et reprend sa tâche. Il est 14h, elle passe la serpillière sur toutes les pièces, Ferme volets et fenêtres, se dévêtit de sa tenue de travail, fait sa toilette, enfile des vêtements propres et admire son F3. Une magnifique chambre à coucher de jeune mariée, des draps soyeux, un couvre-lit en laine d'une blancheur immaculée, un lit de bébé aux draps roses, avec une couverture douce dans les mêmes tons et qui n'a jamais été défait. La petite Meriem n'a jamais dormi dans ce magnifique berceau qui a toujours été un élément de décor. Des vieux chiffons enroulés dans un morceau de drap font l'affaire. En hiver, le manteau râpé de feu son beau-père servira de couverture. Son armoire est minutieusement rangée. Des étagères où sont soigneusement posés des piles de draps bien repassés, ornés de rubans satinés, des serviettes aux différentes couleurs, des draps de bain, mais qu'elle ne touche jamais. Une penderie où sont suspendus chemises, costumes et autres vêtements qui n'ont pas beaucoup servi. De temps à autre, elle ouvre les portes histoire d'aérer sa garde-robe. C'est le four de sa cuisinière — on aurait dit sortie tout droit du magasin — qui remplacera son armoire. Et pour cause, le four ne fonctionnera jamais chez Fetouma. Les mauvaises odeurs, le gras, c'est sa hantise. Les gargotes nourriront la maisonnée. La chambre d'enfants s'est transformée en petit salon traditionnel, que personne n'a le droit d'en franchir le seuil. Quant au salon moderne, où est installée la télévision, personne n'y a accès. Les fauteuils sont flambant neufs comme au premier jour. Ses quatre enfants regarderont la télé assis sur des nattes fabriquées avec des haillons, qui, au moment du coucher, leur serviront de literie. Le père, lui, a droit à une chaise en bois vermoulu. Le couple sortira lui aussi des guenilles pour dormir. C'est ça le quotidien de Fetouma. Las des plats de la gargote et du froid du carrelage, le mari, d'une santé très fragile, mourra, encore jeune, de tuberculose. Les enfants, quant à eux, souvent malades, auront une scolarité courte ; Fetouma, elle, ne changera pas, elle continuera d'astiquer son petit musée en ignorant son monde.


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